Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Du 3 au 13 septembre, pour son 45e voyage dans le monde, le pape François se rend dans la région qui unit l’Asie à l’Océanie : Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor-Leste et Singapour. Cette zone est un lien entre deux mondes, le malais et le mélanésien. Sur un plan religieux, le monde malais présente une dominante musulmane, même si l’hindouisme, le bouddhisme et le christianisme y sont présents, et le monde mélanésien présente une dominante chrétienne. L’Indonésie est le premier pays musulman au monde, mais à son indépendance en 1949, les fondateurs ont voulu reconnaître dans la Constitution les 5 préceptes qui doivent guider toute vie humaine (le Pancasila) et qui mettent toutes les religions qui s’y reconnaissent sur un pied d’égalité. Malheureusement, sous l’influence wahabite, l’islam indonésien s’est en partie radicalisé, conduisant les minorités à se replier sur elles-mêmes et à se faire discrètes.

Au rejet ou à la mise à l’écart des « non-croyants » (musulmans) s’ajoute une discrimination ethnique. Les mélanésiens, qui sont la population originelle de la Papouasie Occidentale, sont considérés comme des sous-hommes et des non-croyants, ce qui les place tout en bas de l’échelle sociale. En 1963, l’Indonésie a conquis cette ultime colonie hollandaise dans la région, 14 ans après son indépendance. L’île de Nouvelle Guinée avait été divisée par les puissances coloniales en deux, néerlandaise à l’ouest et anglaise à l’est. Alors que la Papouasie Nouvelle Guinée a proclamé son indépendance, sa « moitié » a été recolonisée par l’Indonésie.

Depuis, et loin des radars de la communauté internationale, les Papous de cette région mènent une bataille contre le pouvoir indonésien qui ne compte pas lâcher ces provinces de sitôt. Elles regorgent de richesses et représentent près d’un quart du territoire indonésien. Les victimes papoues se comptent ainsi en centaines de milliers. Par ailleurs, les politiques indonésiennes de colonisation et d’acculturation poussent les indépendantistes à parler aujourd’hui de « génocide lent » et d’« écocide », avec, au bout du compte, la disparition de leur peuple et de leur culture.

Le pape François, lors de son séjour en Papouasie-Nouvelle-Guinée, se rendra à Vanimo, localité siège d’un diocèse au nord de l’île, à la frontière avec la Papouasie occidentale. Les Papous espèrent du Saint Père des paroles de dénonciation des violations de leurs droits et d’encouragement à rester eux-mêmes, puisant l’espérance d’un avenir meilleur dans leur foi chrétienne et dans leur résistance à la déculturation forcée.

 

Un temps d’instabilité politique

Les institutions ne suffisent pas à garantir la stabilité de la vie publique, les décisions des responsables modifient les équilibres. Selon un discours convenu, la constitution de la Ve République était censée mettre de l’ordre après les déconvenues de la IVe :  des jugements quelque peu injustes sur la période 1946-1958, conjoints à une vision idéalisée de l’après 1958. Or, la situation actuelle remet en question cette lecture orientée de l’histoire. Nous voici avec une assemblée nationale qui a bien du mal à dégager une majorité apte à gouverner.

Un regard sur la situation politique
On peut questionner les décisions du président de la République, notamment une dissolution inopinée. Mais on doit aussi constater une fragmentation des courants politiques : la bipolarité qui permettait de distinguer clairement une majorité et une opposition n’est plus d’actualité. En démocratie, les choix des électeurs sortent parfois des schémas convenus ! Au vu du résultat des élections législatives, les commentateurs présentaient une solution : la formation d’une coalition apte à gouverner. Mais on ne crée pas une nouvelle culture politique d’un claquement de doigt ; de plus, certains partis espèrent tirer profit du flou actuel, tandis que certaines personnalités ne pensent qu’à la prochaine échéance présidentielle. Ajoutons que la pause estivale, doublée du divertissement olympique, n’était guère favorable aux projets ambitieux.
Que voyons-nous ? Alors que les élections législatives avaient semblé renforcer le pouvoir de l’Assemblée nationale, le président apparaît seul, présent sur tous les fronts et s’exprimant à tout propos. Pendant ce temps, le pays continue de tourner, grâce au travail continu de l’administration. La situation est donc tout à fait paradoxale.

Des interrogations à propos des pratiques politiques
Quelles leçons tirer du flou actuel ? Plusieurs tendances qui s’accentuent semblent se conjuguer. Tout d’abord une pratique politique de plus en plus centrée sur le pouvoir présidentiel. Notons à ce propos une caractéristique du populisme : une personnalité prétend incarner la nation, elle décide de tout en s’adressant directement au peuple, au détriment du rôle des corps intermédiaires : la subsidiarité est alors mise à mal. Mais une telle pratique, associée à des jeux de communication, conduit à l’effet inverse de celui escompté : la liberté d’expression étant sauve, la méfiance à l’égard du pouvoir présidentiel se répand et rejaillit sur l’ensemble de la représentation politique. Une deuxième faiblesse concerne la pauvreté de la pensée et du débat politiques, les projets ressemblent souvent à un catalogue de mesures disparates cherchant à s’attirer les faveurs de diverses « communautés ». Faute de références solides et argumentées, les prises de parole tendent à se réduire aux petites phrases, voire aux insultes.

Un esprit citoyen en déshérence
Les interrogations concernent aussi l’ensemble des citoyens. Nous avons du mal à envisager notre responsabilité à l’égard du Bien commun : celui-ci ne tombe pas du ciel, il se construit jour après jour grâce à nos multiples contributions, par le travail, les solidarités diverses, les engagements citoyens. La construction du Bien commun comprend la possibilité effective pour chacun de trouver place dans la société et d’y apporter sa contribution. De plus, une vie commune relativement pacifiée suppose une réelle justice sociale. Chacun doit pouvoir accéder aux biens élémentaires, or nombre de nos concitoyens dépendent de l’aide alimentaire pour se nourrir. Chacun doit aussi pouvoir estimer que sa voix compte. Quand les puissants imposent leurs vues et leurs intérêts catégoriels, ceux qui se sentent exclus ne participent pas aux élections ou émettent un vote de protestation.

La participation au Bien commun questionne une vision de l’humain qui le réduit à un individu en recherche de son seul intérêt. Il importe donc de faire place au désir d’une vie bonne ensemble, sous le signe de la liberté, mais aussi de l’égalité et surtout de la fraternité. Nous ne pouvons tout attendre de nos élus, chacun à notre manière nous devons contribuer à la formulation d’un projet de société, basé sur le goût de vivre ensemble. Sinon, le vote traduit plus des refus que des convictions et des adhésions.

Le flou actuel n’est pas sans danger, la violence des mots peut dégénérer en violence physique, d’autant que certaines idéologies tendent à nous opposer les uns aux autres en raison du lieu de vie, des origines, de la couleur de peau, de la religion, etc. Mais l’inquiétude peut aussi réveiller en chacun le goût de contribuer positivement à la vie commune

André Talbot, Justice et Paix France

 

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La France vue d’Europe

La France, vue d’Europe, apparaît souvent comme un pays étrange : elle possède nombre d’atouts et d’éléments de réussite (un système de protection sociale unique au monde, une puissance économique certaine, une attractivité touristique incomparable etc.) et pourtant elle semble insatisfaite d’elle-même, inquiète, incapable de résoudre les questions qui se posent (insécurité, éducation, détérioration du système de santé, difficultés d’intégration de certaines populations étrangères etc.). Les résultats des élections européennes puis législatives anticipées ne manquent pas d’interroger nos voisins et partenaires. Les élections européennes ont traduit chez nous un fort mécontentement mais curieusement sans effet sensible sur l’équilibre européen, voire sans efficacité. Les partis de gouvernement sont dispersés et affaiblis et pèsent moins dans leurs groupes d’appartenance (certains députés français ont même été jusqu’à voter contre la position de leur groupe politique lors du vote pour la reconduction de Mme von der Layen à la tête de la Commission !). Quant au Rassemblement National, grand vainqueur du scrutin au niveau national, il s’est marginalisé dans un groupe sans responsabilité au sein du Parlement européen (la poussée annoncée et attendue des partis populistes a été moins forte que prévue et surtout inégalement répartie : croissance forte dans les pays fondateurs de l’Union européenne, en France, en Allemagne, en Belgique et en Italie et plutôt en retrait dans certains pays de l’est européen, Pologne, Hongrie, Slovaquie, Roumanie…). Bref, la voix de la France en Europe sort tout à fait amoindrie des élections de juin…

Quant aux élections législatives anticipées, si elles ont entraîné un échec de la majorité présidentielle, le front républicain du second tour a manifesté un refus net de donner les clés du gouvernement à l’extrême-droite. Résultat : une assemblée sans majorité et une difficulté extrême à trouver un gouvernement pérenne. Là encore, vu d’Europe, cela paraît bien étonnant : que veulent ces français si prompts à dire non et incapables de s’entendre sur des politiques à suivre ? Quant à la possibilité d’un gouvernement du Nouveau Front Populaire, la présence en son sein de la France Insoumise inquiète nos partenaires sur les questions internationales et de défense, en particulier pour ce qui est du soutien à l’Ukraine face à l’agression russe mais aussi du soutien de LFI (ou de certains de ses membres) au Hamas, avec le risque réel de développement de l’antisémitisme. Là encore les problèmes internes du pays ne lui permettent pas d’avoir une position lisible et reconnue au niveau européen.

Pour un observateur extérieur, ce qui est difficile à comprendre c’est l’incapacité à bâtir des coalitions larges, à trouver des compromis, à chercher un chemin commun entre les partis, à permettre à une certaine rationalité de dépasser les passions. Sans doute l’expérience, longue maintenant, du scrutin majoritaire renforce cette difficulté, chaque camp se présentant comme incompatible avec ses adversaires (ou même parfois ses ennemis !). Sans doute le goût des idéologies politiques est ancré dans notre histoire et le mythe de la Révolution jamais bien loin… Mais comment ne pas se dire qu’il y a beaucoup de vanité dans bien des postures et qu’une certaine humilité devrait aller davantage de pair avec une compréhension du Bien commun. Dans la République laïque, la référence chrétienne est difficile à accepter, mais pourtant, comment ne pas penser que les principes fondamentaux de l’Enseignement social de l’Église pourraient aujourd’hui être fort utiles à la conduite de notre pays ?

+Antoine Hérouard, Archevêque de Dijon, Vice-Président de la Comece

 

Il est plus facile de réussir les Jeux Olympiques que de trouver des compromis politiques !