Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Le peuple haïtien est fier d’une chose au moins : le fait d’avoir été le premier à s’être libéré du joug colonial et de l’esclavage le 1er janvier 1804. Pour le reste, malheureusement, il n’a guère de raison de se réjouir. De nouveau, le pouvoir en place ignore les appels au secours lancés par tout la société haïtienne, l’Église catholique n’étant pas la dernière à demander que soit instauré un État au service du bien commun.

Mais comment se fait-il que depuis son indépendance Haïti n’ait pratiquement fait que glisser d’une situation impossible à une autre ? Pourquoi en est-on arrivé là où nous en sommes aujourd’hui ?

L’indépendance, fruit d’une guerre de libération contre les troupes napoléoniennes, n’a été que de façade. La France, en 1825, a contraint sous la menace des armes Haïti à payer cette indépendance au prix fort, le maintenant dans une position d’obligé : la contrepartie de la reconnaissance de cette indépendance fut une compensation de 90 millions de francs or. Cette indemnité, qui dépassait largement les maigres moyens d’Haïti, a été payée grâce à des prêts réalisés par des banques françaises à des taux usuraires, pesant très lourdement sur le développement du pays. La colonisation s’est ainsi poursuivie d’une autre manière.

Les États-Unis d’Amérique du nord ont pris le relais de la France. En 1914, des Marines américains ont saisi la réserve d’or de la Banque centrale, l’entreposant dans une banque à Wall Street. En 1915, ils envahissent Haïti sous le prétexte que le pays est trop pauvre et trop instable pour être livré à lui-même. L’occupation militaire américaine durera 19 ans. Les USA maintiendront leur contrôle financier jusqu’en 1947.

De roi en président, de président en dictateur, les dirigeants successifs d’Haïti n’ont guère pu se dégager de cette emprise néocoloniale. Le dernier qui l’ait tentée, Jean Bertrand Aristide, dans les années 1990 et 2000, a échoué. Sa volonté d’essayer d’en finir avec les politiques libérales tournées vers l’extérieur lui aura coûté ses deux mandats. Depuis, tous les présidents auront eu l’aval et l’appui des USA.

Le 7 juillet 2021, le président en exercice, Jovenel Moïse, est assassiné. Le premier ministre, Ariel Henry, nommé quelques jours auparavant, s’est investi, vacance aidant, dans une fonction présidentielle pour laquelle il n’a aucune légitimité. Le fait que cette situation dure depuis 2 ans, et qu’elle ait l’appui des traditionnels soutiens extérieurs regroupés dans le Core Group (composé des ambassadeurs du Canada, des États-Unis, de l’Allemagne, du Brésil, de l’Espagne, de la France, de l’Union européenne et de représentants de l’ONU) montre qu’Haïti est à nouveau sous la coupe d’amis dont les intérêts propres semblent bien éloignés de ceux du peuple haïtien.

Le maintien de cette usurpation des pouvoirs n’est possible que par la violence, violence institutionnelle et violence au quotidien. Les institutions sont au point mort. La justice ne fonctionne plus, des juges courageux étant assassinés et d’autres s’éloignant. Le mandat des parlementaires est achevé pour la plupart d’entre eux. La police n’a pas les moyens de faire face à la violence. Selon l’ONU, les gangs contrôlent désormais 80 % de Port-au-Prince.

Les gangs massacrent, tuent, kidnappent, s’emparent de ce qui a de la valeur. L’insécurité dans la capitale est comparable à des situations de conflit armé selon l’ONU. La population, excédée, commence à se faire justice elle-même ou à fuir les quartiers les plus touchés, alors que les morts se comptent par dizaines chaque jour, dans l’indifférence générale. Nombreux sont les Haïtiens, en particulier les mieux formés, qui fuient le pays.

 

Manifestations en Haïti contre l’affaire PetroCaribe

Le triste résultat est que le pays figure encore et toujours parmi les pays les plus pauvres de la planète avec un PIB par habitant de 1 800 € par an. La crise est multidimensionnelle – politique, sécuritaire, judiciaire, économique, sanitaire, éducative – et a plongé le pays dans une situation encore rarement connue : les approvisionnements étant bloqués par la présence des gangs, alors que le pays dépend largement d’importations alimentaires (80 % du riz est importé), plus de la moitié de la population ne mange pas à sa faim, et une grande partie est au bord de la famine. L’inflation a des effets ravageurs. L’essence se faisant rare (la révolte qui a précédé l’assassinat de Jovenel Moïse était une protestation face à la multiplication des prix des produits pétroliers exigée par la « communauté internationale »), les produits sont bloqués et les transports très limités. La plupart des écoles et des centres de santé sont fermés, la sécurité et les approvisionnements n’étant pas assurés. L’impunité règne. Le système pénitentiaire est en panne. Le pays est à l’arrêt et personne ne se bouscule pour le remettre en état de marche et le relancer.

La corruption est une réalité endémique. Elle s’est développée tout particulièrement pendant le régime Duvalier, et elle est devenue un système qui domine la politique à tous les niveaux. Les corrompus n’ont évidemment de souci autre que leur maintien dans les fonctions qui leur permettent de satisfaire leurs intérêts personnels et ceux de leurs groupes. L’affaire PetroCaribe, du nom d’un programme de développement soutenu par le Venezuela, n’est toujours pas résolue, la justice ne fonctionnant pas. Les vrais patrons des gangs se trouvent dans leurs rangs.

S’ajoutent les nombreuses catastrophes naturelles, imprévisibles certes, mais dont l’impact est maximal dans une société autant abandonnée à elle-même et peu préparée à faire face. Les tremblements de terre de 2010 (300 000 victimes) et de 2021, les ouragans de 1994, 2004 et 2016 ont laissé des traces profondes.

Comment sortir de cette impasse qui coûte tant de vies et obère l’avenir ?
Les idées d’initiatives internationales ne vont pas dans le bon sens. À part quelques mesures d’aide alimentaire, avec des programmes dans les écoles encore ouvertes, ou l’assurance fournie à de petits agriculteurs pour leurs futures récoltes, ou bien des propositions de formation de la police ou bien encore quelques sanctions prises par des États étrangers sur des personnalités totalement corrompues, rien.

La seule mauvaise idée qui ait fait surface ces derniers temps est à nouveau celle d’une recette qui n’a fait que créer des problèmes supplémentaires dans le passé et coûte fort cher : une intervention internationale pour en finir avec les gangs et restaurer la sécurité. Il n’y a que les gouvernants, illégitimes rappelons-le, qui la demandent. Il est tentant pour certains de croire qu’une intervention militaire internationale musclée mettra les gangs hors d’état de nuire et permettra à Haïti de retrouver une situation plus normale. Les missions internationales antérieures de l’ONU et de l’OEA (10 missions depuis 1993) n’ont pas réussi à mettre le pays sur la voie du progrès et de la stabilité. Elles ont aggravé la crise sociétale, contribué à affaiblir les institutions étatiques, apporté le choléra, renforcé la dépendance du pays à l’extérieur, en fait elles ont contribué à créer ou renforcer la situation catastrophique que le peuple haïtien connaît maintenant. Il ne faut pas répéter la même erreur encore une fois.

Poussé par la communauté internationale, le premier ministre a officiellement mis en place en début de cette année un Haut Conseil de la Transition (HCT), chargé de mettre en route, le plus tôt possible, un processus électoral, annonçant la mise en place du conseil électoral provisoire chargé de l’organisation des élections. Rappelons que les mandats électoraux sont quasiment tous arrivés à leur terme et que ceux qui siègent ne sont plus légitimes. Mais depuis lors, les réunions programmées ont toutes été reportées sine die

Lueur d’espoir
La société civile, malgré la situation tendue, s’exprime. Des voix s’élèvent pour demander un changement radical et sortir enfin le pays de sa situation de dépendance, de délabrement de ses institutions et de violence sociale et aider le peuple à revivre, à retrouver l’espérance et à faire respecter la souveraineté du pays et sa constitution. La période de transition en place depuis l’assassinat du président offre cette opportunité de repartir sur de nouvelles bases plus inclusives de tous les Haïtiens qui contribueront à des solutions réelles et plus durables. Un large éventail de représentants de la société civile, des partis d’opposition et du secteur privé et que l’on peut considérer comme représentatifs de la société haïtienne sont parvenus à un large consensus national pour une sortie de crise sur la base d’un accord signé en août 2021, l’Accord Montana (du nom de l’hôtel de Port-au-Prince où ils étaient réunis).

Pour les parties à l’Accord Montana, la période de transition doit offrir la possibilité sans attendre de remplacer l’actuel gouvernement de fait par un gouvernement de transition constitué de personnalités dont la mission temporaire sera de restaurer l’état de droit et la sécurité, et qui devrait recevoir l’appui de la communauté internationale. Propositions qui portent une part d’utopie sans doute mais méritent l’attention car elles sont les seules à chercher une vraie sortie de crise par une mobilisation citoyenne.

 Justice et Paix Haïti

La Commission épiscopale nationale Justice et Paix est une institution de la pastorale sociale de l’Église catholique.

Elle est organisée avec un Comité directeur national et des délégués diocésains.

La Commission Justice et Paix est présente à travers le pays dans plus de 335 paroisses et dans les 10 diocèses.

Elle forme donc un réseau bien implanté dans le milieu.

Elle dispose d’un secrétariat national permanent.

La priorité de la Commission est la promotion, la défense de la dignité humaine et les droits humains, et la construction de la paix.

Parallèlement, d’autres initiatives ont vu le jour, portées par des organisations enracinées comme la plateforme des organisations haïtiennes des droits humains (dont Justice et Paix fait partie) ou encore Ensemble contre la corruption. Le CRAN (cellule de réflexion et d’action nationale) développe des analyses et publie des documents. La Fondation Je klere recueille des témoignages et formule des recommandations pour l’action contre la violence criminelle.

Le peuple haïtien continue d’espérer et compte sur la solidarité des autres peuples, dont le peuple français, pour sortir enfin de l’enfer dans lequel il est plongé. La société civile internationale avec ses réseaux doit pouvoir y aider davantage. Sans attendre.

 

Le Contrôle Général des Lieux de Privation de Liberté vient de publier son rapport annuel 2022 où avec 73 080 détenus au 1er avril 2023 et un taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt à 142,2 %, la France a atteint un nouveau record de surpopulation carcérale.

Un constat désolant après l’espérance suscitée lors du premier confinement quand la densité carcérale était descendue à 100 %. Cette baisse exceptionnelle avait conduit un syndicat de directeurs de prisons proche de la CFDT[1] à écrire dans une lettre ouverte au Président de la République : « il ne sera (…) plus jamais possible de prétendre que l’encellulement individuel constitue un objectif inatteignable, que le numerus clausus est une chimère. L’action gouvernementale mise en œuvre pour permettre à la population détenue en France de diminuer de près de 10 000 détenus en 1 mois le démontre et cela constitue un gigantesque espoir pour les femmes et les hommes qui exercent au service de l’administration pénitentiaire ». Celles et ceux qui sur le terrain vivent l’absurdité d’un système qui produit violence, haine et récidive et constitue un danger pour la société, plaident pour une régulation de la population carcérale.

Naïfs sont ceux qui pensent qu’enfermer les gens dans les conditions que décrit le rapport du CGLPL puisse résoudre la délinquance. La loi qui stipule que l’emprisonnement vise à : « préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions » est piétinée par les conditions objectives de détention.

Aumôniers, nous en sommes témoins ainsi que de la souffrance des personnels qui en bout de chaîne assument les conséquences du manque de volonté et de courage politique. C’est indigne d’un pays qui revendique la paternité des « droits de l’homme » et il revient à chacun d’entre nous de lire et faire lire ce rapport pour que nul ne puisse dire qu’il ne savait pas. La responsabilité de chacun(e) est de s’informer sans se contenter des poncifs relayés par les médias et certains politiques sur le prétendu « laxisme » de la justice qui ne correspond à aucune réalité objective. La réalité, c’est que l’annonce de la construction de 15 000 nouvelles places ne résoudra rien, c’est que la nouvelle loi confiance qui a modifié le calcul des réductions de peine va encore contribuer à augmenter la surpopulation carcérale. La réalité, c’est que plus les conditions de détention sont indignes, plus elles conduisent à mettre dehors en bout de course des personnes qui ont accumulé de la haine et pour lesquelles la peine n’a pas fait sens, c’est que le déficit de moyens des services d’insertion et de probation et de solutions pour accompagner la réinsertion (lieux de placement extérieur, de travaux d’intérêt général…), le déficit de moyens alloués à la justice restaurative, contribuent à une justice qui abîme plutôt qu’à une justice qui répare.

L’intérêt de la société est que la justice ne génère pas à terme de nouvelles victimes mais que les conditions d’exécution de la sanction contribuent à accompagner chacun vers le meilleur de lui-même. La naïveté serait de penser que se débarrasser un temps sans en prendre soin de l’auteur d’un crime ou d’un délit puisse résoudre le problème et il est de la responsabilité de chacun(e) d’entre nous de se saisir de la question sans espérer une solution de la part de politiques qui gèrent la prison comme le tapis sous lesquels les négligents glissent la poussière pour donner l’illusion d’avoir fait le ménage. Il est de la responsabilité de chacun(e) d’entre nous de faire en sorte que les lieux d’enfermement cessent d’être le point aveugle de nos sociétés, l’angle mort de nos politiques publiques.

Il est de la responsabilité de chacune et chacun d’entre nous de s’informer et de partager le plus largement cette information[2] pour que la conscience collective provoque un changement de perspective. Il ne manque pas de gens de bonne volonté mais ils manquent d’attention à ce qui malheureusement intéresse trop peu de monde.

Illustration : Mur de la prison de Villeneuve-les-Maguelone

 

[1] SNDP-CFDT, Lettre ouverte au Président de la République du 20 avril 2020

[2] https://www.cglpl.fr/rapports-et-recommandations/rapports-annuels-d%E2%80%99activite/

 

L’actualité révèle au grand jour des situations de violence, avec des atteintes aux biens et surtout aux personnes, y compris des acteurs de la vie publique. Nous pouvons y voir le révélateur d’un climat de violence, par des paroles qui affectent les relations habituelles et la dignité des personnes, par des injustices et des discriminations liées aux origines et aux conditions de vie. Mais les dérapages destructeurs impliquent sûrement la responsabilité des auteurs. Un travail commun en éthique et en morale n’est donc pas superflu.

1 – Morale, éthique… Suite !
* On entend beaucoup aujourd’hui, et pas seulement de la part de politiques, notamment à propos des migrations : « Moi je ne fais pas de morale, je m’intéresse au réel ». Tout d’abord, que serait une morale qui ne s’intéresserait pas au réel ? Affirmation de principes formels, vœux pieux, répétition de slogans… Toute réflexion honnête à propos de morale et d’éthique doit commencer par une attention aux situations et à leurs enjeux de vie, notamment pour les humains. Il s’agit aussi de dépasser son seul avantage personnel ou communautaire pour s’intéresser à l’autre et au monde, pour se situer de manière réfléchie et responsable.
* La dérobade, sous prétexte de ne pas faire de morale, paraît bien trompeuse. Ce que l’on présente comme des évidences ou du bon sens cache souvent des préjugés et des intérêts liés à telle catégorie sociale ; il y a aussi des peurs diffuses. On évoque peu une théorie morale qui se pare de bon sens et régit les comportements, alors qu’elle se trouve rarement explicitée : l’utilitarisme. Cette théorie s’appuie sur une principe simple « est bon ce qui sert le plus grand bien-être du plus grand nombre ». Une apparence d’évidence qui comporte des points aveugles. Comment mesurer le bien-être ? On en reste souvent à des critères matériels, voire monétaires, oubliant les valeurs éthiques, symboliques, spirituelles. Que devient alors le « petit nombre », est-il voué à l’oubli ? On risque de légitimer ainsi la mise au rebut des plus fragiles, de les considérer comme des « déchets ». Un exemple : les débats concernant une loi sur l’immigration. La référence à la dignité humaine est rarement évoquée, on se concentre sur des risques (la rencontre de différentes cultures n’est jamais simple) ou des avantages (occuper des emplois peu valorisés). Un signe inquiétant : la fraternité est carrément laissée de côté.
* Rappelons-nous que le déficit de réflexion et de débat éthique, que la méconnaissance de la dignité humaine parfois jusqu’au mépris, tout cela amplifie le climat de violence.

2 – Solidarités : des avancées politiques, des rencontres étonnantes…
* Une rencontre d’acteurs politiques a eu lieu à Paris pour organiser l’aide aux populations les plus fragiles. Il est bon que les représentants des différents pays se parlent et mettent en place des procédures de soutien. Mais des engagements déjà pris n’ont pas été tenus, concernant le dérèglement climatique et le soutien effectif aux pays les plus en difficulté. Il est important de tenir parole pour promouvoir un développement local, faire face aux défis climatiques et à l’extrême pauvreté. On éviterait ainsi que des populations se trouvent contraintes à la migration.
* Des ados pris en charge par l’institution Salvert (dans la Vienne), au nom de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), se sont rendus avec leurs éducateurs au Togo pour rencontrer des jeunes de leur âge. Rendant compte de leur voyage auprès d’un public adulte, ils ont dit combien une telle expérience les avait changés, au point de modifier leur mode de vie et d’envisager des projets d’avenir. Ils attendent à leur tour la venue de visiteurs togolais… À noter que le département, qui a compétence pour l’ASE, a contribué au voyage et donc aux rencontres.

3 – Drames humains…
* Un bateau coule au large de la Grèce : il y a des centaines de victimes, notamment des femmes et des enfants enfermés au fond de la cale. Il est permis de penser que les secours auraient pu agir. L’action des ONG qui s’efforcent d’aider les naufragés est elle-même entravée. Ainsi des enjeux, tant de la politique intérieure en Grèce que de la politique chaotique des pays de l’Union européenne, font que la vie des gens semble avoir moins d’importance que quelques voix aux élections. En régime démocratique, cela engage chacun des citoyens. Veillons à ne pas laisser endormir notre vigilance éthique ! Lorsque la dignité humaine n’est plus considérée, la démocratie est en danger ; lorsque la démocratie vacille, nous pouvons trembler  pour notre dignité.
* Dans le même temps, le naufrage d’un petit sous-marin, un drame pour les victimes et pour leurs proches, a largement occupé les médias et mobilisé des moyens de secours considérables. Contraste saisissant entre deux situations dramatiques. Les uns et les autres appartiennent-ils vraiment à une même humanité ?
* Parlons aussi d’un chat écrasé par un train qui devient une affaire nationale… La sensibilité paraît vraiment à géométrie variable. Des milliers de personnes meurent en Méditerranée dans la quasi indifférence générale et nous devrions d’abord nous émouvoir de la mort d’un chat. À propos d’éthique, l’émotion entre en jeu, à condition que ne manque jamais une juste évaluation en raison qui hiérarchise les enjeux de vie.

4 – Qu’en est-il à la maison ? Suite…
Violences sexuelles avant l’âge de 18 ans. Une enquête a été menée auprès de 28 000 personnes, les résultats sont publiés dans Population et sociétés, juin 2023. 13% des femmes et 5,5% des hommes ont été victimes de violences sexuelles, dont 1 sur 2 avant l’âge de 11 ans. Cela concerne tous les milieux sociaux, souvent dans le cadre familial. Double peine pour les victimes : le silence recouvre habituellement ces actes infâmes, même s’il devient plus facile d’en parler et de dénoncer les auteurs. On peut espérer que de telles révélations réveilleront la conscience des gens tentés de passer à l’acte.

5 – Et les oubliés ?
* Le journal La Croix a publié les noms de 611 morts de la rue, dont des enfants, (moyenne d’âge 49 ans) entre janvier 2022 et mars 2023 ; un hommage leur a été rendu. Nous honorons notre commune humanité en marquant ainsi la dignité des plus fragiles, en évitant que leur décès reste secret, comme s’ils n’avaient jamais vraiment existé. Pensant aux personnes qui vivent à la rue, il serait préférable d’organiser une réelle prise en charge, au lieu d’envisager de les déplacer au moment des Jeux olympiques.
* Évoquons encore l’institution Salvert : un groupe d’enfants s’est rendu pour un week-end dans un association parisienne qui œuvre auprès des gens de la rue. Les enfants ont spontanément partagé avec ces personnes. Des rencontres improbables qui stimulent le désir de vivre et de partager au sein d’une même humanité.

André Talbot

Télécharger le  n°58, juillet 23 (PDF)