Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Elle est composée de 5 archipels : archipel de la Société (îles du Vent et îles Sous le Vent), archipel des Tuamotu, des Gambier, des îles australes et des îles Marquises ; au total 118 îles dont seulement 76 habitées et une population d’un peu plus de 300 000 habitants.

Protectorat français à partir de 1842, Établissement Français d’Océanie en 1880, elle devient Territoire d’Outre-Mer sous le nom de Polynésie Française en 1957 et, en 2004, Pays d’Outre-Mer. L’État Français est représenté par un Haut-Commissaire de la République, ayant à peu près les fonctions d’un préfet. Le pouvoir est partagé entre l’assemblée territoriale (élue au suffrage universel) et son président et le gouvernement dirigé par le président de la Polynésie Française.

La pirogue à balancier unique le Va’a est le symbole de ce peuple de navigateurs, berceau du surf. La monnaie est le franc pacifique, les principales ressources sont, le tourisme, la vanille, la perliculture, la pêche et le coprah. Il n’y a ni RSA, ni caisse de chômage et ¼ de la population vit sous le seuil de pauvreté bien que la France injecte 1,7 milliard d’euros chaque année.

En 1949, Pouvana’a a Oopa fonde le RDPT (Rassemblement démocratique des populations tahitiennes), parti autonomiste et la même année Rudy Bambridge fonde lui l’Union tahitienne, attachée à la métropole. Pouvana’a a Oopa devient chef du gouvernement local en 1957. Mais en 1958 au référendum sur la constitution de la Ve république, la Polynésie française vote oui, sauf les îles Sous le Vent son fief. Pouvana’a est arrêté malgré son statut de député et condamné à l’exil, les pouvoirs du gouverneur sont alors renforcés.

En 1962, le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) est installé à Mururoa, et Fangataufa, avec la venue de près de 15 000 militaires, marins, ingénieurs et leurs familles. Jusqu’en 1996, la Polynésie connaîtra 46 essais atmosphériques et 147 souterrains. Peu de débats sur ces essais en métropole sauf lors de l’affaire du Rainbow Warrior en 1985.

L’installation du CEP a eu des conséquences durables. D’abord, les retombées des essais et une impression de légèreté et d’inconséquence de la France : quid de l’atoll ? de la contamination de la chaîne biologique ? des maladies ? de la radioactivité ? ou encore de l’enfouissement des déchets ? Ensuite, l’arrivée massive de métropolitains a entraîné des transferts financiers très importants sans création réelle de richesse. Le mode de vie des populations locales a été profondément transformé, et le jeu politique local également.

Si l’indépendance avait le vent en poupe dans les années 50, ce sont les mouvements autonomistes qui vont prendre le dessus en acceptant la manne que représentait le CEP. L’Union tahitienne (Gaston Flosse succède à Rudy Bambridge) se rallie aux gaullistes et approuve la politique gouvernementale et prend le nom de Tahoera’a huira’atira, alors que le RDPT la conteste ce qui entraîne sa dissolution en 1963. Un peu plus tard, Oscar Temaru crée le Front de libération de la Polynésie, FLP/Tāvini Huira’atira, résolument indépendantiste.

À partir de 1990, et pour près de 15 ans, Gaston Flosse dirige la Polynésie et met l’ensemble du pouvoir au service de son parti (il sera définitivement condamné en 2014 et perdra tous ses mandats). En 2004, plusieurs partis indépendantistes se regroupent autour de Tāvini qui devient l’Union pour la démocratie (UPLD) et, en 2011, Oscar Temaru demande l’inscription de la Polynésie sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser de l’ONU (fait lors de l’Assemblée générale de l’ONU du 17 mai 2013), mais Gaston Flosse qui vient à nouveau de remporter les élections fait voter un vœu confirmant le souhait des polynésiens de rester français.

Au retrait « officiel » de Flosse, Édouard Fritsch devient président de la Polynésie. Lors des dernières élections de 2023 il est battu, au cours d’une triangulaire opposant deux listes autonomistes et la liste indépendantiste menée par Moetai Brotherson, cette dernière remportant l’élection.

Le 11 mai, Moetai Brotherson (gendre d’Oscar Temaru) est élu président de la Polynésie tandis que Antony Géros est élu président de l’Assemblée. Brotherson est très prudent sur la marche vers l’indépendance et ne prévoit pas de référendum avant une quinzaine d’années et ce après avoir démontré que la Polynésie peut assumer son destin, tandis que la vieille garde du parti et le président de l’Assemblée sont impatients de réaliser cette indépendance.

Le problème de la présence de la France dans le Pacifique se trouve ainsi posé en Polynésie et en Nouvelle Calédonie. La France est une très grande puissance maritime grâce à ces territoires, la moitié des eaux maritimes françaises (5 millions de km2), se trouve en Polynésie. Récemment, les États-Unis sont intervenus avec force, devant la montée en puissance des ambitions chinoises et dans cette nouvelle configuration géo stratégique, la présence de la France n’est plus forcément regardée d’un mauvais œil par les pays de Sud Pacifique, mais reste à traiter l’avenir politique de ces territoires.

 

 

 

Mayotte, département français créé en 2001 à la suite de demandes répétées des Mahorais de devenir et de rester français, connaît depuis longtemps des arrivées de Comoriens de l’Union des Comores, principalement de l’île voisine d’Anjouan, attirés par l’eldorado que représente ce bout de France perdu dans l’océan indien. Même si depuis 1975, année de l’indépendance, les îles indépendantes réclament ce territoire, les Mahorais n’ont eu de cesse de revendiquer leurs particularités et d’affirmer leur ferme volonté de rester dans la République française. Pour sa part, la France a aussi confirmé ses intérêts de grande puissance maritime en faisant de Mayotte sa porte d’entrée dans le canal du Mozambique.

L’évolution de Mayotte a créé une telle distorsion de développement au sein de l’archipel que beaucoup de Comoriens n’hésitent pas à franchir la mer pour venir s’installer à Mayotte. Le nombre d’immigrés comoriens n’a cessé de croître, créant des problèmes de surpopulation, soulignant l’insuffisance des écoles et des centres de santé, sans parler des questions d’emploi.

Les quartiers précaires se sont multipliés, bidonvilles partagés entre immigrés et Mahorais pauvres, lieux de violence et de tensions. Les autorités françaises prennent de temps en temps l’initiative d’un « décasage » et d’un renvoi chez eux des immigrés non reconnus. La dernière opération baptisée Wuambushu a suscité beaucoup de réactions. D’une part, les Mahorais excédés par le nombre croissant et l’attitude des Comoriens sont devenus de plus en plus radicaux, ouvrant la voie à des opérations de ratissage parfois violent ; d’autre part, les défenseurs des droits de l’Homme alertant et mobilisant pour que les droits de tous soient respectés, et dénonçant une opération anti-pauvres, en ont appelé à la justice pour bloquer les ordres de renvoi. Mais après un arrêt de la chambre d’appel de Mayotte et la reprise des liaisons maritimes entre Mayotte et les Comores, le décasage a recommencé.

Comment sortir de cette situation inextricable ? La solution ne résiderait-elle pas dans un renforcement sans précédent de l’aide au développement des Comores, dans un cadre repensé, pour qu’elle serve vraiment au développement humain de tous.

 

Une Loi sans choix ?
Le principe d’annualité budgétaire ne permet pas de prévoir les dépenses et investissements à long terme. D’où, notamment pour les dépenses militaires, des lois de programmation militaire (LPM) qui visent à établir une programmation de durée variable (5 ans en général) des dépenses que l’État consacrera à ses forces armées. Une nouvelle LPM est en préparation, pour la durée 2024-2030, et devrait être votée avant l’automne de cette année [voir le discours du Président Macron du 22 janvier 2023].

Comment l’apprécier ? 
Le plus simple est de partir de l’enveloppe financière. À ce jour, les perspectives sont d’environ 413 milliards d’€, sur six ans, selon une répartition croissante plus importante sur les dernières années. Comme pour tous les ministères des discussions ont lieu avec le ministère des Finances (qui tend à en réduire les montants) entre les différentes armes (Terre, Air, Mer…), chacune demandant plus, un choix gouvernemental et surtout présidentiel, et enfin un débat au Parlement. Hélas, les commentaires se concentrent le plus souvent sur cette dimension financière, entre ceux qui veulent plus et ceux qui veulent diminuer.
Or il serait plus pertinent de s’intéresser au contenu : quels sont les grands axes de dépenses et en quoi traduisent-ils des conceptions politiques globales d’utilisation de la force militaire ? Soit en les classant par catégories ou fonctions : renforcer la dissuasion, mener un affrontement de « haute intensité », protéger les intérêts de la France et des espaces communs (au-delà du territoire, l’espace maritime, voire océanique, air et espace, cyber…), agir en partenariat (alliances et coalitions). Soit par spécialités : par exemple l’armée de terre, la marine, l’aviation et l’espace, le renseignement… Évidemment, ces éléments sont interdépendants, ne partent pas de rien mais prolongent les choix des années passées tout en traduisant des inflexions et des innovations. Même s’il est naturel qu’une latitude soit laissée aux responsables militaires dans l’utilisation des fonds sur cinq ou six ans, le diable est comme toujours dans les détails. Ce sont les capacités ou les moyens dont disposera l’État qui déterminent largement les possibilités d’action, actuelles ou futures.

Quelles sont les missions et les orientations qui sous-tendent ces choix ?
Point n’est besoin d’être spécialiste pour se demander si l’on veut avoir des capacités surtout nationales, avoir la possibilité de se projeter au-delà (Afrique, Asie-Pacifique…), s’en remettre à un partenaire dans une alliance (choix de beaucoup de nos alliés dans l’Union Européenne, qui préfèrent faire globalement confiance à l’Alliance Atlantique et son organisation militaire l’OTAN, c’est-à-dire en définitive aux États-Unis). Ou même ne pas avoir certains moyens afin de ne pas s’engager dans telle zone ou tel conflit. Or ce débat, qui demande moins une compétence qu’une appréciation commune est quasi inexistant. Même avant la suspension du service national, l’intérêt des citoyens pour les choix de sécurité était limité. À défaut, on fait du capacitaire, c’est-à-dire qu’on prolonge, au mieux modernise, mais comme les finances manquent on se retrouve avec des moyens et stocks limités. Ainsi, le discours rituel sur la dissuasion tend à répéter les mêmes arguments depuis 50 ans (1973 premier Livre Blanc), sans tenir compte de la prolifération nucléaire (passée de quatre à neuf acteurs), ni des conséquences des évolutions techniques (vitesse, temps de réaction…), sur la gestion d’une crise, ou du respect des engagements pris dans le Traité de Non-prolifération (TNP). En ce qui concerne les forces classiques, des questions se posent sur le besoin d’un nouveau porte-avion, et de son groupe aéronaval, et donc des avions correspondants à l’heure où les missiles rendent ces armes très vulnérables. Malgré quelques efforts, les Européens rechignent à élaborer une stratégie commune et la Loi de Programmation renonce à définir la dimension européenne des besoins, quitte à insister sur les capacités nationales de renseignement, et le soutien à une « économie de guerre », c’est-à-dire au renforcement des moyens de production et de commercialisation. Or la logique qui y règne n’est ni nationale, ni européenne mais, légitimement, financière. Enfin rien sur les dimensions d’une défense civile intégrée à des moyens aptes aux menaces environnementales d’une « écologie de guerre ».

La LPM cite abondamment l’Asie-Pacifique et les espaces maritimes (notamment l’Indo Pacifique et les fonds marins). Elle prend en compte la guerre en Ukraine surtout pour déplorer la faiblesse des stocks disponibles en cas de conflit majeur. Mais tout se passe comme si les arguments capacitaires se substituaient aux considérations plus globales et à une stratégie d’ensemble qui devrait être européanisée puisque les conflits récents montrent la nécessité de complémentarités correspondant à des préoccupations proches.

Enfin, le soutien collectif national supposé est-il garanti en cas de crise ?

L’arrière, c’est-à-dire un consensus minimal, est indispensable, au dire même des militaires, à la réussite des actions menées. Le construire nécessite l’information et l’explicitation des choix. Souhaitons que le débat parlementaire aille dans ce sens. Et que les échéances électorales des Européennes de 2024 les élargissent. On peut toujours espérer !