De par Dieu !
Avec le centenaire de la canonisation de Jeanne d’Arc, plusieurs ouvrages ont paru, notamment, une biographie de Valérie Toureille, exploitant des sources non explorées[1], et, ces jours-ci, un Document Épiscopat (DE), en quatre parties, avec Panégyrique[2].
Jeanne d’Arc (1412-1431), déclarée relapse et hérétique, a été brûlée vive le 30 mai 1431, réhabilitée le 7 juillet 1456. Mgr Dupanloup (1802-1878), dans son second Panégyrique de Jeanne (1855/1869) propose sa canonisation, une occasion pour proclamer que « les vertus chrétiennes peuvent s’allier admirablement avec les vertus civiques et patriotiques ». Jeanne est béatifiée en 1909, canonisée le 16 mai 1920. Par la loi du 10 juillet 1920, « la république française célèbre annuellement la fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme » (art. 1), au « jour anniversaire de la délivrance d’Orléans » (art. 2), un monument devant être élevé à Rouen « À Jeanne d’Arc, le peuple français reconnaissant » (art. 3). Pie XI la proclame co-patronne secondaire de la France, le 2 mars 1922.
Dès le 31 juillet 1429, peu après le sacre royal, Christine de Pizan achève son Ditié de Jehanne d’Arc. Les travaux sur Jeanne sont fort nombreux : Jules Quicherat, le P. Doncœur, Régine Pernoud[3], fondatrice du Centre Jeanne d’Arc à Orléans, Philippe Contamine – son premier directeur (cf. DE, IIe partie), etc. Pour Valérie Toureille, le parcours de Jeanne « peut s’interpréter de façon différente selon qu’on prête foi ou non au caractère divin de sa mission » (p. 9). Rarement un personnage de l’Histoire aura été adopté par des groupes aussi divers, dans le monde entier[4]. Qu’on en juge avec quelques exemples.
Le 25 octobre 1960, en battant un Britannique, le boxeur Alphonse Halimi, de la communauté juive de Constantine, devient champion du monde et s’écrie : « J’ai vengé Jeanne d’Arc ! » (B. Stora, Les clés retrouvées, ch. 2). Un sentiment anti-anglais préside à certains attraits américains pour Jeanne (cf. ses nombreuses statues : Philadelphie, etc.) ; Marcelline Brun montre que Jeanne, vue comme républicaine !, est associée aux guerres d’indépendance (1775-83), de sécession (1861-65), et mondiales (1914-18 ; 1939-45)[5]. Jeanne est archétype de l’héroïne patriote et résistante. Ryu Gwan-Sun est la « Jeanne d’Arc coréenne » dans l’indépendance vis-à-vis du Japon (1919), Anna Dickinson, la « Jeanne d’Arc de la cause unioniste » aux USA, Dilma Rousseff, « Jeanne d’Arc de la guérilla » (Brésil)…
Des féministes fondent en 1909 la Joan of Arc Suffrage League pour obtenir le droit de vote. Jeanne « inspire » nombre d’auteurs (Shakespeare, Voltaire, Twain, Madonna…), de films (cf. DE, IVe partie), des BD et des jeux vidéo (Japon), etc. Condamnée, notamment en raison du port de vêtements masculins, Jeanne est parfois revendiquée par certains milieux LGBTQ. Que de récupérations !
Bien des croyants y voient la résistante et la messagère de Dieu (cf. DE, IIIe partie). Lors de son procès, Jeanne récuse le terme de « chef de guerre » qu’on lui attribue. Sa seule légitimité ? Être envoyée « de par Dieu », dit-elle (cf. DE, Ire partie). Comme pour saint Paul, sa vocation s’inscrit dans des « révélations ». D’aucuns resteront sceptiques. On peut tenter de pénétrer dans le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, avec Péguy (1910). « Tous ceux qui ont tenté d’expliquer Jeanne sans Dieu se sont perdus dans un labyrinthe aux dédales inextricables », constatait le pape Benoît XV (16 mai 1920).
[1] Valérie Toureille, Jeanne d’Arc, Paris, Perrin, septembre 2020, 428 p.
[2] Mgr J.-P. Batut dir., Jeanne d’Arc, une figure d’héroïsme et de sainteté, Document Épiscopat n° 12 – 2019, 115 p.
[3] Par ex. Petite vie de Jeanne d’Arc, Paris, Artège, décembre 2017, 142 p.
[4] Au moins 90 pays dans Pascal-Raphaël Ambrogi – Dominique Le Tourneau, Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc, Desclée de Brouwer, 2017, 2010 p.
[5] « Jeanne d’Arc, des pays de la Loire à ceux du Potomac » (www.persee.fr › abpo_0399-0826_1986_num_93_3).