L’appel à la non-violence du Pape François : une perspective de paix durable face à la résurgence des conflits

Dans son message de paix pour l’année 2017, le Pape François a mis l’accent sur un principe éthique fondamental : celui de la non-violence dans toutes les relations humaines, quel que soit le domaine où elles se déploient.

Dans les relations internationales, comme dans les relations interpersonnelles et les relations sociales, la figure de l’autre ne saurait, pour les chrétiens, se résumer à celle du rival, de l’envahisseur et encore moins de l’ennemi. Il ne s’agit naturellement pas de rester passif devant l’agression injuste mais, lorsque le conflit est inévitable, de limiter la résistance au strict nécessaire, dans le respect du droit et en préparant la voie à la restauration du dialogue.

Une guerre mondiale par morceaux

L’appel du Pape François intervient dans un environnement stratégique qu’il désigne souvent comme « une terrible guerre mondiale par morceaux ». Il exprime par là son inquiétude devant une situation internationale globalement marquée, depuis le début des années 2010, par la multiplication des affrontements violents, causes d’immenses souffrances, tout particulièrement en Syrie, en Irak, au Yémen et dans d’autres pays du monde musulman. Des organisations extrémistes ont systématiquement recours au terrorisme, jusque sur le sol des pays occidentaux ou de la Russie. Sur le continent africain, la relative accalmie qui a suivi les terribles crises des années 1990, notamment au Rwanda, en Sierra Leone, au Libéria n’a pas débouché sur un environnement durablement pacifié.

Un grand nombre d’États restent aujourd’hui fragiles, en proie aux violences internes. Les interventions extérieures, notamment française au Mali et en République centrafricaine et les nombreuses opérations de paix des Nations Unies ont permis une certaine stabilisation mais sans parvenir à l’inscrire dans la durée.

Signe de la gravité de la situation sécuritaire dans plusieurs régions d’Afrique et du Moyen-Orient, la disette devient famine au nord-est du Nigéria, au Soudan du Sud, en Somalie et au Yémen. Comme l’a souligné Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, « mourir de faim aujourd’hui, c’est mourir des conséquences de la guerre ».
En Europe même, le conflit ukrainien n’est pas résolu. Ni la Russie ni l’Ukraine n’appliquent loyalement les accords de Minsk de février 2015. En réponse, les Occidentaux ont choisi d’exercer une pression sur la Russie qui, par le biais des sanctions, atteint surtout la population russe.

L’Alliance atlantique renforce son dispositif militaire aux frontières de la Russie en organisant des déploiements de forces, certes limités, mais suffisants pour aggraver le climat de confrontation. Cette présence hostile de forces surarmées à la frontière russe pourrait, si elle se développait et n’était pas assortie de gestes de dialogue politique et de transparence mutuelle, créer un risque d’incidents militaires graves, alors même que la Russie annonce qu’elle est prête à user de l’arme nucléaire pour empêcher toute attaque contre son territoire.
Face à une telle situation, comme à d’autres, par exemple au Cachemire (conflit Inde – Pakistan depuis la partition d’août 1947) ou en mer de Chine du Sud, l’augmentation des budgets de la défense, la modernisation des équipements militaires, la croissance des ventes d’armes destinées à faciliter le financement de matériels toujours plus sophistiqués et coûteux n’offrent pas de perspective de paix durable.

Les pays de l’Alliance atlantique se sont engagés, largement à la demande des États-Unis et dès avant l’élection de Donald Trump, à porter leur budget de la défense à 2 % de leur PIB et à consacrer 20 % de ce budget à l’équipement, souvent d’origine américaine. Loin d’amener la Russie à résipiscence, ces mesures ne pourront que conduire à une nouvelle course aux armements, à un rapprochement stratégique russo-chinois et à un surcroît d’instabilité.

Pour une démarche politique et diplomatique tournée vers la non-violence

C’est une autre voie qu’il convient de suivre pour accroître les chances de la paix. Dans cette perspective, le Pape François propose une démarche politique et diplomatique intrinsèquement tournée vers la non-violence.

En Syrie, les espoirs de cessez-le-feu sont minces à court terme ; les tentatives de négociations internationales sont compromises pour le moment par la coexistence de deux processus : celui d’Astana reposant sur la médiation conjointe de la Russie, de l’Iran et de la Turquie et celui, plus ancien, de Genève, principalement soutenu par les pays occidentaux et les monarchies du Golfe et faisant du départ du président Bachar El-Assad le préalable à un retour à la paix. La réconciliation est donc lointaine et la menace terroriste d’organisations comme « l’État islamique », toujours présente malgré les interventions militaires extérieures, notamment de la coalition dirigée par les États-Unis.

L’essentiel serait cependant, pour toutes les parties, de sortir d’une logique de violence et d’engager la reconstruction avec le concours de tous. De ce point de vue, le facteur déterminant pour la paix serait la constitution d’un nouveau pouvoir exécutif représentant l’ensemble des belligérants en vue de l’organisation d’élections libres et équitables dans le cadre d’un arrangement constitutionnel multiconfessionnel et multiethnique, conformément à la résolution 2254 du 15 décembre 2015 du Conseil de sécurité.

Comme le Pape François l’a souligné dans son message de paix pour 2017 : « la force des armes est trompeuse » ; elle ne peut qu’entretenir l’illusion d’une issue militaire, au prix de terribles violences dirigées contre les civils.

François précise néanmoins dans le même texte que la non-violence ne doit pas être comprise « dans le sens de capitulation, de désengagement et de passivité ». L’injustice, les tentatives de faire prévaloir la force sur le droit ne sauraient être acceptées. Mais ce n’est pas en intensifiant la guerre et en perpétuant le cycle des violences que l’on rétablira la justice. Ce sont au contraire les mécanismes de la justice transitionnelle et, à plus long terme, de la justice pénale internationale qui permettront d’atteindre ce but. De même, la convention d’interdiction des armes chimiques doit être pleinement mise en œuvre et les failles apparues dans son fonctionnement corrigées : le retour à la paix en Syrie suppose qu’il soit mis fin de façon vérifiable et contraignante à toute menace d’emploi ou à tout emploi de cette arme de destruction massive.

Les victimes doivent par ailleurs être secourues, notamment lorsqu’elles cherchent refuge loin de leur foyer, dans d’autres régions de leur pays, dans des pays voisins ou en Europe. Il est également essentiel pour la construction d’une paix juste et durable que leur parole soit entendue dans le cadre du processus de paix.

Logique de paix et dissuasion nucléaire

Comme le souligne François dans son message de paix pour 2017, les logiques de paix ne pourront prévaloir que si se développe « une éthique de fraternité et de coexistence pacifique entre les personnes et entre les peuples ». Cette éthique exclut « la logique de la peur, de la violence et de la fermeture » mais suppose « la responsabilité, le respect et le dialogue sincère ». Elle est donc contraire à « la dissuasion nucléaire et à la menace de la destruction réciproque assurée ». C’est pourquoi le Pape François lance « un appel en faveur du désarmement ainsi que de la prohibition et de l’abolition des armes nucléaires ». Il n’est pour le moment repris que par peu de conférences épiscopales.

Cet appel du Pape répond à la situation actuelle de course aux armements nucléaires. L’arsenal nucléaire américain fait ainsi l’objet d’une modernisation qui s’apparente à une véritable refonte pour un coût considérable : 350 milliards de dollars sur dix ans. Les États-Unis poursuivent par ailleurs le développement de leurs systèmes de défense antibalistique avec la coopération de leurs alliés européens, japonais et sud-coréen, ce qui inquiète tant la Russie que la Chine.

Quant à la Russie, malgré des moyens incomparablement plus limités, elle réussit à renouveler progressivement toute la gamme des armements hérités de l’URSS, ce qui illustre le degré de priorité qu’elle accorde à ses forces nucléaires. La France et le Royaume-Uni s’engagent dans une politique comparable de renouvellement de leurs systèmes nucléaires, quoique à une échelle plus réduite. La Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël suivent la même voie.

L’état de l’armement nucléaire nord-coréen est mal connu mais il est hors de doute, qu’à terme rapproché, la Corée du Nord se dotera aussi d’explosifs nucléaires opérationnels et de vecteurs balistiques pour les transporter. La Chine se refusant à appliquer tous les moyens dont elle dispose pour contraindre son allié nord-coréen à mettre fin à son programme nucléaire, une crise de non-prolifération grave risque de surgir et de déboucher même, à terme, sur une intervention militaire américaine aux conséquences incalculables.

Dans ce contexte, le Pape François a publié, le 29 mars 2017, un message d’encouragement aux quelque 130 pays non nucléaires qui négocient à l’Assemblée générale des Nations Unies une convention d’interdiction des armes nucléaires. Il y souligne que « la paix et la stabilité internationales ne peuvent être fondées sur un faux sens de sécurité, sur la menace d’une destruction réciproque et d’un anéantissement total ni sur le simple maintien d’un équilibre des puissances ». Il y fait valoir que « l’objectif final de l’élimination totale des armes nucléaires » est « un impératif moral et humanitaire ».

La société civile internationale est ainsi invitée à se mobiliser davantage encore pour rappeler aux puissances nucléaires leurs responsabilités à l’égard de la paix et de la sécurité internationales et exiger d’elles qu’elles s’engagent « de bonne foi » comme le prévoit le traité de non-prolifération, dans un processus progressif, équilibré et contrôlé d’élimination de la menace des armes nucléaires.

Stabiliser les États fragiles par le dialogue, la médiation, l’aide à la reconstruction, refuser la spirale de la course aux armements, s’orienter vers la construction d’un monde sans armes nucléaires : ces thèmes, dégagés par le Pape François, sont au cœur du débat sur l’avenir de la sécurité internationale. Ils sont défendus et développés par les représentants du Saint-Siège auprès des organisations internationales. Les mouvements d’Église, certaines conférences épiscopales, conjointement avec des organisations de la société civile, s’efforcent de les reprendre et de les relayer dans leur dialogue avec les responsables politiques et leur plaidoyer public.