L’approche faite par la presse du Rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie 2019, publié par la CNCDH en juin 2020, privilégie les constats et les analyses. Elle met peu en avant le côté le moins spectaculaire, les recommandations adressées aux autorités ; il y en a 59, dont 9 prioritaires (cf. Encadré).

Racisme anti-Noirs

Tous les journalistes reprennent le focus sur le racisme anti-Noirs (voir La Lettre de Justice et Paix de juillet-août 2020). Le 18 juin 2020, dans une interview à Europe 1, Jean-Marie Burguburu affirme : « Alors que la minorité noire est, avec la minorité juive, celle qui a la meilleure image, elle est en butte au quotidien à des préjugés offensants et des discriminations nombreuses. Sur les réseaux sociaux ou dans les stades, s’exprime un racisme anti-Noirs extrêmement cru, animalisant et violent, construit par opposition à une norme blanche. Plus de la moitié des descendants d’immigrés de l’Afrique subsaharienne ressentent un sentiment d’injustice à l’école, lié à leur couleur de peau. Il y a des réflexes de racisme et il y a la notion de racisme impensé, un racisme sans s’en rendre compte. Il faut lutter contre cela également. »

Fabiola Dor reprend le sujet du point de vue des entreprises (Les Échos, 18 juin 2020) : « Très peu de personnes osent aborder ce sujet en entreprise. » Marie Donzel, experte en inclusion et innovation sociale au sein d’Alternego, un cabinet de conseils spécialisé dans la gestion de conflits, poursuit : « Le racisme est un sujet clivant. Les entreprises, qui se définissent comme des lieux neutres, le perçoivent comme un sujet militant qui n’a pas sa place dans les bureaux ».

Tous les experts pointent l’importance de travailler à déconstruire les biais ancrés en chacun d’entre nous. Quand elles en sont conscientes, les personnes ont du mal à demander des formations. « Aucun manager ne veut engager sa réputation en étant perçu comme celui qui ne sait pas gérer ce type de situation, explique Dorothée Prud’homme, responsable d’étude à l’Association française des managers de la diversité ; on nomme des responsables ‘diversités’, mais souvent ces personnes n’ont quasiment pas de ressources pour atteindre leurs objectifs ». Elle évoque une autre difficulté : le manque d’exemple. »

« La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie est au cœur des principes fondateurs des droits de l’Homme. Pourtant, chaque jour en France, les propos racistes injurieux et les discours de haine se multiplient et alimentent la peur d’autrui. Ces discours s’accompagnent souvent d’actes racistes difficiles à quantifier et à sanctionner, entretenant un sentiment d’impunité chez leurs auteurs »

Jean-Marie Burguburu

Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)

« La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie est au cœur des principes fondateurs des droits de l’Homme. Pourtant, chaque jour en France, les propos racistes injurieux et les discours de haine se multiplient et alimentent la peur d’autrui. Ces discours s’accompagnent souvent d’actes racistes difficiles à quantifier et à sanctionner, entretenant un sentiment d’impunité chez leurs auteurs »

Jean-Marie Burguburu

Président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)

Tolérance accrue

Nathalie Birchem (La Croix, 18 juin 2020) relève que, globalement, depuis 1990, les Français semblent de plus en plus tolérants envers les minorités ethniques. Établi à partir des réponses à 69 séries de questions posées chaque année, l’indice longitudinal de tolérance se stabilise ainsi en 2019 à un niveau élevé : 66. En particulier, année après année, « la conception biologique du racisme est de plus en plus marginale dans l’opinion publique française ». Ainsi, seuls 6 % des Français estiment que « il y a des races supérieures à d’autres », le plus bas chiffre jamais enregistré. Désormais, 60 % des personnes interrogées ne se déclarent « pas racistes du tout », un niveau record là aussi, puisque le chiffre était de 28 % en 2000. Enfin, les discriminations sont très largement rejetées. Par exemple, 92 % des sondés estiment « grave » de « refuser l’embauche d’une personne noire qualifiée pour le poste ». Et 79 % jugent négativement une personne qui serait « contre le mariage d’un de ses enfants avec une personne noire ».

Contrôles policiers abusifs

Sud-Ouest s’intéresse aux pratiques policières (18 juin 2020) : « La commission rappelle aussi une enquête du Défenseur des droits (2016) selon laquelle les personnes « qui se considèrent comme noires », lors d’un contrôle d’identité, sont davantage victimes de comportements non conformes à la déontologie policière et courent davantage le risque d’être tutoyées, insultées, voire brutalisées ». Elles « considèrent que les forces de l’ordre sont un danger potentiel, en particulier pour les jeunes hommes, et que les contrôles policiers abusifs sont devenus une routine, quel que soit leur milieu social », a constaté la CNCDH, dans le cadre de ses auditions.

Dans ses recommandations, elle enjoint donc les pouvoirs publics « de développer des enquêtes permettant de mieux connaître les discriminations en particulier dans les services publics, les commissariats et les gendarmeries. »

Sélection marocaine

Le journal Maroc Diplomatique relève des points qui ont un écho pour lui : « 45 % des personnes interrogées sont convaincues que « l’islam est une menace pour l’identité de la France » (+ 1 point par rapport à 2018) ; 37 % jugent que « l’immigration est la principale cause de l’insécurité » (+ 3 points) ; 59 % sont persuadés que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale » (+ 2 points) ; 60 % pensent que « les Roms (qui restent la minorité la plus stigmatisée) exploitent très souvent les enfants » (– 3 points) ; et 34 % continuent de penser que « les juifs ont un rapport particulier à l’argent » (– 2 points).

La CNCDH enregistre, par ailleurs, une hausse des actes et des discours à caractère raciste en 2019. Elle épingle aussi l’ampleur du « chiffre noir » (actes qui échappent au radar de la justice) qui « reste à évaluer » : « largement sous-déclarés, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie se manifestent souvent à travers des formes de rejet subtiles parfois difficiles à caractériser et à dénoncer pour les personnes qui en sont victimes », estime le Rapport.

infographie

Source : CNCDH, Rapport racisme, antisémitisme, xénophobie 2019

Neuf recommandations prioritaires

  1. La CNCDH recommande au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) d’encourager la représentation des hommes et des femmes noires, y compris dans des fonctions d’expertise.
  1. La CNCDH recommande, depuis 2015, à l’État français de se doter d’une autorité indépendante de régulation qui serait notamment chargée de prévenir, de répondre rapidement, et de manière adaptée, aux discours de haine sur Internet.
  1. La CNCDH recommande que soit engagée une action coordonnée permettant à tous les enfants d’être scolarisés, quelle que soit leur origine réelle ou supposée, conformément aux lois en vigueur et aux engagements pris par la France lors de la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant en 1990. Le ministère de l’Éducation nationale devrait prendre appui sur les recommandations précises et complémentaires formulées par la CNCDH dans le présent rapport. Une attention accrue devrait être accordée aux territoires d’Outre-mer, notamment à la Guyane et à Mayotte.
  1. La CNCDH recommande de sensibiliser tout particulièrement les enquêteurs – policiers et gendarmes – à l’accueil des victimes, à la nécessité de recueillir des déclarations les plus approfondies possibles mettant en évidence le mobile raciste, sans préjuger de la complexité des éléments de preuve à rechercher, et de les former au maniement de ces qualifications juridiques.
  1. La CNCDH recommande de faciliter l’accès aux éléments de preuves relevant dans les entreprises et les administrations du contentieux anti discriminations pour permettre un travail d’investigation globale.
  1. La CNCDH recommande l’élaboration d’un plan d’action national de lutte contre le racisme Roms qui serait inclus dans le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
  1. La CNCDH recommande la création d’un module obligatoire dans la formation initiale des enseignants portant sur la lutte contre le racisme, les discriminations et les préjugés. De façon complémentaire, elle encourage le ministère de l’Éducation nationale à donner des consignes aux académies pour que soient mis en place des temps de formations banalisés sur les thématiques portant explicitement sur le racisme.
  1. La CNCDH encourage le ministère de l’Éducation nationale à poursuivre et à renforcer les liens qu’entretient le système éducatif avec les associations de lutte contre le racisme, les institutions mémorielles, les médias et les professionnels de l’éducation populaire. La CNCDH recommande de prévoir, au sein des académies, des temps d’échange à intervalles réguliers avec les partenaires de l’école (associations spécialisées, institutions de mémoire et de culture, etc.), en veillant, comme l’indique le plan 2018-2020, à développer des partenariats locaux entre des établissements scolaires et des lieux de mémoire. Les rectorats pourraient d’ailleurs établir et publier un annuaire et une présentation succincte des dispositifs et des outils accessibles à l’échelle locale.
  1. La CNCDH recommande un contrôle accru des obligations des forces de l’ordre lors des contrôles d’identité, et encourage fortement le ministère de l’Intérieur à mettre en place un dialogue concret entre les milieux associatifs et les écoles de formation aux métiers de policier et gendarme.