L’Etat de droit, de quoi parle-t-on ?
L’État de droit au service de la justice et de la paix
La cour constitutionnelle de Pologne, dont la majorité est aux ordres du gouvernement a, le 8 octobre rendu un arrêt: « Il a été décidé que certains articles des traités de l’Union (Européenne) étaient incompatibles avec la constitution… qui leur serait juridiquement supérieure ».
En France un candidat (dit modéré), à l’élection présidentielle, ne propose pas autre chose pour « maîtriser les flux » migratoires : « Une loi constitutionnelle qui garantira que les dispositions prises ne pourront être écartées par une juridiction… au motif des engagements internationaux de la France ». Un autre surenchérit avec moins de retenue en affirmant : « Ce que le peuple dit haut et fort s’imposera à tout le monde, aux juges français et européens, aux biens pensants ». Souverainisme, populisme, démagogie, même combat ?
J’invite tous les « pensants-bien » à protester et à défendre l’État de droit.
Risque de dérives
La grave dérive polonaise n’a rien à voir avec les alertes qui peuvent être lancées en France. Mais attention aux propositions démagogiques qui entraineraient l’amoindrissement de l’État de droit.
De quoi parle-t-on ? Une marotte de juristes, le souvenir obsolète des textes français de 1789 ou de la Déclaration universelle des droits de l’homme (Nations unies 10.12. 1948) ? N’oublions pas que celle-ci fut proclamée pour que ne se reproduise pas la destruction systématique de millions d’humains.
L’État de droit affirme un principe d’organisation protecteur les libertés de chacun : le pouvoir est limité parce qu’il est assujetti (volontairement) à des règles fondamentales qu’il ne peut transgresser. L’État de droit exige la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. La création de conditions permettant à la justice de travailler en toute indépendance et d’exercer son devoir de contrôle. Le principe de légalité qui suppose un texte officiel pour motiver toute condamnation. Enfin le fondement démocratique de notre organisation sociale
Pour protéger nos libertés
De telles orientations sont rassurantes. Comment réaliser autrement la sécurité juridique des citoyens et la paix sociale ? Compte tenu des fluctuations inévitables dans l’exercice du pouvoir, notre pays, avec bien d’autres, a, en toute souveraineté, délégué à des textes et des organes extérieurs indépendants (européens ou mondiaux), le contrôle du respect effectif des principes fondamentaux, tels que les droits de l’homme. Pour ce faire, la nation intègre dans sa réglementation quelques textes européens ou internationaux portant sur des valeurs essentielles. Elle se soumet aux organes chargés de les faire respecter. Par exemple la Cour de justice de l’Union Européenne (27 pays) ou la Cour européenne des droits de l’homme (Conseil de l’Europe 47 états).
Chaque peuple selon son génie invente aussi des modalités nationales de régulation : conseil constitutionnel dont les décisions s’imposent, organes d’alerte tels que la Défenseure les droits, les comités d’éthique, la Commission française consultative des droits de l’homme, …
Sans oublier le rôle joué par la société civile qui s’organise pour dénoncer les abus, sensibiliser le public, contribuer à l’éducation et à la formation des citoyens ; ainsi que les instances dites « morales », les églises ou les mouvements d’idées, …
Réinventer la souveraineté démocratique
L’éditorialiste de La Croix (19.10.021), constatant que «la Pologne remet en cause le socle juridique européen », lance un appel aux acteurs politiques français : « Varsovie c’est placé dans une délicate contradiction et affronte une lourde responsabilité à l’égard de sa propre nation. Avis à ceux qui voudrait importer le même débat en France ».
La démocratie française est-elle en péril parce que certains responsables politiques proposent de fissurer l’État de droit ? Aucune comparaison entre la voie autoritaire polonaise et la situation française, mais le contexte politique invite à la prudence.
Soulignant la crise de la souveraineté de l’état français et à propos des tendances populistes qui s’expriment chez nous, Pierre Rosanvallon précisait : « Nous sommes donc confrontés à un double défi : réinventer des formes de la souveraineté qui ne peuvent plus se réduire au vote ; démocratiser les autorités indépendantes ou les cours constitutionnelles » (La Croix 20 01 2020). J’ajoute, surtout ne pas les dévaloriser !
Par ailleurs le réflexe qui consiste, face aux menaces du moment (par ex. le terrorisme), à en appeler au seul bon sens populaire contre l’État de droit, est à la fois mensonger et dangereux. Mensonger par ce que l’État de droit ne paralyse en rien la lutte contre ce fléau. Bien au contraire il la justifie, en permettant à tous les citoyens d’y adhérer quels que soient leurs convictions. Dangereux parce que renoncer aux valeurs fondamentales pour lutter contre les terroristes revient à leur donner la victoire. Ainsi, accepter de petits arrangements avec l’interdiction de la torture, sous prétexte de lutter contre les assassins, revient à adopter leur idéologie niant la dignité de l’autre.
L’urgence contre les libertés ?
À propos des menaces que génère la crise sanitaire et dans un cadre totalement différent, il est dangereux de « jouer l’urgence prolongée contre le respect des libertés ». Plusieurs associations alertent : lorsque le temps provisoire du droit de l’urgence (limitations exceptionnelles) s’éternise, ce sont les principes de l’État de droit qui risquent de disparaître. Ou d’apparaître inopportuns parce qu’inutiles ou inefficaces. Certains ont parlé, peut-être de manière excessive, d’une potion qui viendrait engourdir ou éroder quelques fonctions vitales de notre démocratie.
Les débats à propos de la loi dite de sécurité globale (Mai 2021, loi confortant le respect des principes républicains), méritent notre attention quant aux risques d’atteinte à plusieurs droits fondamentaux : pouvoirs de la police, droit à la vie privée et liberté d’information. Ne soyons pas naïfs pour affronter la violence de groupements sans foi ni loi. Ce n’est pas le temps des bisounours !
Cependant les modalités de lutte contre les violences qui empoisonnent la vie sociale doivent pouvoir être mises à jour dans le respect de l’État de droit. Il propose un cadre indispensable pour inventer une réaction juste et efficace contre les dangers qui menacent l’édifice démocratique français.
La vigilance quant au respect des droits humains n’est pas un luxe. Elle s’impose d’autant plus aujourd’hui que ceux-ci ne sont plus à la mode. La Haute commissaire aux droits de l’homme (ONU) constate « le plus sévère recul des droits humains que nous n’ayons jamais vu ».
Parce qu’à travers le monde, nombre de « résistants » à la dictature envient le système français, il revient à chacun de nous de défendre l’État de droit.
*dernier ouvrage paru, Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun. Ed. Salvator