Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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L’Ukraine attendait cette décision depuis des mois, alors que se détériore sa situation militaire : manque de munitions, difficulté à renouveler les combattants et moral de la population grandement atteint…

Aux États-Unis, la Chambre des représentants a enfin adopté, le 20 avril, un plan d’aide à l’Ukraine de 61 milliards de dollars, rapidement confirmé par le Sénat, comme le demandait le président Biden. Le changement de cap des élus Républicains s’est exprimé par la voix du président de la Chambre avec une franchise non dénuée de cynisme : « Je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine qu’envoyer nos garçons se battre ». On se souviendra qu’est honoré cette année le 80e anniversaire du Débarquement américain en Normandie !

Une partie des sommes considérables ainsi allouées profitera à l’industrie de Défense américaine, en permettant de reconstituer les stocks de son armée. Et une fraction de l’aide sera consentie sous forme de prêts, à long terme et à conditions préférentielles, (sur une proposition de Donald Trump).

Néanmoins, cet accord envoie un signal encourageant aux Ukrainiens et à l’Europe qui se sentait un peu seule dans son soutien à l’Ukraine. C’est aussi un message envoyé à Vladimir Poutine pour lui rappeler qu’il ne doit pas douter de l’engagement occidental auprès d’un État qu’il a agressé, en envahissant son territoire.

Un engagement plus que jamais nécessaire : le chef du renseignement ukrainien, lui-même, juge que la situation va empirer lors des prochaines semaines.

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À San Salvador, le 24 mars, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Monseigneur Óscar Romero, le cardinal Gregorio Rosa Chávez, qui avait été son auxiliaire, a exprimé avec force ses inquiétudes sur les travers de la société salvadorienne d’aujourd’hui, alors que le monde entier a vu avec surprise un président de la République réélu sur la base de son action radicale contre les bandes organisées qui généraient de la peur et de la violence, piétinant les droits de l’homme.

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Cette année, le Calvaire est un symbole des choses que nous voulons surmonter parce qu’elles font souffrir le peuple ; je veux parler de la loi qui fête aujourd’hui son premier anniversaire d’entrée en vigueur ; une loi qui nous empêche d’être libres. Nous voulons aussi surmonter l’indifférence qui nous fait nous sentir calmes quand le monde qui nous entoure est en feu.

Beaucoup nous demandent, à juste titre, ce qu’aurait dit Monseigneur Romero à propos de l’état d’urgence et de la situation des prisonniers.

Face à cette question, en tant que pasteur – et je pense que beaucoup de prêtres et d’agents pastoraux sont d’accord avec moi – je ressens de la tristesse, de la frustration, de la honte, de l’impuissance et un sentiment de culpabilité.

Tristesse de voir combien de personnes souffrent, surtout dans le contexte de l’état d’urgence, lorsque leur cri de douleur est étouffé. Frustration de voir à quel point il n’y a pas grand-chose à faire pour leur apporter de l’aide, dans ce régime d’exception. Honte parce que beaucoup de frères et sœurs, frappés par cette situation politique, ont le sentiment que nous les avons déçus. Nous n’avons pas rempli le mandat de Monseigneur Romero : « Le pasteur doit être là où se trouve la souffrance ». Impuissance parce que notre voix, comme celle de tant de représentants de la société civile et de personnes qui veulent vraiment le bien du pays, est « une voix qui crie dans le désert ». Le gouvernement ne nous a jamais répondu lorsque nous, les évêques du Salvador, lui avons fait une demande. Et un sentiment de culpabilité parce que beaucoup d’entre nous se sont dégonflés, nous nous sommes accommodés, nous sommes restés muets, et même tombés dans l’indifférence. Nous semblons être un peuple anesthésié, à l’aise dans son petit monde, jouissant d’une paix très similaire à la paix des cimetières.

Mais tout n’est pas perdu. La procureure pour la défense des droits de l’homme a déclaré qu’un comité interinstitutionnel avait été créé pour décider de libérer ou non un prisonnier sans passer par les tribunaux. Elle a indiqué qu’ils avaient décidé de libérer environ 3 000 détenus. Le Ministère de la justice, la Police Nationale Civile, le Bureau du Procureur général et le Bureau du Défenseur des droits de l’homme (PDDH) participent à ce Comité. Le PDDH a reçu plus de 4 000 plaintes.

Certaines de ces plaintes proviennent du bureau des droits de l’homme de l’archevêché. En effet, le Bureau pour la protection des droits de l’homme de l’archevêché de San Salvador n’est pas resté les bras croisés. Notre critère est la défense des droits de l’homme et de la dignité de la personne humaine. L’état d’urgence suspend les garanties constitutionnelles telles que le droit à la liberté d’association et de réunion, le droit à la confidentialité des communications et le droit à une procédure régulière, entre autres.

En 2021, le Bureau a traité 272 dossiers, impliquant 301 détenus (parfois deux par famille) ; 166 hommes et 64 femmes. La plupart sont des jeunes âgés de 18 à 29 ans. Les jeunes sont derrière les barreaux. Depuis le début de l’année, 44 cas ont été reçus.

Qu’avons-nous découvert ? Que sont poursuivis surtout des jeunes qui vivent dans des zones à risque, de grande vulnérabilité, sans motif précis de détention. C’est une stigmatisation à l’égard de ces populations. La plupart proviennent de zones considérées comme dangereuses en raison de la présence de gangs. Les soldats et les policiers pensent que s’ils vivent là, ils sont membres de gangs. Par conséquent, nous les faisons prisonniers. Dans de nombreux cas, ils ont été arrêtés alors qu’ils rentraient chez eux après le travail.

Le Bureau a également déposé 22 demandes d’habeas corpus. Aucun d’entre elles n’a reçu de réponse positive. Cela signifie que personne n’est reconnu comme ayant le droit de savoir si son parent est vivant, s’il est mort ou comment il va.

Beaucoup d’étrangers viennent au Salvador : la plupart viennent dans le pays virtuel, celui que vend la propagande multimillionnaire, avec beaucoup de succès, à l’étranger.

D’autres viennent dans le pays réel, où il n’y a pas seulement un aéroport moderne, d’excellentes routes, des plages magnifiques, zéro violence et des gens extraordinaires, mais où il y a aussi de la douleur et de la souffrance. Ils cherchent la vérité à partir de l’expérience des pauvres.

J’ai à l’esprit la présence des mères et des proches de ceux qui sont emprisonnés, des familles qui ont été expulsées et qui font face à un avenir incertain, des familles qui ne peuvent plus supporter tant de pauvreté et de marginalisation…

Monseigneur Romero, à la veille de sa mort, n’a pas pu prêcher dans sa cathédrale occupée par des groupes de gauche. Il a célébré dans la basilique du Sacré-Cœur. Nous connaissons tous son dernier appel à la fin de la répression. Dans ce message puissant, il a lancé un appel à la conscience.

J’ose m’inspirer de ses paroles pour m’adresser à ceux qui sont en position de décideurs et qui ont un conflit de conscience ou qui devraient en avoir un. Comment peuvent-ils dormir paisiblement en voyant que l’exception est devenue la règle, c’est-à-dire la norme ? Comment peuvent-ils accepter comme normal que des personnes qui souffrent ne puissent pas s’exprimer publiquement ni s’organiser pacifiquement ? Comment peuvent-ils considérer comme normal que tous les canaux de dialogue soient fermés ?

Le monde nous regarde. Nous ne sommes pas une île dans l’univers. Beaucoup d’organisations internationales et de personnes de haute qualité humaine et éthique sont inquiètes. Les pays démocratiques ne peuvent pas rester indifférents aux conditions de vie de nombreux prisonniers, si semblables à celles vécues dans les camps de concentration.

Monseigneur Romero, aide-nous à faire tomber les voiles de nos yeux et aide-nous à faire nôtre le projet de Dieu pour lequel Jésus-Christ a donné sa vie et toi aussi, en un jour comme aujourd’hui, il y a quarante-trois ans.

Que vive Mgr Óscar Romero !

 

Maria Biedrawa vient de se voir décerner le Prix de la paix de Brême dans la catégorie « Pionniers du travail de paix ».

Active depuis vingt ans sur le continent africain dans différents contextes et pays, par exemple en République centrafricaine et au Sud-Soudan, elle y travaille essentiellement à titre bénévole. Les multiples conflits et affrontements armés laissent la population civile avec des traumatismes divers et complexes. Maria Biedrawa aide les personnes concernées en les accompagnant dans leur traumatisme et permet ainsi de rétablir la coopération et la cohabitation sociale. En tant que logothérapeute, elle met à profit ses connaissances dans cette forme de psychothérapie centrée sur les questions de sens.

Pour prévenir les conflits, elle propose une formation aux bases et aux méthodes de la non-violence. Un exemple frappant a été la formation avec de jeunes adultes au Sud-Soudan en 2016. Les jeunes ont expliqué qu’ils ne pouvaient rien faire avec des concepts tels que la paix ou la justice, « parce que personne n’a jamais vu cela ici, ni nous, ni la génération de nos parents ou grands-parents ». Avec le soutien de Maria Biedrawa, ils ont élaboré du matériel pour faire connaître ces thèmes à d’autres jeunes.

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