Lutter contre nos peurs

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Du 17 au 19 février 2023, la Conférence européenne des Commissions Justice et Paix a été accueillie à Paris par Justice et Paix France pour la réunion annuelle de ses secrétaires généraux. L’idée d’affronter nos peurs en retissant du lien y a été adoptée comme « Action Concertée » du réseau pour les années 2023/2024, c’est-à-dire un thème commun permettant de partager idées, textes et initiatives.

La peur est une émotion puissante, contagieuse. Elle a quelques vertus et nous apprend l’attention, la prudence, l’adaptation, mais surtout des effets délétères tels que l’hypervigilance, le repli sur soi, l’agressivité. Ces derniers dominent notre monde actuel. Angoisses climatiques, peur des migrants, de la Russie, de l’inflation, du déclassement social sont largement exploitées par certains médias et certains politiques pour diviser, contrôler, instrumentaliser. L’exploitation de nos inquiétudes atomise nos sociétés, renforce le militarisme, le machisme et le complotisme. Nos institutions, locales comme internationales, s’en retrouvent fragilisées, l’ONU même en est/se voit (?) paralysée. Au nom de la sécurité, nous avons renoncé à tant de libertés que les concepts d’État de droit ou de démocratie sont désormais ébranlés.

Or, face aux crises multiples de ce monde fragmenté, nous sommes convaincus que l’humanité dispose de ressources créatives et spirituelles pour affronter ces peurs, se reconnecter et reconstruire un ordre politique et économique juste. En tant que chrétiens nous sommes inspirés en cela par de nombreux textes dont la clairvoyante lettre encyclique Fratelli tutti du pape François.

Nous pouvons mobiliser ces ressources et ces repères pour discerner, en particulier, [pour distinguer] les peurs fondées sur des excuses faciles permettant de ne pas partager ou d’ouvrir sa porte. Plusieurs balises nous aident en cela : d’abord la dignité humaine qui reste le sine qua non de notre engagement, la ligne rouge que nous refusons de négocier.

Tout être humain a le droit de vivre dans la dignité et de se développer de manière holistique ; ce droit fondamental ne peut être nié par aucun pays. Ce droit fondamental ne peut être nié par aucun pays. Les gens ont ce droit même s’ils sont improductifs, nés avec des limitations ou les ayant développées. Cela ne diminue en rien leur grande dignité en tant que personne humaine, une dignité fondée non pas sur les circonstances mais sur la valeur intrinsèque de leur être. Sans le respect de ce principe fondamental, il n’y aura pas d’avenir pour la fraternité ni pour la survie de l’humanité. (FT 107)

Cette fraternité s’avère également une clé de notre travail. Elle est, d’une part, une prise de conscience de notre humanité commune, comme l’ont magnifiquement capturé un Kant, un Schiller, ou encore le principe d’Ubuntu[1] et, d’autre part, un chemin quotidien puisque le frère, la sœur sont les plus proches, ceux dont les regards croisent les nôtres. Le terme met donc la barre haute en invitant à la cohérence entre principe général et pratique particulière, entre dire et faire. S’y risquer est possible pourtant, en faisant nôtre l’idée que la recherche de la vérité (plutôt que sa possession ou sa défense) est notre chemin, en humilité et en dialogue avec les autres (FT, chapitre 6). De fait, sur ces pistes inconnues, nous pouvons prendre des risques car nous nous savons accompagnés. Bien que faibles et faillibles, nous sommes d’une force qui nous dépasse et nous encourage à traverser nos craintes en tendant la main.

Solides, solidaires, reconnectés et ouverts, l’idée n’est pas nouvelle et reste difficile à mettre en œuvre, notamment dans un contexte d’urgence. C’est pourquoi, en 2023 et en 2024, chaque commission nationale Justice et Paix européenne est invitée à se mobiliser sur ce thème. Prendre la mesure de nos peurs, les accepter, les déconstruire sont de premiers pas sources de courage pour leur faire face, s’en saisir et mieux les traverser.

À Justice et Paix France, nous envisageons un travail commun sur ce thème à partir d’un atelier d’analyse et de déconstruction des peurs sociales actuelles. Nous partagerons ensuite cette approche avec nos partenaires européens. Pour cela, il nous faudra mobiliser des ressources humaines et pédagogiques, mais aussi intellectuelles et spirituelles. Vous êtes tous invités à y contribuer en nous écrivant et en nous faisant part de vos propositions[2]. Ainsi, ensemble nous pourrons dire « N’ayez pas peur » !

 

[1] Le mot « ubuntu », issu de langues bantoues d’Afrique centrale, orientale et australe, désigne une notion proche des concepts d’humanité et de fraternité     
[2] Justice.paix@cef.fr