Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

L’ange dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple » Lc 2,10)

Alors que nous nous préparions à entrer dans la neuvaine avant Noël, nous avons reçu l’horrible nouvelle de l’attaque contre la paroisse de la Sainte Famille à Gaza. Le 16 décembre à midi, un tireur d’élite israélien a assassiné Naheda et Samar, mère et fille, dans la cour de l’église. Sept autres personnes ont été blessées alors qu’elles tentaient de protéger les personnes présentes dans l’église. Le matin même, un missile israélien s’est abattu sur la maison des Missionnaires de la Charité, semant la destruction et mettant encore plus en danger la vie des 54 résidents handicapés. Seigneur, prends pitié !

Noël est la fête de la grande joie. Le Verbe éternel de Dieu « s’est fait chair, il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire » (Jn 1, 14). Il est venu nous sauver et nous combler de sa joie. L’Avent précède Noël comme un temps de réveil, un appel à l’attention, à l’attente de la venue de Notre Seigneur Jésus-Christ et de la grande joie qu’il nous apporte. C’est aussi le moment d’être attentif à la souffrance de nos frères et sœurs dans le monde, et ici, autour de nous. Après plus de soixante-dix jours de guerre, c’est le cœur brisé que nous nous approchons cette année en Terre Sainte de la crèche de Bethléem. Nous prions et demandons la joie, au lieu de la tristesse qui nous entoure face à la mort de tant de personnes.

Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants – palestiniens et israéliens – ont été tués lors de la dernière vague de violence. À Gaza, plus d’enfants palestiniens ont été tués au cours des deux derniers mois qu’au cours des deux dernières années de guerre, tous conflits confondus sur la planète. La guerre a fait payer un lourd tribut à toute une génération de nos enfants, qui vivent quotidiennement dans la peur pour eux-mêmes et leurs familles.

La bande de Gaza est pilonnée par des bombes et des tirs de mortier qui rasent les quartiers. Environ deux millions de personnes ont été déplacées, la plupart d’entre elles n’ont pas d’abri et se déplacent sans cesse. Même les écoles et les lieux de culte ne sont pas des endroits sûrs. En fait, plus de 85 % de la population de Gaza a été déplacée dans une étroite bande de terre où il ne semble pas y avoir d’endroit sûr. La grande majorité des hôpitaux et des cliniques ne fonctionnent pas. 91 % des habitants de Gaza déclarent s’endormir le ventre vide.

Nous déplorons les pertes en vies humaines, nous craignons pour les blessés qui n’ont qu’un accès limité aux soins médicaux et nous sommes angoissés pour les sans-abris.

À Bethléem comme dans toute la Cisjordanie, les incursions de l’armée israélienne font de nombreux morts et donnent lieu à des arrestations massives. Les fermetures des territoires ont fait perdre leur emploi à de nombreuses personnes et les familles ont du mal à mettre de la nourriture sur la table. Les célébrations de Noël ont été annulées, afin que nous puissions, en tant que chrétiens, être solidaires de tous ceux qui souffrent de la guerre. Nous sommes encouragés à nous concentrer sur le sens profond de Noël.

Et quelle est cette signification plus profonde ? En marchant ensemble vers la crèche, nous prions cette année afin que nous puissions toucher concrètement la bonne nouvelle que Dieu nous a promise. En tant que peuple de l’espoir, nous attendons la naissance du Prince de la paix. Et nous nous souvenons que nous ne sommes jamais seuls, car Dieu a choisi ce lieu pour entrer dans l’obscurité en tant qu’Emmanuel, Dieu avec nous.

Nous demandons à tous ceux qui célèbrent Noël dans le monde entier de prier avec nous. Priez pour la paix à Bethléem, à Gaza et dans toute la Terre sainte. Nous prions pour la fin de la violence et la libération de tous les prisonniers. Nous prions pour un cessez-le-feu permanent et pour l’avènement d’un temps de dialogue plutôt que d’oppression, de justice plutôt que de solutions imposées, de vie commune plutôt que de rêve de se débarrasser les uns des autres. Nous implorons ceux qui détiennent le pouvoir d’aider à mettre fin à un conflit qui dure depuis plus d’un siècle, de faciliter le chemin vers une paix juste basée sur l’égalité, afin que cette guerre soit la dernière et que nos enfants soient enfin témoins de l’espoir au lieu du désespoir.

Alors nous pourrons célébrer Noël et être remplis de la grande joie de la venue de notre Sauveur, en chantant avec les anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix au peuple de Dieu sur la terre ».

Ce sermon de lamentation et de colère, cri contre la guerre qui se poursuit à Gaza, a été prêché en Palestine le 22 octobre 2023, à l’église évangélique luthérienne de Beit-Sahour et à l’église évangélique luthérienne de Noël de Bethléem. Trois jours plus tôt, le 19 octobre 2023, les forces de défense israéliennes avaient attaqué l’église orthodoxe grecque Saint-Porphyre, la plus ancienne église en activité de Gaza, construite en 1150. L’église a été endommagée par ce bombardement et 18 personnes ont été tuées, d’autres ont été blessées, et environ 400 civils qui s’étaient réfugiés dans le complexe de l’église ont dû être déplacés. Les Amis de Sabeel France ont traduit cette prédication à partir de sa version anglaise disponible sur :  https://sojo.net/articles/god-under-rubble-gaza 
Ils ont assiégé notre famille palestinienne à Gaza, ils ont traité ses membres de monstres, et les ont blâmés, accusés. Leurs maisons ont été bombardées, leurs quartiers d’habitation rasés, les habitants ont tous dû partir, et ce sont eux qui ont été accusés. Nos familles, nos frères et nos soeurs, nos tantes et nos oncles, nos neveux et nos nièces avaient cherché refuge dans des écoles et ils y ont été bombardés, dans des hôpitaux et ils y ont été bombardés, dans des lieux de culte et ils y ont été bombardés, et ce sont eux qui ont été accusés.
Nous sommes tous brisés. Les habitants de Gaza souffrent. Ils ont tout perdu, tout, sauf leur dignité. Beaucoup d’entre eux sont entrés dans la gloire : la gloire du martyre, mais sans l’avoir cherché. Et aujourd’hui, une fois de plus dans notre histoire, ils se retrouvent devant le même choix : la mort ou partir. Notre Nakba continue !
Où voulez-vous qu’ils aillent ? Il n’y a pas de place pour eux dans ce monde !
Les grandes nations de ce monde sont contre eux. Elles ont recours aux finances, aux armes, à la diplomatie et à la théologie contre le peuple de Palestine, contre le peuple de Gaza. Ils discutent entre eux de l’endroit où nous finirons après le nettoyage ethnique qu’ils nous imposent, comme si nous étions des boîtes en trop pour lesquelles il n’y a pas de place dans la maison !
Il n’y a plus aucune pitié. Plus aucune humanité. Plus personne pour pleurer notre mort. Personne n’est là pour arrêter cette machine de guerre, parce que nous ne sommes pas des membres du bon peuple, de la bonne religion, de la bonne race. Nous ne faisons pas partie des « élus ». Les puissances politiques du monde nous considèrent comme un obstacle, et non comme un allié. Nous avons été brisés, et nous le sommes à nouveau chaque jour : par toutes les images de mort, surtout lorsque ce sont nos proches qui sont touchés par elle : nos familles, nos soeurs, nos parents, tous ces êtres chers avec lesquels nous nous entretenions chaque jour. Nous sommes brisés, tous. Nous entendons des histoires terrifiantes qui nous parlent de l’enfer sur la terre. L’enfer est une réalité à Gaza aujourd’hui. Et nos frères et soeurs palestiniens le vivent en ce moment même.
Ce qui se passe à Gaza n’est pas une guerre ou un conflit, c’est un anéantissement, un génocide permanent, un nettoyage ethnique par la mort et les déplacements forcés. Les puissances politiques de ce monde sacrifient le peuple de Palestine pour garantir leurs intérêts au Moyen-Orient. Elles affirment que notre anéantissement est nécessaire pour assurer la sécurité du peuple d’Israël. Elles nous offrent en sacrifice sur l’autel de l’expiation, et c’est nous qui payons, de notre vie, le prix de leurs péchés.
Où est la justice ? Ils parlent du droit international. Ils nous font la leçon sur les droits de l’homme et nous regardent de haut, comme s’ils étaient supérieurs à tous les autres en matière de valeurs et de morale. Je leur dis : « Allez-vous-en avec vos lois et vos discours sur les droits de l’homme ». Vous, les Européens et les Américains, vous avez été mis à nu aujourd’hui devant le monde entier. Tous ont vu votre racisme, et votre hypocrisie. Vraiment, vous n’avez pas honte ? Moi, personnellement, je ne veux pas vous entendre parler de paix et de réconciliation.
Ce que veulent les habitants de Gaza aujourd’hui, c’est Vivre. Ce qu’ils veulent, c’est une nuit sans bombardements. Ce qu’ils veulent, ce sont des médicaments, et des opérations chirurgicales avec une anesthésie. Ils veulent que soient satisfaits leurs besoins les plus élémentaires pour pouvoir vivre : de la nourriture, de l’eau propre, et de l’électricité. Ils veulent la liberté, et une vie dans la dignité. Ceux qui sont constamment bombardés, battus et persécutés ne veulent pas qu’on leur parle de réconciliation et de paix. Ils veulent simplement que l’agression prenne fin !
Ils nous ont demandé de prier. Les gens de Gaza continuent à nous demander de prier, et eux-mêmes ne cessent de prier. Où trouver une telle foi ?
Nous aussi, nous avons prié. Nous avons prié pour leur protection… et Dieu ne nous a pas répondu. Même dans la « maison de Dieu », dans les bâtiments de l’église, ils n’ont pas été protégés. Nos enfants meurent face au silence du monde, et face au silence de Dieu. Qu’il est dur à vivre, le silence de Dieu ! Aujourd’hui, nous crions avec les psalmistes : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi as-tu abandonné Gaza ? Jusqu’à quand l’oublieras-tu tout à fait ? Pourquoi lui caches-tu ta face ? Le jour, je t’appelle, et tu ne réponds pas ; la nuit, et nous ne trouvons pas le repos. Ne t’éloigne pas des gens de Gaza, car le danger est proche, et il n’y a pas d’aide. Seigneur, notre Dieu sauveur ! Le jour, la nuit, nous avons crié vers toi … Que notre prière parvienne jusqu’à toi … Tends l’oreille à notre plainte … Car notre vie est saturée de malheurs, et nous frôlons les enfers… Nos yeux sont épuisés par la misère. Nous t’avons appelé tout le jour, Seigneur, les mains ouvertes vers toi. Pourquoi nous rejeter ? Pourquoi nous cacher ton visage ? » (adapté à partir des psaumes 13, 22 et 88).
Nous cherchons Dieu ici, dans ce pays, ici sur cette terre. Et théologiquement, philosophiquement, nous demandons : Où donc est Dieu quand nous souffrons ? Comment expliquer son silence ?
Mais ne nous attardons pas à la philosophie et à des questions existentielles. Dans ce pays, même Dieu est victime de l’oppression, il est victime de la mort, de la machinerie de guerre, et du colonialisme. Nous voyons le Fils de Dieu ici sur cette terre crier la même question quand il est sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Pourquoi permets-tu que je sois torturé ? Que je sois crucifié ?
Dieu souffre avec le peuple de ce pays. Son destin est le même que le nôtre. Comme l’a écrit Mitri Raheb dans son article « Théologie dans le contexte palestinien » qu’on peut lire en arabe dans un livre que j’ai publié : « Quant au Dieu de ce pays, il n’est pas comme les autres dieux… Sa terre est labourée avec du fer… Ses temples sont détruits par le feu… Son peuple est foulé aux pieds, et il ne bouge pas le petit doigt. Le Dieu de cette terre est caché à la vue. Vous cherchez ses traces, mais vous ne les trouvez pas. Vous désirez ardemment qu’il déchire les cieux et qu’il descende pour voir. Pour entendre. Pour être compatissant. Pour nous sauver. Le Dieu de cette terre ne repousse pas les armées et leur brutalité, mais il vient partager le sort de son peuple. Sa maison est détruite. Son fils est crucifié. Mais son mystère ne périt pas. Au contraire, il renaît des cendres, il se relève et c’est avec les réfugiés que vous le voyez. Il marche et, dans l’obscurité de la nuit, il fait jaillir des sources d’espoir. Sans ce Dieu, la Palestine reste une terre brûlée. Sans lui, elle reste un champ de destruction. Mais si Dieu piétine ses fondations, c’est uniquement pour en faire une terre sainte, une terre où la bonne nouvelle de la paix résonne sur les collines. »
Bien-aimés, en ces temps si durs, consolons-nous avec la présence de Dieu au milieu de la douleur, et même au milieu de la mort, car Jésus n’est pas étranger à la douleur, aux arrestations, à la torture, et à la mort. Il est à nos côtés dans notre douleur.
À Gaza, Dieu est là sous les décombres. Il est avec ceux qui ont peur, il est avec les réfugiés. Il est là dans la salle d’opération. C’est cela notre consolation. Il traverse avec nous la vallée de l’ombre et de la mort. Si nous voulons prier, ma prière c’est que ceux qui souffrent ressentent cette présence qui guérit, et qui réconforte.
Nous avons un autre réconfort encore : celui de la résurrection. Quand nous avons le coeur brisé, quand nous souffrons, quand nous affrontons la mort, répétons-nous la bonne nouvelle de la résurrection : « Christ est ressuscité ! ». Il est devenu le premier-né de ceux qui se sont endormis. Quand j’ai vu les images des corps de ces saints dans leurs sacs blancs devant l’église, lors de leurs funérailles, c’est cet appel du Christ qui m’est venu à l’esprit : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde » (Matthieu 25,34).
Devant les images de la mort et toutes les photos d’enfants morts, nous pouvons entendre aujourd’hui l’appel immortel du Christ : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux » (Marc 10,14). S’il n’y a pas de place pour les enfants de Palestine et les enfants de Gaza dans ce monde cruel et oppressant, ils ont une place dans les bras de Dieu. Le Royaume est pour eux. Face aux bombardements, face aux déplacements, et face à la mort, Jésus les appelle et leur dit : « Venez à moi, vous qui êtes bénis par mon Père. Laissez venir à moi les enfants, car le Royaume est à eux ». C’est cela que nous croyons. Et c’est cela notre consolation dans notre douleur. Amen.

*Munther Isaac est pasteur de l’église évangélique luthérienne de Noël à Bethléem, doyen du Collège biblique de Bethléem, et directeur des conférences « Christ au checkpoint ». Son dernier livre s’intitule L’autre côté du mur – Un récit chrétien palestinien de lamentation et d’espoir. Il vient d’être traduit en français et doit être publié avant Noël.

1er novembre 2023
Lettre ouverte conjointe de Kairos Afrique du Sud et de Kairos Palestine aux responsables d’Églises et aux chrétiens des États-Unis, d’Europe et de la grande famille œcuménique

Sœurs et frères :
Un génocide contre les Palestiniens de Gaza se déroule sous nos yeux et il n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé il y a moins de 30 ans au Rwanda et il y a 80 ans en Europe. De nombreux Occidentaux ont été complices de ces génocides. Nous ne pouvons pas et nous ne voulons en aucun cas laisser cela se reproduire. Il faut l’arrêter au plus vite.

Si vous n’agissez pas pour mettre fin à ce génocide qui est soutenu par beaucoup dans vos pays et qui est encouragé par la fourniture d’armes à Israël pour le mettre en œuvre, vous vous en rendez complices. Ceux dont les gouvernements soutiennent ce génocide ont une responsabilité plus grande et doivent s’assurer que leurs gouvernements y mettent fin.

Nous condamnons toute forme de violence à l’encontre de civils et de toute autre personne, mais il faut reconnaître que cette guerre n’est pas née de rien. Sa genèse remonte à l’occupation illégale des territoires palestiniens, à l’expansion des colonies juives illégales en Palestine occupée, à la négation des droits des réfugiés palestiniens qui voudraient retrouver
leurs anciens foyers, et au siège de Gaza qui dure depuis 17 ans. Et plus récemment à la montée au pouvoir en Israël de groupes fascistes ultra-nationaux et ultrareligieux et au refus par l’actuelle coalition nationaliste et religieuse de droite qui est au pouvoir, de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à la liberté et à l’autodétermination. Le monde entier a été témoin des violations et des agressions continues perpétrées par des extrémistes juifs, des colons, des membres de la Knesset et des ministres contre des lieux saints musulmans et chrétiens et contre des fidèles, tant à Jérusalem qu’en d’autres endroits, et tout ceci au mépris de la sensibilité religieuse non seulement des Palestiniens, mais aussi de millions de chrétiens et de musulmans à travers le monde, – pour ne citer que quelques-unes des raisons qui expliquent les souffrances des Palestiniens sous le régime israélien d’occupation et de colonialisme.

En 2022, les forces israéliennes d’occupation ont tué 230 Palestiniens : 171 en Cisjordanie, 53 à Gaza, et 6 en Israël, et 44 d’entre eux ont été des enfants. De plus, entre le début de l’année et le 7 octobre 2023, les forces israéliennes d’occupation ont tué un total de 243 Palestiniens. Nous espérons que ces chiffres vous donnent une vue d’ensemble de ce que vit le peuple palestinien. Tout ceci simplement pour dire que ce n’est pas le 7 octobre 2023 seulement que sont venus la douleur, la peine et le chagrin.

Nous savons tous que toutes ces atrocités contre des êtres humains sont contraires à la volonté de Dieu pour son monde. Elles sont contraires également au droit international et aux conventions de Genève. Ce droit et ces conventions ont été mis en place par des puissances occidentales, après la Seconde guerre mondiale surtout, et aucun État n’en a été
exclu ou n’a bénéficié d’un statut particulier.

Si l’on confronte tout ce qui vient d’être évoqué au siège total qu’Israël impose à Gaza et au dangereux blocage de presque toutes les voies non violentes, tout être humain tant soit peu raisonnable peut comprendre que la situation allait être explosive. On peut se demander comment les Américains ou les Européens auraient réagi si eux avaient été exposés à une
situation semblable à celle qu’a vécue la population de Gaza. L’histoire nous enseigne qu’ils n’auraient pas réagi de manière non violente, et c’est pourquoi nous trouvons extrêmement hypocrites certaines des qualifications que l’on a attribuées aux Palestiniens (comme auparavant aux Sud-Africains).

Les Sud-Africains savent ce que cela signifie que d’être étiqueté comme « terroriste » ou « communiste ». Des étiquettes pires encore ont été apposées sur les Palestiniens par ceux qui se sont rendus coupables des pires formes d’antisémitisme, un fardeau et une responsabilité qu’ils ont fait porter ensuite au peuple palestinien.
Dans la pratique, nous voyons comment les Palestiniens sont terrorisés quotidiennement par les colons israéliens,
par les forces israéliennes d’occupation et d’autres milices sionistes. C’est à cause de tout cela que nous dénonçons l’hypocrisie de ces étiquettes qui ne sont imposées qu’à un seul groupe de personnes.

La plupart des Églises d’Europe et des États-Unis semblent ne pas avoir renié leur passé colonialiste et raciste. Et de ce fait, les lunettes à travers lesquelles ils perçoivent ce que nous vivons aujourd’hui sont toujours teintées par leurs péchés de colonialisme et de racisme. Il est important que nous vous y rendions attentifs une fois de plus aujourd’hui, afin
de vous en faire prendre conscience.
C’est une vision de la pire espèce, incompatible avec Jésus tel que nous le connaissons à travers les Écritures. C’est pourquoi nous vous appelons à un profond repentir.

Car Jésus tel que nous le connaissons et tel que nous le vivons – lui dont nous allons bientôt célébrer la naissance à Bethléem – est magnifiquement présenté par les paroles de la jeune poétesse chrétienne sud-africaine Thandi Gamedze lorsqu’elle écrit :
« Si Jésus vivait aujourd’hui
je veux dire le Jésus brun
celui qui a grandi en Palestine occupée
sous la menace permanente de l’empire romain
avec ses forces armées à l’affût de quiconque oserait s’écarter de la ligne prescrite
Ce Jésus dont l’arrivée dans le monde a été marquée par la violence
l’air résonnant des ordres du roi Hérode allié des Romains
exigeant le génocide de tous les enfants de Bethléem
Si ce Jésus vivait aujourd’hui
il est clair où il serait
en route sans doute vers le sud
cherchant son chemin sous les bombes et les pluies de phosphore blanc
pleurant les membres de sa famille et ses amis
dont les maisons ont été réduites en ruines
alors qu’ils dormaient à l’intérieur
Ses pouvoirs de guérison compromis face au nombre de victimes
et les lamentations comme seule réponse possible à tant de dévastations
Ce Jésus n’aurait pas d’eau à changer en vin
parce que l’empire de ce temps a coulé du ciment dans les réserves d’eau
et barré tous les chemins pour y accéder
Ses capacités surnaturelles seraient mises à l’épreuve
dans cette crise humanitaire
parce que les cinq mille affamés
sont devenus deux millions entre-temps
et même cinq pains et deux poissons sont difficiles à trouver
Je suis sûr qu’il aurait peur
comme quand il voyait sa crucifixion devenue imminente
vidé de tout espoir face à l’inhumanité de l’empire
Il se mettrait sans doute à prier comme il l’a fait la veille de son assassinat
« Dieu, s’il te plaît, éloigne de nous cette coupe de souffrance
et libère la Palestine »

C’est dans cette optique, exprimée ci-dessus avec tant de beauté et avec une telle assurance, que nous nous adressons à vous maintenant.

Nous voulons tout d’abord nous tourner vers nos sœurs et nos frères juifs qui ont commencé  à dire « Pas en notre nom », et nous prions pour que leur nombre et leurs protestations augmentent. Les gens qui descendent dans la rue à travers le monde sont surtout, aujourd’hui, ceux qui portent la bonne nouvelle de la paix, de la justice et de la réconciliation.
C’est vers eux que nous allons nous tourner.

C’est pourquoi nous accusons les Églises des États-Unis, d’Europe et de la grande famille œcuménique de rester étrangement indifférentes aux meurtres des Palestiniens et aux actes de vengeance qui sont perpétrés à l’encontre de nos sœurs et de nos frères palestiniens, et de ne réagir que lorsque des Israéliens sont tués. Vous dites constamment « Paix, paix, là où il n’y a pas de paix ». Pour autant que nous puissions le constater, toute prétention à la paix a été abandonnée depuis longtemps alors que des pans entiers de terre palestinienne ont été volés. C’est pourquoi ces phrases creuses sont un affront non seulement envers nous, mais aussi envers le Dieu de la justice, le Dieu qui a pris le parti des opprimés, des
brimés et des marginalisés.

Si nous étions en 1943, les opprimés, les brimés et les marginalisés seraient les Juifs persécutés d’Europe, et nous prendrions leur parti. Mais nous sommes en 2023, et à notre époque ceux qui avaient auparavant été opprimés sont devenus des oppresseurs habilités à briser la nuque des opprimés de notre temps, les membres du peuple palestinien, et ils vont jusqu’à souhaiter qu’ils cessent d’exister. Ils sont bombardés tous les jours par les messages des colons qui leur disent : « Partez en Jordanie ! ».

Nous avons quelque chose à dire, à eux et à vous : Les Palestiniens ne vont pas partir n’importe où, tout au contraire ! Les Palestiniens vont ressusciter de leur crucifixion actuelle et les opprimés du monde entier vont s’identifier au peuple palestinien comme ils se sont identifiés aux Sud-Africains noirs qui vivaient sous un régime d’apartheid. La communauté
chrétienne de Palestine est une toute petite minorité souvent oubliée, mais avec l’évêque Tutu nous disons : « Dieu n’est pas un chrétien », Dieu ne se soucie pas seulement de ceux qui se disent chrétiens. Tous les êtres humains, tous ceux qui font la volonté de Dieu sont également aimés de Dieu, qui se soucie de tous.

Les droits humains n’ont pas de frontières de religion, de culture, de classe, de race ou de sexe. Les chrétiens palestiniens sont solidaires de tous les Palestiniens, et ils s’identifient pleinement à eux tous. Le monde d’Occident doit comprendre qu’il met sérieusement en danger les valeurs de la démocratie et les droits humains, que même il les dépouille de toute
légitimité, s’il continue sur la trajectoire qui est la sienne actuellement.

Cette lettre ouverte vous est adressée à vous, mais notre espoir réside en Dieu qui est solidaire de son peuple. Dieu vous tiendra pour responsables de vos péchés de commission et d’omission.

Nous plaçons notre confiance en ce Jésus qui a proclamé une Bonne Nouvelle pour les pauvres et les opprimés. Jésus nous rappelle à tous que Dieu n’est pas un Dieu tribal, mais un Dieu qui se soucie profondément de tous les peuples. Ce même Jésus nous remplit d’espoir et de joie, et nous prions de tout notre cœur pour que vous rencontriez, vous aussi,
ce Jésus, et que vous soyez libérés par lui.

Si vos cœurs sont touchés quelque peu par ce que nous vous avons écrit, nous vous appelons à une solidarité profonde et immédiate avec tous les Palestiniens et tout particulièrement avec ceux de Gaza. Nous sommes prêts à discuter avec vous du contenu de cette lettre ouverte.

Que Dieu vous bénisse !

Révérend Frank Chikane, au nom de Kairos Afrique du Sud

+ Patriarche émérite Michel Sabbah, au nom de Kairos Palestine