Migrants : Intégration et travail

L’émigration portugaise : un exemple
Lorsqu’en 2016, le président François Hollande a accueilli le président de la République portugaise Marcelo Rebelo de Sousa et deux cents représentants de la communauté portugaise à l’Hôtel de Ville de Paris, c’est sans hésitation qu’il a indiqué le chemin qui a permis aux migrants portugais d’atteindre leur niveau d’intégration actuel dans la société française : le travail.

Dans l’histoire de l’émigration portugaise, nul ne peut ignorer l’impact de la décision prise par Georges Pompidou, en avril 1964, d’imposer au ministre de l’Intérieur de l’époque, Roger Frey, la libre entrée en France des Portugais démunis de papiers et la demande de « ne pas entreprendre de poursuites pour entrée clandestine »[1]. Comme le disent encore de nombreux Portugais ayant émigré en France entre les années 1960 et 1980, c’est la possibilité « d’arriver à Paris le dimanche soir et de commencer à travailler le lundi matin » qui a permis à la communauté portugaise de trouver sa place et de s’intégrer dans la société française.

Le taux de chômage peut être considéré comme un indicateur de polarité négative du concept d’intégration : dans les communautés où le taux de chômage est plus élevé, le niveau d’intégration peut être considéré comme plus faible.

L’insertion dans un contexte de travail permet aux personnes migrantes d’apprendre plus rapidement la langue, les habitudes, les règles implicites et explicites du lieu où elles se trouvent. En même temps, le travail leur permet de renforcer leur confiance en eux, de créer un lien avec la communauté et le territoire dans lesquels ils vivent.

Travail : accès difficile
Cependant, si l’accès au marché du travail est généralement complexe pour tous, il l’est encore plus pour les migrants. Pour eux, les difficultés ordinaires sont aggravées par des raisons bureaucratiques et sociales, notamment la reconnaissance des qualifications, les relations souvent limitées avec la communauté d’accueil et la connaissance du contexte. De plus, près d’un quart du marché de l’emploi leur est interdit pour des raisons juridiques, ce qui peut expliquer leur concentration dans certains secteurs d’activité « ouverts ».

Les membres d’une communauté dans laquelle les activités professionnelles sont diversifiées ont la possibilité d’interagir avec des autochtones dans différents contextes de travail et, dans l’ensemble, de mieux connaître la société d’accueil. Ainsi, une situation de ségrégation sectorielle indique également un faible niveau d’intégration sociale d’une certaine communauté.

En France, l’accès aux fonctions qui peuvent être exercées par des étrangers n’implique pas que leur recrutement se fasse sans formalités administratives pour les entreprises et les travailleurs. En effet, que ce soit pour effectuer des fonctions salariées ou non salariées, une procédure d’autorisation préalable est nécessaire. Pour les non-salariés, elle prend la forme de la carte de commerçant étranger. Les travailleurs salariés, pour leur part, doivent obtenir une autorisation de travail. Seuls six autres pays européens (Autriche, Chypre, République Tchèque, Hongrie, Luxembourg, Pays-Bas) appliquent cette procédure.

Évidemment, la situation dans laquelle l’accès au travail reste plus compliqué est celle de la personne étrangère n’ayant pas de titre de séjour lui permettant de travailler en France. Les personnes étrangères, soit postulant pour certains métiers, soit installées depuis plusieurs années et démontrant avoir déjà occupé un emploi similaire, peuvent être régularisées mais à la discrétion du préfet. Si une personne migrante remplit certains critères (temps de présence sur le territoire, emploi, liens familiaux etc..), le préfet a le pouvoir de la régulariser… ou non. Les cas d’employeurs français qui tentent de régulariser la situation de leurs salariés et se désespèrent face à la lenteur et à la complexité du processus ne sont pas rares (Nous n’avons certainement pas oublié le boulanger de Besançon qui a fait une grève de la faim pendant plus d’une semaine pour protester contre l’expulsion de son apprenti guinéen[1]).

 

Réfugiés : dure réalité en France
En ce qui concerne les réfugiés, ils affichent des taux d’emploi plus faibles que les autres groupes de migrants. Cela tient à la fois à la fragilité de leur position et de leur parcours de vie, y compris les

traumatismes qu’ils ont subis, mais aussi aux obstacles administratifs et aux longs délais d’attente pour l’examen des demandes d’asile.

D’ailleurs, en ce qui concerne l’accueil et l’intégration des réfugiés, on peut se bercer de l’illusion que la France dispose d’un cadre stratégique similaire à celui de la plupart des autres États européens. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Une étude récente du JRS[1] montre que la France est à égalité avec la Hongrie en ce qui concerne l’accès effectif des demandeurs d’asile au marché du travail. La France est l’un des cinq États de l’UE qui refusent aux demandeurs d’asile l’accès à la formation professionnelle ; elle est également l’un des sept États de l’UE qui n’ont pas de véritable politique linguistique pour les demandeurs d’asile.

Un nouveau rapport élaboré dans le cadre du projet de recherche européen « Mécanisme National d’Évaluation de l’Intégration » (NIEM) montre également que la France « fait figure de mauvais élève en ce qui concerne le cadre législatif pour l’accès des réfugiés à l’emploi. La France demeure ainsi en queue de peloton, juste derrière la Roumanie et la Lettonie, notamment en raison des restrictions d’accès persistantes à certaines professions »[2].

Malheureusement, le débat politique en France sur le phénomène migratoire est largement conditionné par des peurs, des préjugés et des idées fausses. L’idée prévaut qu’il est nécessaire de restreindre l’accès des migrants au marché du travail, car ils volent les emplois des nationaux, augmentent la concurrence entre les travailleurs et font baisser les salaires.

Immigration : un plus économique
Contrairement aux idées reçues, l’immigration n’a que très peu d’effet sur l’emploi et sur le niveau de salaire, et a parfois même un effet positif. Dans son ouvrage le plus récent[3], Sophie-Anne Bisiaux, chercheuse et juriste en droit des étrangers, affirme que « dans un pays où la loi du marché domine, le nombre d’emplois n’est pas fixe, mais augmente en même temps que la population (les nouveaux arrivants se nourrissent, s’habillent, achètent des services et des biens, occupent un logement…). Autrement dit, le marché de l’emploi n’est pas un gâteau de taille fixe à partager en davantage de morceaux lorsque le nombre de convives se multiplie, mais le nombre de migrants lui-même augmente la taille du gâteau. Ce qui rend inopérant l’argument selon lequel les immigrés prendraient la place des nationaux ».

De fait, les effets positifs de l’immigration sur l’économie sont confirmés par une étude macroéconomique[4] publiée en 2018. Après avoir analysé des données de pays d’Europe couvrant la période de 1985 à 2015, les chercheurs ont constaté que lorsqu’un pays connaissait une augmentation du nombre d’immigrés, le PIB par habitant s’accroissait de manière significative pendant quatre ans, le taux de chômage baissait et les finances publiques s’amélioraient.

Même constat concernant les systèmes de protection sociale : les étrangers sont tout autant bénéficiaires que contributeurs. Et encore, ils ne sont pas toujours bénéficiaires, car bien souvent, les immigrés ne profitent pas pleinement de toutes les aides auxquelles ils pourraient prétendre, que cela soit par manque d’information, par discrimination au guichet ou encore par restriction des conditions d’attribution de ces aides.

Trois idées à retenir
Il n’y a pas de point final à la construction de la paix sociale d’un pays, mais le rôle fondamental du travail dans l’intégration des personnes migrantes dans la société d’accueil est indéniable. De plus, à la lumière des dernières études réalisées, il est difficile de soutenir que le système d’accès des étrangers au marché du travail français ne peut pas être amélioré. Mais au-delà des arguments sociologiques et économiques, n’oublions pas ce que nous enseigne la doctrine sociale de l’Église : « Il n’existe pas pire pauvreté que celle qui prive du travail et de la dignité du travail. Dans une société réellement développée, le travail est une dimension inaliénable de la vie sociale, car il n’est pas seulement un moyen de gagner sa vie, mais aussi une voie pour l’épanouissement personnel, en vue d’établir des relations saines, de se réaliser, de partager des dons, de se sentir coresponsable de l’amélioration du monde et en définitive de vivre comme peuple »[5].

 

 

[1] Pereira Victor, « Chapitre 6 / L’encadrement bilatéral de la migration portugaise vers la France », dans : La dictature de Salazar face à l’émigration. L’État portugais et ses migrants en France (1957-1974), sous la direction de Pereira Victor. Paris, Presses de Sciences Po, « Académique », 2012, p. 203-250.

[1] https://www.lepoint.fr/societe/doubs-l-apprenti-boulanger-guineen-regularise-son-patron-cesse-sa-greve-de-la-faim-14-01-2021-2409647_23.php

[1] Jesuit Refugee Service, 2021, Rapport « Bien accueillir les réfugiés et mieux les intégrer »

[2] Rapport NIEM, 2020, p. 43

[3] Sophie-Anne Bisiaux, En finir avec les idées fausses sur les migrations, Éditions de L’Atelier, 18 mars 2021.

[4] Hippolyte d’Albis, Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly, « Macroeconomic evidence suggests that asylum seekers are not a “burden” for Western European countries », Science Advances, vol. 4, n° 6, juin 2018, étude citée par Saman Musacchio, « De l’effet bénéfique des migrations sur l’économie », CNRS Le journal, 20 juin 2018.

[5] Pape François, Lettre encyclique Fratelli tutti sur la fraternité et l’amitié sociale, 3 octobre 2020, n 137.