Financer la transition énergétique. Un rêve ? Newsletter n°7

A savoir

«La transition énergétique désigne le passage d’un système énergétique qui repose essentiellement sur l’utilisation des énergies fossiles, épuisables et émettrices de gaz à effet de serre (que sont le pétrole, le charbon et le gaz), vers un bouquet énergétique donnant la part belle aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique.

Elle répond ainsi à la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Dans cette lutte, l’Union européenne s’est fixé l’objectif « 20/20/20 », soit de réduire de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, d’accroître l’efficacité énergétique de 20 % et de porter la part des énergies renouvelables à 20 % dans le mix énergétique d’ici 2020. L’efficacité énergétique répond également à la volonté d’un pays d’accroître son indépendance énergétique et de renforcer sa compétitivité en réduisant à terme sa facture énergétique. »[1]

Comment procède-t-on ? [2]

« Le plus immédiat, c’est sans doute la rénovation thermique destinée à diminuer drastiquement la consommation d’énergie par le bâtiment, premier gouffre à énergie de nos économies aujourd’hui. Cette première partie de la transition ne semble pas poser de problème technique majeur aux constructeurs et à l’ensemble des corps de métiers impliqués. Le seul frein qui retient le démarrage de ladite rénovation, c’est le manque de financement.

Le chantier qui arrive en second, parce qu’il touche à la deuxième source de consommation d’énergies fossiles, c’est la mobilité: l’avion, la voiture et le train. Et cette fois, les complications sont substantielles. Non pas à cause de l’avion : nous apprendrons à organiser des visioconférences plutôt qu’à traverser les océans pour la moindre réunion de travail. Les difficultés arrivent dès lors que l’on cherche à substituer intelligemment le train à la voiture et au camion, ce qui exige des compromis politiques (où allons-nous faire passer la nouvelle voie ferrée ?) et une complète révision de notre aménagement du territoire. Cela veut dire en effet un réaménagement complet des territoires, la remise en valeur d’une partie des réseaux ferroviaires que nous avons détricotés patiemment après la Seconde Guerre mondiale. Il faut donc revaloriser le transport public, tandis que l’urbanisme de n

os villes exige d’être repensé. On peut anticiper qu’il faudra mettre fin aux banlieues pavillonnaires au profit de nombreuses petites villes très denses irriguées par un important transport public, et reliées les unes aux autres par le train et par un réseau de cars (faiblement consommateurs d’essence). En outre, le train ne pourra pas être entièrement substitué à la voiture : il nous faudra développer considérablement le covoiturage, inventer un autre rapport aux quatre-roues. Enfin, le troisième chantier, c’est celui de la transformation de nos modes de production de l’énergie : s’il n’est sans doute pas question de fermer toutes les centrales à charbon, du moins faut-il absolument y séquestrer le CO2 produit et investir massivement dans les sources d’énergie décarbonée, de manière à nous passer (au niveau européen) du charbon et en vue de réduire progressivement le gaz. »

Combien cela coûte-t-il? [3] « Une étude anglaise évalue les besoins pour la Grande-Bretagne à 650 milliards d’euros ; la Commission européenne chiffre les investissements nécessaires pour atteindre le « facteur 4 » (réduction des émissions de GES de 80% à l’horizon 2050 par rapport à leur niveau absolu de 1990 dans les pays occidentaux) à 1 ,5 % du PIB par an.

D’après la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, le programme d’investissement à réaliser est sans doute de l’ordre de 2 à 3% du PIB par an pendant dix ans, soit pour le cas de l’Europe, environ 3000 milliards d’euros sur une décennie. Rappelons que les Etats ont déjà mis à la disposition des banques l’équivalent de 4000 milliards d’euros depuis 2008.

Et que la BCE a créé mille milliards entre décembre 2011 et février 2012, toujours afin de « sauver les banques ». La transition écologique coûterait donc, aujourd’hui, moins cher que le sauvetage inachevé du secteur bancaire. Mais plus nous attendons, plus son coût augmentera, bien sûr. Au fait, qu’attendons-nous? La réponse, invariablement proposée à tout début de mise en œuvre de la transition par certains hauts fonctionnaires qui hantent les couloirs des ministères, est triple :

• « Cela a déjà été fait et n’a pas marché »
• « Les Allemands ne voudront pas »
• « Il manque de l’argent »

À l’évidence, la première objection est fausse : aucun pays n’a, à ce jour, véritablement entamé la transition. En démarrant la première, l’Europe pourrait devenir le leader mondial d’un processus auquel tout le monde, tôt ou tard, devra s’atteler. La deuxième objection est tout aussi irrecevable : « Le temps presse, nous le savons tous », a déclaré l’ancienne ministre de l’Ecologie d’Angela Merkel, lors de l’ouverture de la conférence sur le climat qui a rassemblé à Berlin les représentants d’une trentaine de pays, les 16 et 17 juillet 2012, « […] mais on ne le dit pas assez.

Car cela ne sert à rien, de jouer avec le temps. La limite maximale de deux degrés (de réchauffement de la planète d’ici 2100) n’est pas trop ambitieuse (…) Et nous savons qu’avec ce qui est sur la table actuellement, nous ne maintiendrons pas le réchauffement en- dessous de deux degrés (…) Ce sera même plutôt le double ». La troisième objection est juste dans la mesure où les investissements nécessaires à la transition ne sont pas assez rentables d’un point de vue strictement financier. Sommes-nous toutefois certains qu’il n’y ait plus assez d’argent pour sauver la planète?»

Un financement [4] « Si nous admettons que la monnaie (la liquidité et le crédit) ne devrait être ni un bien privé ni un bien public mais un bien commun, alors la liberté de création monétaire dont nous disposons devient un atout. Le financement de la transition énergie-climat doit pouvoir se faire par la création monétaire confiée à une BCE placée sous le contrôle d’une Union politique européenne.

Les prêts que devra consentir la BCE auront nécessairement des maturités longues : dix ans, au moins. À quel taux la BCE devra-t-elle prêter? Cette question nourrit l’intense débat qui traverse aujourd’hui la communauté des économistes au sujet du taux d’escompte qu’il convient d’appliquer aux projets de long terme liés, notamment, à la réduction des émissions de GES.

Car, en appliquant un taux d’intérêt réel à son prêt (de long terme), la Banque centrale indiquera implicitement à quel taux elle égalise un euro prêté aujourd’hui avec un euro remboursé dans dix ans (ou davantage). […] Le taux d’intérêt réel auquel notre banque centrale devrait consentir à financer la transition est donc au plus égal à 1%. Un taux à l’aune duquel, dès aujourd’hui, une part non négligeable des chantiers de la transition devient rentable.

Reste la définition du collatéral [5] qui servira de garantie aux prêts de la banque centrale. On peut fort bien imaginer que la BCE accepte comme collatéraux des « obligations de projet » finançant exclusivement des projets d’avenir liés à la transition. […] Ces obligations vertes seraient émises, par exemple, par la Banque européenne d’investissement pour les grands projets d’infrastructures européens et par des institutions existantes ou à créer (banque nationale d’investissement) pour les déclinaisons nationales du plan de transition.

La BCE et les banques centrales nationales pourraient donc accepter en guise de collatéral des prêts consentis aux banques publiques d’investissement […].Ces obligations vertes pourraient être rachetées par les banques centrales, de la même façon que la BCE rachète aujourd’hui aux banques privées des titres de dette souveraine. En outre, ces obligations vertes pourraient être émises sur les marchés financiers à des taux plus élevés que le taux de 1% consenti par le système européen des banques centrales.

Les opérations les moins rémunératrices au plan strictement financier pourraient bénéficier du 1% « banque centrale » dès lors que leur intérêt écologique et social le justifie. Celles dont la rentabilité s’approche des conditions du marché pourraient simplement bénéficier de bonification de taux. Les autres seraient financées de manière classique par l’épargne internationale mobilisée. (…) Quoiqu’il en soit, la question de la crédibilité des obligations vertes se ramène alors à celle de la qualité des projets de transition et du discernement au terme duquel nous déciderons que l’intérêt écologique et social d’un projet justifie qu’il bénéficie du 1 % « banque centrale ».

L’approche de Justice et Paix

Défis et opportunités L’Appel [6] des cardinaux, patriarches et évêques du monde à l’occasion de la Cop217 montre les défis et opportunités du changement climatique. « Dans sa lettre encyclique, Laudato Si’, adressée « à chaque personne qui habite cette planète » (LS 3), le Pape François souligne que « le changement climatique… constitue l’un des principaux défis actuels pour l’humanité ». Le climat est un bien commun, partagé, de tous et pour tous (LS 23). L’environnement est un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la responsabilité de tous (LS 95). Aujourd’hui, croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants, cela devient une question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour tous.

Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des plus défavorisés (LS 93). La dramatique accélération du changement climatique constitue une problématique aux incidences mondiales, qui nous oblige à redéfinir le sens que nous accordons aux mots croissance et progrès. Cette problématique interpelle notre mode de vie, nous enjoint à trouver une solution consensuelle, compte tenu de son ampleur et de sa nature planétaire ; elle nous invite à tisser les liens d’une solidarité universelle, d’une solidarité à la fois « intergénérationnelle » et « intra-générationnelle ». (LS 13, 14, 162).

Le Pape décrit notre planète comme « notre maison commune », dont nous sommes les intendants : dans l’exercice de notre charge, nous devons sans cesse garder à l’esprit la dégradation humaine et sociale qui procède de la dégradation de l’environnement. Nous préconisons une approche écologique intégrale, nous voulons que la justice sociale soit au centre de l’attention « pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ». (LS 49). »

Des dirigeants courageux, en quête d’accords exécutoires L’Appel pointe un certain nombre d’actions, parmi lesquelles :

• Garder à l’esprit non seulement les dimensions techniques, mais aussi et surtout éthiques et morales du changement climatique, comme stipulé à l’article 3 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).

• Limiter fortement la hausse de la température planétaire et fixer un objectif pour la décarbonisation complète d’ici 2050, de manière à protéger des effets du changement climatique les familles qui sont en première ligne, notamment celles qui vivent dans les îles du Pacifique et sur les régions côtières. Veiller à ce que le seuil de température soit inscrit dans un accord mondial juridiquement contraignant, assorti d’engagements et de mesures d’atténuation par tous les pays, lesquels reconnaissent leur responsabilité commune mais différenciée, et leurs capacités respectives sur la base de l’équité, de leurs responsabilités historiques et du droit à un développement durable. Veiller à ce que les trajectoires d’émissions des gouvernements soient conformes à l’objectif de décarbonisation et imposer des revues périodiques des engagements et des ambitions, sur la base de l’équité et de données scientifiques. Pour être fructueuses, ces revues périodiques doivent être obligatoires.

• Elaborer de nouveaux modèles de développement et de nouveaux modes de vie compatibles avec le climat; s’atteler aux inégalités et sortir les gens de la pauvreté. L’idée centrale est de mettre un terme à l’ère des combustibles fossiles, de faire progressivement disparaître les émissions produites par les combustibles fossiles et d’offrir à tout un chacun l’accès à une énergie renouvelable, saine, fiable et à un prix abordable.

• Reconnaître que les besoins d’adaptation dépendent de la réussite des mesures d’atténuation qui sont prises. Il incombe aux responsables du changement climatique d’aider les plus vulnérables à s’adapter et à gérer les pertes et les préjudices et de partager la technologie et le savoir-faire nécessaires.

• Établir des feuilles de route précises, indiquant comment les pays vont pouvoir tenir leurs engagements financiers additionnels, prévisibles et consistants, en trouvant un financement équilibré entre les mesures d’atténuation et les besoins d’adaptation.

Des pistes pour agir

La transition financière a un aspect macro-économique essentiel qui passe par des politiques publiques nationales et internationales que les citoyens doivent contribuer à faire émerger par leurs choix et leurs engagements politiques, sociaux, associatifs. Elle repose aussi sur les choix individuels et familiaux, sur les pratiques des entreprises au sein desquelles on travaille. Il n’y a pas de petits gestes du quotidien. Il y a des actes réfléchis, à la fois efficaces et porteurs d’une valeur d’exemple entraînant.

Pour aller plus loin

• Quelles réflexions –en famille, en équipe- ont été faites sur nos consommations énergétiques ? Qu’en est-il au niveau communal ? au niveau paroissial ? • Ai-je tenté de faire une évaluation de mon empreinte énergétique ? • Comment être agent de promotion de la transition énergétique ? Dans mon entreprise, mon habitation, sur mon lieu de vacances ? • Comment ma paroisse peut-elle s’impliquer dans la transition énergétique ?

Bibliographie • Contribution de l’ADEME à l’élaboration de visions énergétiques 2030 – 2050. http://www.ademe.fr • Illusion financière, Gaël Giraud, Les Editions de l’Atelier, Paris, 2012 • Comment financer la transition énergétique, Andreas Rudinger IDDRI http://www.iddri.org/Publications • Financer la transition énergétique, Alain Grandjean & Mireille Martini, Les Editions de l’Atelier, Paris, 2016

ANNEXES

Intervention du secrétaire d’Etat, le cardinal Pietro Parolin, au Sommet de l’ONU sur le climat 69ème Assemblée générale des Nations Unies 23 septembre 2014

«Je suis heureux de transmettre les salutations cordiales de Sa Sainteté le Pape François à tous les participants à cet important sommet qui réunit des hauts représentants des autorités gouvernementales et civiles, ainsi que des responsables du secteur privé et de la société civile, afin d’identifier des initiatives importantes qui pourront répondre au phénomène préoccupant du changement climatique. On sait bien que le changement climatique soulève des questions non seulement scientifiques, environnementales et socioéconomiques, mais également et surtout éthiques et morales, parce qu’il affecte tout le monde, en particulier les plus pauvres d’entre nous, qui sont les plus exposés à ses effets.

Pour cette raison, le Saint-Siège a souvent souligné qu’il existe un impératif moral à agir, car nous avons tous la responsabilité de protéger et de valoriser la création, pour le bien de notre génération et de celles à venir. Le Pape François, dès le début de son pontificat, a souligné l’importance de « la sauvegarde de notre environnement, que trop souvent nous n’utilisons pas pour le bien, mais que nous exploitons avec avidité au détriment l’un de l’autre »» (Discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 22 mars 2013). «Il existe un consensus scientifique désormais assez établi sur le fait que, depuis la deuxième moitié du siècle dernier, le réchauffement du système climatique est indubitable. Il s’agit d’un problème très sérieux qui, comme je l’ai dit, a de graves conséquences pour les couches les plus vulnérables de la société et, évidemment, pour les générations futures.

De plus, de nombreuses études scientifiques ont souligné que l’inaction humaine face à ce problème engendre de graves risques et des coûts socio-économiques. Cela est dû au fait que sa cause principale semble être l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à cause de l’activité humaine. Face à ces risques et ces coûts doit prévaloir la prudence, qui exige des débats réfléchis, fondés sur une analyse précise de l’impact que nos actions auront sur l’avenir. Cela exige un profond engagement politique et économique de la part de la communauté internationale, auquel le Saint-Siège désire apporter sa contribution, conscient que « le don de la science nous aide à ne pas tomber dans certains comportements excessifs ou erronés. Le premier est constitué par le risque de nous considérer comme les propriétaires de la création.

La création n’est pas une propriété, que nous pouvons dominer à notre guise ; ni la propriété de quelques-uns, d’une poignée de personnes : la création est un don, c’est un don merveilleux que Dieu nous a fait, afin que nous en prenions soin et que nous l’utilisions au profit de tous, toujours avec un grand respect et gratitude» (Pape François, Audience générale, 21 mai 2014).

«Monsieur le secrétaire général, le long débat sur le changement climatique, qui a donné lieu en 1992 à la Convention -cadre des Nations unies sur le changement climatique et sa mise en place consécutive, montre combien la question est complexe. Depuis lors et jusqu’à ce jour, de nombreux changements ont eu lieu: la dynamique des relations internationales a créé des contextes géopolitiques nouveaux, tandis que les technologies scientifiques et de l’information sont devenues extrêmement sophistiquées.

Un élément primordial apparu au cours des plus de trente ans d’étude du phénomène du réchauffement climatique est la conscience accrue que toute la communauté internationale fait partie d’une unique famille humaine interdépendante. Les décisions et les comportements de l’un des membres de cette famille ont de profondes conséquences sur les autres ; il n’existe pas de frontières politiques, barrières ou murs derrière lesquels se cacher pour protéger un membre par rapport à l’autre contre les effets du réchauffement climatique.

Il n’y a pas de place pour la mondialisation de l’indifférence, l’économie de l’exclusion ou la culture du rebut si souvent dénoncées par le Pape François (cf. Exhortation apostolique. Evangelii gaudium, n. 52, 53, 59). Dans les actions entreprises pour lutter contre le réchauffement climatique, nous avons trop souvent vu la prédominance d’intérêts particuliers ou de ce que l’on appelle les « free riders » (passagers clandestins) sur le bien commun; trop souvent, nous avons observé une certaine suspicion ou un manque de confiance de la part des Etats, ainsi que de la part d’autres participants.

Toutefois, si nous voulons être réellement efficaces, nous devons mettre en place une réponse collective fondée sur une culture de la solidarité, de la rencontre, et du dialogue, qui devrait être à la base des interactions normales au sein de chaque famille et qui exige la collaboration pleine, responsable et dévouée de tous, selon leurs propres possibilités et conditions. À cet égard, il me semble opportun de rappeler un concept qui a également été développé au sein du forum des Nations unies, qui est celui de la responsabilité de protéger.

Les Etats ont une responsabilité commune de protéger le climat du monde à travers des mesures d’atténuation et d’adaptation, ainsi que le partage de technologies et de savoir-faire. Mais par-dessus tout, ils ont une responsabilité commune de protéger notre planète et la famille humaine, en assurant que les générations présentes et futures ont la possibilité de vivre dans un environnement sûr et digne.
Les bases technologiques et opérationnelles nécessaires pour faciliter cette responsabilité mutuelle sont déjà disponibles et à notre portée. Nous avons la capacité de mettre en place et de renforcer un véritable processus bénéfique qui irriguera, pour ainsi dire, à travers des activités d’atténuation et d’adaptation, un terrain d’innovation économique et technologique où il est possible de cultiver deux objectifs interdépendants : combattre la pauvreté et atténuer les effets du changement climatique.

Toutefois, les forces du marché, en particulier lorsqu’elles sont privées d’une orientation éthique adaptée, ne peuvent résoudre à elles seules les crises interdépendantes liées au réchauffement climatique, à la pauvreté et à l’exclusion. Le plus grand défi réside dans le domaine des valeurs humaines et de la dignité humaine ; des questions qui concernent la dignité humaine des personnes et des peuples ne peuvent être réduites à de simples problèmes techniques. Dans ce sens, le changement climatique devient une question de justice, de respect et d’équité, une question qui doit éveiller nos consciences. Monsieur le secrétaire général, les motivations éthiques à la base de toute décision politique complexe doivent être claires.

Par conséquent, il faut consolider à présent une révision profonde et clairvoyante des modèles de développement et de styles de vie, afin de corriger leurs nombreux dysfonctionnements et les déséquilibres (cf. Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate, n. 32). Cela est également nécessaire étant donné les nombreuses crises que la société actuelle traverse dans le domaine économique, financier, social, culturel et éthique.

Dans cette perspective, un changement culturel authentique est nécessaire pour renforcer nos efforts de formation et d’éducation, en particulier en faveur des jeunes, en vue d’assumer un sens de la responsabilité à l’égard de la création et d’un développement humain intégral de tous les peuples, présents et futurs.

Pour sa part, l’État de la Cité du Vatican, bien que petit, entreprend des efforts importants pour réduire sa consommation d’énergies fossiles, à travers des projets de diversification et d’efficacité énergétique. Toutefois, comme l’a souligné la délégation du Saint-Siège à la COP19 de Varsovie : « Parler de la réduction des émissions n’a de sens que si nous sommes prêts à changer notre mode de vie et nos modèles actuels dominants de consommation et de production ».

Le Saint-Siège attache une grande importance au besoin de promouvoir l’éducation à la responsabilité environnementale, qui cherche également à protéger les conditions morales d’une authentique écologie humaine. Nombreuses sont les institutions éducatives catholiques, ainsi que les conférences d’évêques, les diocèses, paroisses et ONG d’inspiration catholique engagés dans ce travail, dans la conviction que la dégradation de la nature est directement liée à la culture qui définit la coexistence humaine.

Le respect de l’écologie de l’environnement est une condition, et est conditionné par le respect de l’écologie humaine dans la société. Affronter sérieusement le problème du réchauffement climatique exige, non seulement de renforcer, approfondir et consolider le processus politique au niveau mondial, mais également d’intensifier notre engagement en vue d’un profond renouveau culturel et d’une redécouverte des valeurs fondamentales sur lesquelles il est possible d’édifier un meilleur avenir pour toute la famille humaine.

Le Saint-Siège s’engage dans ce but, afin que, dans cette tâche, la communauté internationale puisse être guidée par les impératifs moraux à agir, inspirée par les principes de la solidarité et de la promotion du bien commun, dans la conscience que « la dignité de chaque personne humaine et le bien commun sont des questions qui devraient structurer toute la politique économique » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 203). »

Discours du Cardinal Parolin à la Cop21, Paris 30 novembre 2015

«Au nom du Pape François, je vous adresse à tous un salut cordial, et vous transmets ses sincères encouragements à travailler avec diligence pour une heureuse issue de cette COP-21. Jeudi dernier, 26 novembre, durant son discours au Centre de l’ONU à Nairobi, le Pape François s’est abondamment référé à la COP-21, en souhaitant qu’elle conduise à l’adoption d’un Accord global et « transformateur », fondé sur les principes de solidarité, de justice, d’équité et de participation, avec les trois objectifs complexes et interdépendants de réduire les impacts du changement climatique, combattre la pauvreté et promouvoir la dignité de la personne humaine.

Il serait tragique, a-t-il ajouté, que les intérêts particuliers l’emportent sur le bien commun et conduisent notamment à manipuler l’information. Un accord global et transformateur devrait asseoir ses fondements sur trois piliers. Le premier pilier consiste en l’adoption d’une orientation éthique claire qui inspire les motivations et finalités de l’Accord à mettre en œuvre.

Nous le savons bien, les personnes les plus vulnérables aux impacts du changement climatique sont les plus pauvres, mais aussi les générations futures qui en subiront les conséquences les plus graves, souvent sans en être responsables. De plus, ce phénomène ne connaît ni frontières, ni barrières politiques ou sociales qui permettraient de s’en isoler. Cela doit renforcer la conscience que nous avons d’être une seule famille humaine et la certitude qu’il n’y a pas d’espace pour ce qu’on a appelé la globalisation de l’indifférence.

Face à l’urgence d’une situation qui exige la plus large collaboration possible pour l’établissement d’un plan commun, il est important que cet Accord soit axé sur la reconnaissance, autant de l’impératif éthique d’agir dans le cadre d’une solidarité globale que de la responsabilité, commune mais différenciée, de chacun selon ses capacités et sa condition. Le second pilier concerne le fait que l’Accord devrait non seulement spécifier les modalités de sa mise en œuvre, mais aussi et surtout transmettre des signaux clairs pour orienter les comportements de tous les acteurs concernés, à commencer par les Gouvernements, mais aussi les autorités locales, le monde des entrepreneurs, la communauté scientifique et la société civile, et ce, afin d’atteindre les trois objectifs indiqués par le Saint-Père.

Cela requiert de s’engager avec conviction dans la voie d’une économie à basse émission de carbone et dans celle d’un développement humain intégral. La dynamique de ce parcours dépendra de la façon dont tous les acteurs s’engageront et collaboreront dans ce domaine qui offre lui-même de nombreuses possibilités de déployer le génie humain capable de promouvoir la dignité humaine. En ce sens, les pays mieux dotés de ressources et capacités devraient donner le bon exemple en apportant des ressources aux pays ayant plus de besoins, afin de promouvoir des politiques et des programmes de développement durable.

Je pense, par exemple, à la promotion des énergies renouvelables et de la dématérialisation, ainsi qu’au développement de l’efficacité énergétique; ou bien à une gestion adéquate des forêts, du transport et des déchets; au développement d’un modèle circulaire de l’économie; à la mise en œuvre de programmes appropriés, durables et diversifiés de sécurité alimentaire et de lutte contre le gaspillage de nourriture; à des stratégies de lutte contre les spéculations et contre les subsides inefficaces et parfois injustes; au développement et au transfert de technologies appropriées. Il s’agit là de différents aspects dont la mise en œuvre efficace devrait être inspirée par le nouvel Accord.

Le troisième pilier concerne la vision de l’avenir. La COP-21 ne représente ni un aboutissement, ni un point de départ, mais une étape cruciale d’un parcours qui ne se termine certainement pas en 2015. Un Accord d’une ample perspective temporelle comme celle que nous évoquons devrait prévoir des processus de révision des engagements et de suivi transparents, efficaces et dynamiques, en mesure de rehausser progressivement le niveau d’ambition et de garantir un contrôle adéquat.

En outre, il est nécessaire de prendre sérieusement en considération la mise en œuvre de modèles de production et de consommation durables, et l’adoption de comportements et styles de vie nouveaux. On touche ici aux domaines fondamentaux de l’éducation et de la formation, qui malheureusement sont parfois relégués à la marge des négociations relatives aux Accords internationaux.

Les solutions techniques sont nécessaires mais resteront insuffisantes si nous n’abordons pas au fond l’éducation aux styles de vie durables et à une conscience responsable. Le style de vie actuel, avec sa culture de marginalisation, est insoutenable et ne doit pas avoir droit de cité dans nos modèles d’éducation et de développement. Il s’agit d’un « grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de régénération » (Laudato si’, n. 202).

Le Saint-Père nous encourage tous afin que la COP-21 puisse se conclure par l’adoption d’un Accord global et transformateur qui ait une orientation éthique claire, qui transmette des signaux forts à tous les acteurs impliqués et qui adopte une vision à long terme intégrant les trois objectifs que nous avons évoqués: alléger les impacts du changement climatique, combattre la pauvreté, promouvoir la dignité de l’être humain. Je vous remercie! »

 

1 -http://www.novethic.fr/
2 -Illusion financière, Gaël Giraud, Les Editions de l’Atelier, Paris, 2012, page 68
3 -Ibid., page 70
4 -Ibid. page 118
5 -On appelle « collatéral » l’ensemble des actifs, titres ou liquidités, remis en garantie par la contrepartie débitrice à la contrepartie créditrice afin de couvrir le risque de crédit résultant des transactions financières négociées entre deux parties. En cas de défaillance du débiteur, le créditeur a le droit de conserver les actifs remis en collatéral afin de se dédommager de la perte financière subie. http://www.fimarkets.com/pages/collateral.php
6 -http://justice-paix.cef.fr/spip.php?article613 7 La France a présidé et accueilli la 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21/CMP11), du 30 novembre au 12 décembre 2015. Cette échéance cruciale a abouti à un accord universel et ambitieux sur le climat dont l’objectif est de contenir la hausse des températures bien en-deçà de 2°C, et de s’efforcer de la limiter à 1,5°C. http://www.cop21.gouv.fr/comprendre/cest-quoi-la-cop21/