« L’impression qui y prévaut en France est plutôt négative et source d’inquiétude : Les Frères musulmans prennent le pouvoir ici et là ; la charia devient une référence dans le droit de certains pays ; les chrétiens se sentent menacés ; à terme cette vague ne menace-t-elle pas l’Occident ?»
Je ne partage pas ce pessimisme, même s’il y a ici de vrais sujets d’inquiétude. Un puissant sentiment de liberté a soufflé sur l’Égypte après la chute du régime de Moubarak, le mur de la peur est tombé ; pour la première fois de leur vie, pour la plupart d’entre eux, les Égyptiens ont voté et ils l’ont fait avec fierté : ce sont là des acquis immenses, sous-estimés quand on est loin, que l’on n’a pas connu les contraintes de l’état d’urgence (40 ans !), l’omniprésence de la police et ses excès, l’arrogance du régime déchu. Cette révolution est d’abord une requête de dignité. Maintenant, l’euphorie des commencements est retombée, on est entré dans le temps de la politique et la transition ne peut qu’être longue : au moins quinze ans, disais-je déjà l’an dernier. Les premiers scrutins, les législatives, ont donné une large majorité aux islamistes (76% des voix), ce qui n’est pas une surprise dans un pays où l’islam imprègne beaucoup les mentalités populaires. Pour les présidentielles, le scrutin était déjà plus partagé : Mohamed Morsi, candidat des islamistes, est passé de justesse (51%). La Constitution qu’il vient de faire passer en force n’a mobilisé, elle, que 32,9 % de l’électorat et, au total, seul un Égyptien sur cinq a voté pour. Faut-il y voir une première prise de distance par rapport aux partis islamistes ? Le scrutin à venir des législatives nous le dira, peut-être. L’opposition libérale, elle, peine à s’organiser, à constituer un front uni, avec un programme cohérent, mais faut-il s’en étonner dans un pays qui a vécu près d’un demi siècle sans place pour le débat politique, sans véritable liberté d’expression ? Dans un pays encore analphabète à 40%, il est encore assez facile de mobiliser des masses en s’appuyant sur des prédicateurs de mosquées (ou d’églises). Il faut donner le temps aux Égyptiens de faire cet apprentissage de la liberté, du débat politique, de la citoyenneté.
Pour l’heure, le pays souffre moins de la violence, finalement assez limitée à quelques manifestations, que d’une sérieuse dégradation de la situation économique et sociale : le tourisme a baissé de 30 à 40%, l’investissement étranger des multinationales (de l’ordre de 15 milliards de $ par an) s’est quasi arrêté, ce qui a des effets dramatiques sur l’emploi et sur la parité de la monnaie que le budget de l’Etat doit soutenir à grands frais ; la liberté recouvrée a ouvert la voie à d’innombrables revendications sociales et à des grèves. Blâmée pour ses excès passés et l’impunité dont elle jouissait, la police a quasi disparu de l’espace public durant des mois, ouvrant la voie à une certaine insécurité que nous ne connaissions pas. Bref, ce n’est pas l’enfer, loin de là, mais plus compliqué qu’avant tout de même. Cela dit, il n’est pas dangereux du tout de venir en Égypte et d’y vivre !
Plutôt que de se lamenter ou de lever les bras au ciel en nous annonçant le pire pour demain (la charia, à la mode iranienne ou saoudienne), nous avons mieux à faire dans deux directions :
- Essayer de comprendre cette transformation sociale : nous sommes seulement à son début. Elle est en partie impulsée par la réalité de la mondialisation : internet est dans beaucoup de foyers, les jeunes ont leur compte facebook. Les discours rétrogrades n’auront qu’un temps.
- Voir que l’urgence est de ne pas sombrer dans le pessimisme, de ne pas déserter. C’est la tentation des chrétiens d’Orient, dont je peux comprendre la lassitude face à l’envahissement de l’espace public et de la vie sociale par un islam politique militant. Il est légitime de soutenir les chrétiens d’Égypte dans la défense de leurs droits, mais en évitant d’en faire un ghetto qui vit sur la défensive. Au-delà des transformations politiques en cours, l’Égypte vit une véritable révolution culturelle, où chrétiens et musulmans sont confrontés au défi de devenir des citoyens, acteurs de leur destin. Le clivage n’est pas d’abord entre chrétiens et musulmans, mais plutôt entre partisans d’une société plurielle et ouverte et partisans d’un ordre social figé, justifié par une idéologie religieuse d’un autre âge. Les chrétiens ont un rôle à jouer, quelque chose comme le « levain dans la pâte » dont parle l’Évangile, mais cela requiert la volonté de rester, d’être acteur et suppose donc du courage. Ce n’est pas une mince affaire, mais c’est une belle mission. »
Le gouvernement a lancé en novembre 2012 des Assises du développement et de la solidarité internationale, qui se clôtureront le 1er mars 2013 par une conférence en présence du Président de la République.
Les Assises : un processus participatif bienvenu.
Les Assises du développement et de la solidarité internationale, proposées par le Gouvernement et animées par plusieurs ministères, se veulent aussi un temps de réflexion participative et rassemblent d des acteurs divers : ministères, ONG, fondations, entreprises, syndicats, collectivités territoriales, parlementaires … Les discussions se structurent autour de 5 thématiques, correspondant à des enjeux essentiels pour la politique de développement : la vision du développement après 2015, l’efficacité de l’aide, la cohérence des politiques en faveur du développement, les partenariats entre l’Etat et les acteurs non-gouvernementaux, les innovations technologiques et sociales.
Un site internet (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/aide-au-developpement-et/assises-du-developpement-et-de-la/) est mis en place pour informer sur les évolutions de la réflexion et pour recueillir les contributions des acteurs qui n’ont pu être associés aux tables rondes ainsi que celles des acteurs du Sud. Des réunions sectorielles se déroulent en parallèle des Assises sur des questions comme l’agriculture, la prévention et la lutte contre le SIDA, ou le genre.
Faire travailler ensemble des acteurs divers n’est jamais facile et les premières tables rondes n’ont pas toujours évité l’écueil des discours parallèles qui ne se rencontrent guère. Mais l’initiative reste à saluer car, en associant des acteurs divers, aux intérêts parfois divergents, elle contribue à enrichir le dialogue politique. Les ONG espèrent que ces Assises aboutiront à l’instauration d’un cadre pérenne pour un dialogue multi-acteurs sur la politique de développement et de solidarité internationale et à une loi d’orientation et de programmation de la politique de développement.
2015 : échéance pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement
2015 correspond à l’échéance fixée pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) votés lors de l’Assemblée Générale des Nations-Unies en l’an 2000. Ces 8 objectifs, centrés sur la lutte contre la pauvreté et l’amélioration des conditions de santé dans les pays les plus pauvres, ont permis des avancées incontestables, quoique très différenciées. Le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour devrait avoir diminué de moitié entre 1990 et 2015, alors que les progrès en matière de lutte contre la faim ou de mortalité maternelle restent dramatiquement lents.
Les OMD ont provoqué une certaine relance de l’Aide Publique au Développement (APD), au plus bas au début des années 2000. Ils ont aussi permis aux sociétés civiles de mieux peser sur les politiques de développement menées par les gouvernements et les bailleurs de fonds, à travers le suivi des résultats en matière d’OMD.
Tous les OMD ne seront pas atteints en 2015, et surtout, ils ne le seront pas partout. Il reste donc aux gouvernants et à la société civile à peu près deux ans pour définir un agenda post2015 à la fois ambitieux et réaliste. Pour que cette nouvelle vision du développement soit considérée comme pertinente, il est essentiel que le processus d’élaboration des objectifs post2015 soit fortement participatif et inclusif. Les Assises du développement et de la solidarité internationale y contribuent en ce qui concerne la France.
Emergence du développement durable.
L’élément le plus nouveau dans le paysage international est sans doute l’émergence du développement durable au cœur du processus de réflexion. Le Sommet de la Terre, qui s’est réuni fin juin 2012 à Rio de Janeiro, 20 ans après celui de 1992, est cependant perçu par beaucoup comme un échec, avec sa déclaration finale sans ambition.
Cette conférence de Rio+20 a cependant permis de rappeler l’importance d’une approche pluridimensionnelle du développement. Les trois piliers du développement durable que sont le social, l’économique et l’environnemental sont indissociables. Il ne s’agit pas d’abandonner la lutte contre la pauvreté comme un objectif essentiel (ce fut l’apport majeur des OMD que de remettre cette lutte au cœur des politiques de développement). Mais il s’agit de prendre en compte les phénomènes émergents comme la montée des inégalités (en particulier à l’intérieur des pays), le besoin de régulations renforcées qu’ont montré les crises financières et alimentaires, la dégradation de l’environnement et les changements climatiques.
L’élément le plus novateur de Rio est probablement l’engagement d’élaborer des Objectifs de Développement Durable (ODD). Ceux-ci doivent être établis d’ici 2015. Vont-ils remplacer les OMD ?
Faire converger OMD et Objectifs de Développement Durable pour aboutir à un agenda qui concerne tous les pays.
Il est essentiel que les processus de préparation des Objectifs du Développement Durable (lancé à Rio) et des post –Objectifs du Millénaire pour le Développement (ce dernier, piloté par le Programme des Nations Unies pour le développement convergent, ce qui n’est pas encore clairement le cas, au risque d’aboutir à deux processus concurrents et illisibles. Il en va de la crédibilité de la communauté internationale.
Des consultations nationales sont menées actuellement dans près d’une centaine de pays sur des thèmes comme les inégalités, la croissance, l’emploi, la sécurité alimentaire, etc.… Ces consultations, organisées par le PNUD, permettront de préparer le sommet sur les OMD prévu en septembre 2013 dans le cadre de l’assemblée générale des Nations-Unies. Ce sera un moment décisif pour travailler à la convergence des différents processus préparant l’agenda post -2015.
Pour beaucoup d’acteurs sociaux et d’ONG, la promotion d’une approche multidimensionnelle du développement, plus durable et plus universelle (concernant le « vivre ensemble » et le « faire société » dans tous les pays, riches ou pauvres) implique d’accentuer les efforts sur la lutte contre les inégalités, au premier rang desquelles on trouve les inégalités homme-femme, dont la persistance est révélée à travers les progrès beaucoup trop lents réalisés en matière de baisse de la mortalité maternelle (l’OMD n°5). Pour cela, il nous faut aussi repenser, dans tous les pays, notre modèle de développement et de croissance, créer des emplois durables, diminuer notre empreinte écologique, favoriser les liens, plus que les biens, et renforcer la gouvernance démocratique à tous les niveaux. C’est pourquoi il ne faut pas opposer développement durable et lutte contre la pauvreté. Les deux sont interdépendants et indissociables.
Pour un travail commun des sociétés civiles et des Etats
L’un des risques majeurs des processus évoqués ici, et c’est vrai aussi pour les Assises du développement et de la solidarité internationale, est d’apparaître comme imposés , avec une approche très technicienne. Même les nombreuses consultations et dialogues participatifs peuvent être vus comme des « usines à gaz ». Pourtant une société démocratique ne peut se construire sans ces temps de dialogue civique et de confrontation constructive, pour faire émerger de nouvelles visions partagées.
Les organisations de la société civile (OSC), de mieux en mieux reconnues, sont des acteurs essentiels du changement. Cette société a beaucoup progressé ces dernières décennies, notamment dans les pays du Sud, et des millions de citoyens, partout dans le monde, se regroupent dans des associations, groupements, organisations non-gouvernementales, pour améliorer leurs vies, résoudre des problèmes concrets et lutter pour un monde plus juste et solidaire. Les OSC, que ce soit en Asie du Sud, en Amérique Latine ou dorénavant en Afrique, ont acquis une influence qui est une nouveauté dans l’histoire. Le monde arabe vit actuellement un surgissement spectaculaire de la société civile. Les relations partenariales entre OSC en sont progressivement bouleversées.
Toutes ces initiatives locales, sont un élément essentiel à prendre en compte pour construire une vision du développement pour l’après-2015. Mais il est nécessaire aussi de mettre en place un environnement réglementaire et politique favorable à ces initiatives. C’est l’un des rôles majeurs de l’Etat. Les évolutions de ces dernières décennies montrent que l’existence d’un tel environnement est une condition nécessaire pour promouvoir des changements durables qui améliorent la vie des groupes vulnérables et assurent un développement humain. Mais cet environnement porteur pour la vie associative est aujourd’hui menacé dans de nombreux pays du monde : lois restrictives, poursuites à l’encontre des défenseurs des droits, pressions sur les OSC, réglementations administratives de plus en plus contraignantes.
Quelle action internationale ?
En complément, nous avons besoin aujourd’hui d’Etats et d’une communauté internationale qui jouent pleinement leur rôle de régulation et de promotion des biens publics mondiaux. Cela suppose la mise en œuvre de politiques efficaces de lutte contre l’exploitation des personnes, les trafics d’armes, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux, les dérives de la finance internationale (grâce notamment à des taxations sur les transactions financières), la spéculation sur les produits agricoles… L’agenda post2015 doit mettre en place de nouvelles règles dédiées à la défense du bien commun. De son côté, la société civile a un rôle éminent à jouer pour faire entendre l’intérêt des groupes vulnérables et promouvoir une société plus juste et durable. Les processus de dialogue et de concertation au niveau national, comme les grandes conférences internationales, représentent à la fois une opportunité et un défi pour elle. En effet, la société civile internationale est actuellement tiraillée entre deux tendances parfois plus contradictoires que complémentaires : soit participer aux conférences internationales, en cherchant à influencer les décideurs à partir de positions précises et relativement techniques, au risque de constater souvent l’impact aléatoire de cette stratégie et la faible prise en compte des positions de la société civile ; soit développer, dans les sommets alternatifs, un discours rejetant plus radicalement le modèle dominant et promouvant des alternatives locales pensées par des groupes engagés pour un « autre monde », mais avec le risque que ces réflexions, ne se connectant pas avec l’agenda international de négociations, aient finalement peu d’impact sur l’évolution du monde.
Il s’agit aujourd’hui de mettre en place une synergie entre les deux stratégies, avec une forte interconnexion entre les acteurs de la société civile engagés dans ces deux mouvances différentes. Pour construire le monde de l’après-2015, faisons preuve d’imagination.