Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024 (PDF)
Il n’est pas un Israélien qui n’ait en mémoire les appels au secours adressés, le 7 octobre, à la police ou à l’armée par des dizaines de familles enfermées dans une pièce fortifiée d’un kibboutz. « Venez vite ! Des terroristes sont devant ma maison ! »
L’armée est arrivée trop tard et en nombre insuffisant pour empêcher 3 000 islamistes d’infiltrer une vingtaine de localités proches de Gaza. Ils y ont massacré 817 civils, hommes, femmes et enfants, 474 soldats, policiers et secouristes, capturé 240 otages, et infligé à la société israélienne un immense traumatisme. L’État, créé pour être le refuge des Juifs victimes de l’antisémitisme, n’a pas été capable de protéger ses citoyens contre un envahisseur. Pour la première fois depuis 1973, la mobilisation générale est décrétée.
La riposte débute trois jours plus tard, avec des séries de frappes de l’armée de l’air sur des cibles du Hamas dans Gaza où elles font les premières victimes. Ce territoire a une des densités de population parmi les plus élevées au monde. Dans la foulée, Yoav Gallant, le ministre de la Défense annonce un blocus total privant Gaza d’électricité, d’eau, de nourriture, de carburant et d’aide humanitaire. Il ne doit être levé que si le Hamas libère ses otages. Le 27 octobre, débute l’invasion terrestre du nord de la bande de Gaza. La mission des forces engagées : l’éradication du Hamas, la libération des otages et le retour de la sécurité pour les habitants du sud d’Israël. Mais aucun objectif stratégique et politique n’est défini pour l’après-guerre. L’État-major se concentre sur la tactique militaire, et ne met en place aucun volet humanitaire et civil qui accompagnerait les centaines de milliers de gazaouis évacués vers le sud du territoire. C’est une faute. Matti Steinberg, ancien analyste principal du Shin Beth, considère que laisser la bride sur le cou à l’armée face à la population civile représente un danger pour Israël. « En l’absence de stratégie, la vengeance, dit-il, ne peut être une politique ».
Très vite, les images de nombreuses victimes civiles et des destructions massives à Gaza suscitent une vague de condamnations à l’étranger et le soutien à Israël s’effrite au fil des semaines. En commettant les massacres du 7 octobre, le Hamas a poussé Israël à surréagir et, de fait, ainsi à le délégitimer aux yeux d’une partie de l’opinion internationale. Les dirigeants israéliens, politiques et militaires, font-ils preuve « d’insensibilité morale » face à la tragédie des victimes civiles ? Le terme a été utilisé par la commission d’enquête judiciaire israélienne sur les massacres des camps de Sabra et de Chatila à Beyrouth, en 1982 pour condamner l’attitude des militaires israéliens qui avaient laissé les phalangistes massacrer les réfugiés palestiniens.
Il faut dire que le public israélien ne voit que très rarement les images de la souffrance palestinienne à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Les rédactions des journaux télévisés s’auto-censurent et les diffusent le moins possible. L’atmosphère est au patriotisme. À droite, le ton est donné par le gouvernement, le plus annexionniste de l’histoire d’Israël. On y retrouve notamment Bezalel Smotrich, ministre des Finances et délégué à la colonisation au ministère de la Défense, et aussi le kahaniste, Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et donc en charge de la police. Tous deux sont messianiques et profondément anti-arabes. Ils rêvent de reconstruire dans Gaza les colonies évacuées en 2005. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, affirme qu’il n’en est pas question, mais refuse toujours de placer ce territoire sous le contrôle d’une Autorité palestinienne, même réformée comme le propose l’administration Biden. Dire oui au Président américain permettrait de faire avancer l’idée d’une solution à deux États, ce dont Netanyahou ne veut pas, quel que soit le prix de son refus.
Après cinq mois de guerre, aucune solution ne pointe à l’horizon. L’impasse est politique, diplomatique et militaire alors que le bilan humain ne cesse de monter. À Gaza, il est d’au moins 30 000 morts et des dizaines de milliers de blessés. Pour l’immense majorité des civils. Des quartiers entiers sont détruits. Sous la pression internationale, face à la crise humanitaire majeure, la direction israélienne a fini par admettre la nécessité absolue de laisser entrer dans l’enclave le plus possible d’aide alimentaire et médicale.
Malgré des pertes quasi quotidiennes, l’armée poursuit le combat. Elle n’a toujours pas réussi à retrouver les 134 otages encore détenus par le Hamas. Seule la moitié d’entre eux serait encore en vie…
*Derniers ouvrages parus :
Israël. L’agonie d’une démocratie (Libelle. Seuil)
Au nom du Temple. Israël et l’arrivée au pouvoir des messianiques juifs (Points. Seuil)
7 mars 2024
À Gaza, aujourd’hui, il y a la guerre. Cela fait plus de cinq mois. Des milliers de victimes, et des ruines dans tout le territoire de Gaza. Il semble qu’on est à la dernière phase, à Rafah, ville frontière avec l’Égypte, où se sont amoncelés un million et demi de personnes, réfugiés et locaux. Après cela, il ne restera plus personne à tuer…
À Gaza, il y a eu plusieurs guerres. Israël dit que cette guerre sera la dernière. Mais jusqu’à maintenant il y a des victimes humaines et des ruines, comme jamais, et la paix ne semble pas proche. Et les victimes, et les souffrances humaines, sont des deux côtés. Et, plus que souffrances, plus que perte d’hommes et de femmes, de petits et de bébés, il y a une perte d’humanité.
Pourquoi la guerre à Gaza ? La cause immédiate est l’attaque de Hamas, le 7 octobre 2023. Mais la cause directe est aussi la suivante : depuis 2007, le parti politique Hamas gouverne l’enclave de Gaza. Depuis lors, tout le territoire, 2 millions et demi de personnes sur une superficie 380 km2, est sous siège militaire total, imposé par Israël, sauf les aides humanitaires nécessaires.
Il y aussi les racines profondes de cette attaque. Gaza fait partie du conflit entre Israéliens et Palestiniens, qui dure depuis 1948, auquel Israël n’a jamais pu y mettre fin par un accord de paix, et la communauté internationale semble l’avoir oublié.
Gaza sous siège, et toute la Palestine, villes et villages, sont soumis à une occupation militaire israélienne. Des centaines de morts, au long des années, des milliers de prisonniers politiques, des maisons démolies, des barrages militaires sur toutes les routes, qui dérangent la liberté de mouvement et la vie quotidienne, une économie palestinienne paralysée, dépendante. En somme, on est dans un état permanent de guerre. Dans cet état prennent racine toutes les guerres de Gaza, y compris celle du 7 octobre.
La guerre présente de Gaza est la première en intensité, en ruines, en nombre de victimes, et la première aussi à réveiller l’attention du monde sur un conflit oublié.
La guerre de Gaza aujourd’hui dit :
Il faut arrêter la guerre, sans plus tarder, car ce n’est plus une guerre. C’est un massacre. Quoi après la guerre ?
Cette fois, il faut qu’Israël gagne la bataille de la paix. Sinon, cela restera une défaite inutile pour tous. Il est temps que le conflit oublié soit remis à l’ordre du jour, et que la communauté internationale prenne ses responsabilités et construise cette paix, qui a semblé être impossible jusqu’aujourd’hui.
La paix cela veut dire : la sécurité d’Israël et, en même temps, la sécurité du peuple palestinien, dont l’unique tort est de se trouver chez lui, sur sa terre, dans ses villes et villages. De fait, la question de fond qui se pose aujourd’hui est la suivante : le peuple Palestinien a-t-il le droit de rester chez lui, sur sa propre terre ? À cette question, jusqu’à maintenant, la réponse est négative, et on pense à des plans de génocide ou de transfert. Ce qui ne peut pas être une voie pour la paix ou la sécurité pour personne.
Pour arriver à la paix, il faut tout simplement admettre, que même dans ce conflit, les personnes humaines sont égales. Israéliens et Palestiniens, également créés par Dieu, à l’image de Dieu, capables d’aimer, non de tuer. Sur cette terre sainte, il y a également de la place pour les deux peuples, avec les mêmes droits politiques : deux États, chacun chez lui, indépendant, libre, chacun capable d’aimer, non de retourner à la résistance ou à la guerre. Pour cela, il faut une rééducation, et qui est très possible. Nous avons vécu la guerre depuis des dizaines d’années, il faut maintenant une nouvelle éducation qui rende les deux peuples capables de construire et de vivre la paix. Les chefs et le peuple sont également à rééduquer.
Qui est responsable pour construire cette paix ?
D’abord, les deux peuples eux-mêmes, israélien et palestinien. Puis la communauté internationale, les amis d’Israël comme de la Palestine. Les vrais amis d’Israël sont ceux qui aident Israël à réussir la paix. Plus forts en armements pour gagner des guerres et rester dans l’insécurité, n’est pas une amitié, ni une aide véritable à Israël.
On peut se poser la question : les deux peuples sont-ils capables de vivre en paix, chacun dans son État ? Pourquoi pas ? Il y a trop de souffrances et d’injustices dans la mémoire, cela est vrai, mais il y a aussi la volonté de vivre, et il y a la bonté fondamentale que Dieu a mise en chacun.
La voie la plus sûre pour atteindre la paix est la paix avec l’ennemi, surtout lorsque les deux ennemis partagent la même terre. Donc, pour Israël, la paix se fait d’abord avec le peuple Palestinien, puis avec tous les régimes de la région. La paix avec tous les régimes de la région, ce qu’on a appelé « l’alliance Abrahamique », et garder les hostilités avec le peuple palestinien, n’assure pas la paix. D’abord la paix chez soi, puis avec les voisins. Il faut également noter que la paix avec les régimes de la région n’est pas la paix avec les peuples de la région. Les peuples restent ennemis, même avec les traités de paix entre régimes. La paix avec les peuples de la région aura lieu lorsque la paix sera faite avec le peuple palestinien. La force des Puissances mondiales peut imposer des situations de fait et des injustices, mais elle ne fait pas disparaître la force des faibles opprimés, comme cela s’est vu jusqu’à maintenant.
Donc, il s’agit pour la communauté internationale de prendre enfin les pas nécessaires et sûrs pour mettre fin au conflit entre Israël et le peuple palestinien, et terminer la guerre de 1948 par un traité de paix entre les deux peuples.
Rôle des Églises en tout cela, en France et ailleurs ?
La mission première de l’Église est de porter la paix du Christ, partout. D’un autre côté, la Terre Sainte est terre des origines, pour toutes les Églises. Les Églises doivent donc s’intéresser à ce qui se passe dans cette terre. Les chrétiens, comme tous les habitants de cette terre, ont besoin de justice, de liberté, et de paix. Les Églises ont cette mission, et peuvent faire quelque chose. Il ne s’agit pas de dire : c’est de la politique. On n’y touche pas. La politique qui fait des massacres, des guerres, des injustices, il faut bien y rentrer et la forcer à prendre les voies de la justice et de la paix.
Églises, vous pouvez aider. Prier, élever la voix et agir. La Terre Sainte est toute la Terre Sainte, elle est les deux peuples, israélien et palestinien, et la communauté chrétienne fait partie des deux peuples. Tous ont besoin de la paix. Vous pouvez les aider. Le Christ est venu porter la paix au monde, et à sa Terre Sainte aussi. L’Église du Christ a la même mission, aujourd’hui encore.
Adolescente, je me suis risquée à interroger mon grand-père sur les quatre années, 1914-1918, qu’il avait passées au front. Soixante ans après, il garda le silence pour ne pas parler de cette « sale guerre ». J’ai découvert ce besoin de silence depuis le 7 octobre. J’ai vu l’horreur. Pas comme mon grand-père, pas comme les habitants des kibboutzim, pas comme les otages, pas comme les habitants de Gaza et de Cisjordanie, mais j’en ai vu assez.
D’aucuns diront que je ne peux pas comprendre car je ne suis ni israélienne ni palestinienne. En effet, habitant Jérusalem depuis 25 ans, j’apprends à entrer dans cette autre identité, celle de ceux que cette terre a attirés à elle. Elle nous rend disponibles à ce que vivent les deux peuples, joie ou souffrance.
Depuis cinq mois, je vis au chevet de trop de souffrances essayant d’être une présence aimante mais silencieuse.
Ce qui m’a poussée au silence, c’est la surabondance d’informations sans oublier les prises de position, chacun depuis le pas de sa porte, chacun du haut de ses certitudes. Mais ce dont je suis témoin, c’est qu’une certaine compassion, en accordant à l’un des deux camps le monopole de la souffrance, arme les deux et tue dans les deux.
J’ai préféré le silence pour ne pas ajouter de la violence à la violence. J’observe et cherche une issue. Puisqu’un tsunami a tout emporté, je crois qu’il est temps d’abandonner nos postures. C’est possiblement la seule chance de devenir bâtisseurs de paix, la seule façon de défendre la vie. Et la vie de ceux qui sont en périls ici, comme à sa naissance ou en sa fin, n’a d’autre unité de valeur que d’être la vie. Il n’y a pas de morts que l’on puisse souhaiter.
Pourtant nous avons peut-être subrepticement préféré des vies à d’autres. Nous savions qu’il n’y avait pas la paix entre les Israéliens et les Palestiniens. Nous savions que cette guerre larvée produisait chaque année son lot de morts. Nous savions qu’il n’y avait pas de justice ni pour les Israéliens ni pour les Palestiniens.
Il n’y a pas de justice pour les Israéliens quand nous n’aidons pas les Palestiniens à reconnaître qu’il y a un lien entre le peuple juif et cette terre. Il n’y a pas de justice pour les Palestiniens tant que nous n’aidons pas les Israéliens à reconnaître que les conditions de leur retour ont spolié ceux qui vivaient là depuis toujours.
Il n’y a pas de justice pour les Palestiniens tant que nous ne battons pas notre coulpe devant eux d’avoir tué 6 millions de juifs en leur laissant en payer seuls le prix, les acculant à ces sommets de violence qui nous font horreur et dont nous nous lavons trop vite les mains.
Il n’y a pas de justice pour les Israéliens si notre culpabilité d’avoir tué 6 millions de juifs nous emprisonne au point de ne pouvoir aujourd’hui les arrêter quand ils franchissent une ligne qui va leur nuire durablement. Par amour du judaïsme, du peuple juif, de l’État hébreu, nous devons arrêter le gouvernement dont le bras venge sans vouloir bâtir de lendemains.
Nous avons composé trop longtemps avec de fausses vérités, des demi-mensonges et des propagandes éhontées. Il est temps d’abandonner nos postures. Il est temps d’aimer les deux peuples ensemble et en vérité, de renouveler notre dialogue avec eux, en hommes et femmes de foi, dans un esprit de vérité, capables de dire même ce qui fâche. Parce que le vrai amour retient celui qui, aveuglé par sa souffrance, choisit l’issue qui lui serait fatale.
Si nous choisissons la vérité dans nos relations, alors justice et paix s’embrasseront, le Seigneur donnera ses bienfaits, et notre terre donnera son fruit. (Ps 84).
Ni Israéliens ni Palestiniens nous portons une responsabilité dans la situation, celle de l’avoir laissée s’envenimer de longue date, assumons aussi d’en porter une dans la paix, maintenant.