Instituts religieux et associations : une solidarité renouvelée
Justice et Paix publie un troisième livret dans la collection “Ensemble et avec”, consacré aux pratiques associatives développées ces dernières années par les instituts religieux.
Elles révèlent une nouvelle manière de vivre la solidarité internationale.
Le contexte
De nombreux religieux et religieuses issus de congrégations locales françaises ont répondu à l’appel missionnaire de Fidei Donum[1] et sont partis vivre dans un autre pays, dit de mission, au service de ceux et celles qui les ont accueillis. Peu à peu, des femmes et des hommes issus de ces pays, la plupart « du Sud », sont entrés dans ces congrégations et ont constitué des groupes de religieux ou religieuses plus ou moins importants, d’origine autochtone, au sein des Églises locales et en proximité avec les populations. Le visage de l’Institut d’origine française a ainsi changé, le corps-congrégation est devenu interculturel. Aujourd’hui, les religieux (ses) du « Nord », rentrent en France, souvent pour des raisons d’âge ou de santé, ce qui amène les Instituts à considérer de façon nouvelle leur situation devenue internationale, à vivre autrement la solidarité entre leurs membres, dans une interdépendance à construire, et cela dans un contexte de mondialisation toujours croissante.
C’est à partir de cette réalité que Justice et Paix a déjà publié deux livrets, chacun en réponse à un défi particulier. Le premier, Ensemble et avec – des religieuses africaines sur un chemin d’autonomie, aborde la question de l’autonomie financière des communautés religieuses du « Sud », à partir d’une expérience très originale de travail en inter-congrégation au Burkina Faso et au Niger, développé autour de l’association ASIENA[2]. Le deuxième, L’interculturel, un défi pour les instituts religieux, analyse les relations interculturelles à l’intérieur d’une congrégation, et propose des repères et des outils pour travailler cette dimension dans le cadre d’un institut ou d’une communauté.
En continuité avec ces deux problématiques, Justice et Paix présente dans ce troisième livret une analyse des pratiques associatives qui se sont multipliées au sein des institutions religieuses, ces dernières années. Que ce soit à travers la création d’associations à l’intérieur des congrégations, ou à travers des liens privilégiés avec des associations tierces, ou encore à travers l’engagement des religieux (ses) dans le monde associatif, ces pratiques disent quelque chose de nouveau sur la manière de concevoir la solidarité internationale. Ce troisième livret vise à déceler cette nouveauté et à capitaliser l’innovation en termes de moyens et d’outils qui permettent de faire cette nouvelle expérience de solidarité.
Un constat de départ
Si les Instituts nés en France sont, pour la plupart, confrontés à la réalité internationale dans leur identité même, ils le sont aussi dans leur propre fonctionnement interne, comme dans la gestion de leurs œuvres. En effet, ils se trouvent de plus en plus impliqués dans des systèmes de capitalisation, de gestion, de répartition des richesses, de partage ou de dons qui dépassent les frontières.
Les orientations des chapitres[3] incitent de plus en plus à rechercher un monde plus solidaire et plus juste et à s’engager dans ce sens ; à travailler pour « l’intégrité de la création » ; à créer une « ONG » ou à constituer des associations de donateurs pour soutenir des projets de développement proposés par l’Institut lui-même ou par ses membres… Étant donné l’évolution démographique des Instituts religieux qui grandissent dans les pays du Sud, les acteurs et actrices de nombreux projets sont (ou seront) de plus en plus issus de ces pays. Soit ils reproduiront le modèle économique occidental, soit ils inventeront de nouvelles manières de faire.
Un nouveau défi à relever
C’est celui de la solidarité et de la justice dans un contexte de décalage économique Nord / Sud dans un même Institut. Ce défi devient celui du partage responsable, d’une répartition juste des ressources et d’une interdépendance concertée.
Dans un système mondial en crise où sont questionnés de façon assez radicale les rapports au progrès et à l’avenir, les rapports aux biens et à l’argent, le rapport à la consommation, quels sont les chances et risques de nos pratiques de solidarité pour l’émergence d’un système économique et social plus humain et plus juste ? Comment passer d’une solidarité d’aide, (dans une relation riche / pauvre) à une solidarité de réciprocité et de droits (tous responsables du développement de tous, tous donateurs et tous bénéficiaires) ? Comment passer de relations bilatérales (un donateur / un bénéficiaire) à des solidarités de réseaux (réseaux de donateurs / réseaux de bénéficiaires) ? Comment passer d’une conception « occidentale » de la gestion à des modes de gestion pluriels ?
C’est le nouveau défi que veulent relever les Instituts religieux qui fait l’objet de ce livret. En effet, les jeunes régions ou provinces d’Instituts religieux internationaux sont préoccupées de leur auto-prise en charge et de leur autonomie face au vieillissement du « Nord ». La multiplicité et la diversité des partenariats et des associations où Instituts religieux et laïcs sont impliqués ensemble dans des solidarités Nord / Sud ne sont pas sans interroger le rapport implicite Nord/Sud qu’ils induisent. L’émergence de nouvelles manières de penser le développement et la solidarité, les crises mondiales, Nord et Sud confondus, incitent les Instituts religieux à repenser leur projet de fraternité, leur mise en commun des biens, à actualiser leur identité d’Institut appelé à relever le défi des inégalités Nord / Sud au sein même de leur corps apostolique
Des pratiques nouvelles
Depuis quelques années, on peut observer une évolution des pratiques de solidarité Nord/Sud mises en place par les Instituts religieux, à travers notamment la création d’associations de solidarité propres à l’Institut. La demande d’aide financière à des organisations de développement tend à se transformer peu à peu en partenariat et conduit à penser les choses autrement.
À travers ces expériences significatives, on a cherché à identifier les risques, les chances, les facteurs de changement, et aussi ce qui est radicalement nouveau. On a été particulièrement attentif à la manière de concevoir l’économie et la gestion des ressources, la propriété et la répartition des biens, le rapport à la création et à l’avenir. Comment ces pratiques élargissent-elles notre compréhension de la solidarité ? Vont-elles permettre de relever le défi des inégalités au sein d’un corps apostolique et de la société ? Vont-elles contribuer à une nouvelle manière de vivre l’appartenance à un même Institut religieux ? Comment vont-elles apporter un éclairage nouveau dans la manière de définir la mission de l’Institut, mission partagée de cette façon avec des laïcs et d’autres associations ? Peuvent-elles faire percevoir l’économie comme un lieu de mission ?
Une méthode de travail
On est allé à la rencontre de congrégations qui ont créé des associations, afin d’identifier les raisons qui ont poussé à leur création, les objectifs attribués, le fonctionnement mis en place, le type de lien établi avec les bénéficiaires, et les chances et risques perçus dans ce type d’organisation.
Ces observations ont été enrichies par d’autres apports provenant d’associations qui travaillent en partenariat avec des instituts religieux ou qui comptent pour leurs projets sur l’engagement individuel de religieux(ses). On retrouve dans ce livret le fruit de ces recherches et de ces réflexions. Il s’agit des premiers résultats d’une étude en cours, qui nous l’espérons, pourra contribuer à inventer l’avenir.
Une pédagogie
Le livret est structuré en quatre parties au travers desquelles on cherche, d’une part, à systématiser et à analyser les pratiques associatives des congrégations, et d’autre part, à ouvrir des pistes d’action pour aider à développer ce que nous percevons à travers ces pratiques comme des germes de nouveauté en termes de solidarité internationale. C’est ainsi qu’à partir des réponses obtenues des congrégations interrogées, on commence par rassembler et classifier les pratiques (1ère partie), pour déceler ensuite ce qu’elle disent de nouveau en termes de solidarité (2ème partie). Ces nouveautés sont ensuite illustrées par trois expériences qui nous ont semblé particulièrement innovantes (3ème partie). On conclut la réflexion en proposant des chemins à explorer, notamment à trois niveaux : en termes de valorisation de ressources non monétaires, de partage du pouvoir, et de regard sur la solidarité.
Ce livret constitue ainsi un appel à poursuivre ensemble ce chemin de réflexion et d’action autour des pratiques associatives des congrégations, à travers lesquelles quelque chose de nouveau se dit sur la solidarité et sur la vie religieuse.
[1] Traduction « Le don de la foi », encyclique de Pie XII, avril 1957.
[2] Association Interreligieuse Ensemble et Avec
[3] Un chapitre est la plus haute instance de décision d’un Institut Religieux, il a généralement lieu tous les 5 ou 6 ans. C’est pendant le chapitre que sont élus les responsables de l’Institut et que sont décidées les grandes orientations pour les années à venir.