Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

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Depuis l’annexion de la Papouasie occidentale par l’Indonésie en 1963, la population autochtone papoue subit quotidiennement des violations de ses droits, en raison des conflits qui l’opposent au gouvernement et à l’armée indonésiens. Face à cette tragédie, que fait l’Église ?

En 2018, alors que j’étais étudiant à l’université catholique Parahyangan de Bandung, j’ai rédigé un mémoire de master intitulé : “Diocèse de Jayapura, une Église au pouvoir transformateur dans un contexte de violations des droits de l’homme en Papouasie« . Dans ce mémoire, j’ai examiné combien l’Église apporte d’espoir aux Papous qui souffrent.

“Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ”, affirme Gaudium et Spes.

En effet, les premiers missionnaires en terre papoue l’ont réellement vécu. Ils se sont totalement consacrés au service des autochtones, malgré la violence de ces derniers. Certains missionnaires ont été jusqu’à payer de leur vie, tel le père jésuite Cornelis Lecocq d’Armandville, disparu à Fak-fak, ainsi que de nombreux catéchistes locaux, tel Augustin Kabes, assassiné à Wamena. L’évangélisation a pacifié la société papoue, longtemps marquée par des violences tribales. Le dévouement des premiers missionnaires a donné un élan extraordinaire à l’Église locale : en moins d’un siècle, 95 % des Papous sont devenus chrétiens, dont un tiers catholique. Plus d’une centaine de prêtres papous ont été formés depuis 1895. L’un d’entre eux a été ordonné évêque en 2023.

Mais dans la Papouasie occidentale d’aujourd’hui, l’Église, dominée par les Indonésiens, semble être bien différente de celle de l’époque des missionnaires. La survie des papous n’est guère une priorité, surtout lorsque ceux-ci résistent à l’occupation indonésienne. L’Église catholique indonésienne adhère au principe patriotique du « cent pour cent catholique et cent pour cent indonésien« . C’est ce qu’a défini le premier évêque indonésien, Mgr Soegijapranata, à l’époque de la guerre d’indépendance indonésienne contre les Pays-Bas (1945-1949). Mais en essayant d’appliquer aujourd’hui ce slogan anachronique, les évêques indonésiens pervertissent, consciemment ou non, la mission contextuelle de l’Église en terre papoue. Il existe également une tendance à effacer certaines traditions papoues au motif de préserver l’universalité de l’Église.

Selon les dires d’un prêtre indonésien, le statut minoritaire des catholiques en Indonésie rend nombre d’entre eux lâches et serviles, « aimant s’attirer les faveurs des puissants tout en méprisant les faibles« . Pourtant, l’Église n’a plus de raison d’être si elle n’est pas à la hauteur de sa vocation prophétique. La mission de l’Église n’est pas d’abord de baptiser, mais de proclamer la Vérité qui conduit à la conversion.

Le statut politique de la Papouasie occidentale est problématique, étant donné le processus douteux de son annexion à l’Indonésie : seul un millier de Papous sur un million, choisis par l’armée indonésienne, l’ont approuvée lors d’un simulacre de référendum en 1969. Par ailleurs, l’Église catholique s’est rangée au côté du gouvernement indonésien. Les catholiques papous qui prônent l’indépendance sont régulièrement considérés comme des traîtres. Le sentiment nationaliste qui domine le clergé indonésien va au-delà de l’essence même de leur vocation de prêtre ou d’évêque.

Dans ces conditions, les catholiques papous ne voient aucune raison de rester dans l’Église indonésienne. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir quitter la Conférence épiscopale indonésienne (KWI) pour rejoindre la Conférence épiscopale Papouasie-Nouvelle-Guinée et Îles Salomon. Aujourd’hui, le peuple papou se dirige lentement vers sa propre disparition. Il est déjà minoritaire sur ses terres en raison de l’installation massive d’Indonésiens venus des îles de Java et des Célèbes. L’Église catholique est également menacée, alors que l’islam, religion majoritaire en Indonésie, gagne du terrain en Papouasie occidentale.

En tant que prêtre papou, je m’interroge sur l’attitude de la hiérarchie de l’Église catholique. Comment peut-elle continuer à prier pour les victimes de la guerre en Ukraine et à celles de la Palestine, tout en gardant le silence sur la tragédie humanitaire en Papouasie occidentale ? J’espère vivement qu’une solidarité internationale encourage un dialogue pacifique entre le gouvernement indonésien et les indépendantistes papous, représentés par l’United Liberation Movement for West Papua (ULMWP) et souhaite que la voix de l’Église universelle se fasse entendre.

 

Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Du 3 au 13 septembre, pour son 45e voyage dans le monde, le pape François se rend dans la région qui unit l’Asie à l’Océanie : Indonésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Timor-Leste et Singapour. Cette zone est un lien entre deux mondes, le malais et le mélanésien. Sur un plan religieux, le monde malais présente une dominante musulmane, même si l’hindouisme, le bouddhisme et le christianisme y sont présents, et le monde mélanésien présente une dominante chrétienne. L’Indonésie est le premier pays musulman au monde, mais à son indépendance en 1949, les fondateurs ont voulu reconnaître dans la Constitution les 5 préceptes qui doivent guider toute vie humaine (le Pancasila) et qui mettent toutes les religions qui s’y reconnaissent sur un pied d’égalité. Malheureusement, sous l’influence wahabite, l’islam indonésien s’est en partie radicalisé, conduisant les minorités à se replier sur elles-mêmes et à se faire discrètes.

Au rejet ou à la mise à l’écart des « non-croyants » (musulmans) s’ajoute une discrimination ethnique. Les mélanésiens, qui sont la population originelle de la Papouasie Occidentale, sont considérés comme des sous-hommes et des non-croyants, ce qui les place tout en bas de l’échelle sociale. En 1963, l’Indonésie a conquis cette ultime colonie hollandaise dans la région, 14 ans après son indépendance. L’île de Nouvelle Guinée avait été divisée par les puissances coloniales en deux, néerlandaise à l’ouest et anglaise à l’est. Alors que la Papouasie Nouvelle Guinée a proclamé son indépendance, sa « moitié » a été recolonisée par l’Indonésie.

Depuis, et loin des radars de la communauté internationale, les Papous de cette région mènent une bataille contre le pouvoir indonésien qui ne compte pas lâcher ces provinces de sitôt. Elles regorgent de richesses et représentent près d’un quart du territoire indonésien. Les victimes papoues se comptent ainsi en centaines de milliers. Par ailleurs, les politiques indonésiennes de colonisation et d’acculturation poussent les indépendantistes à parler aujourd’hui de « génocide lent » et d’« écocide », avec, au bout du compte, la disparition de leur peuple et de leur culture.

Le pape François, lors de son séjour en Papouasie-Nouvelle-Guinée, se rendra à Vanimo, localité siège d’un diocèse au nord de l’île, à la frontière avec la Papouasie occidentale. Les Papous espèrent du Saint Père des paroles de dénonciation des violations de leurs droits et d’encouragement à rester eux-mêmes, puisant l’espérance d’un avenir meilleur dans leur foi chrétienne et dans leur résistance à la déculturation forcée.