Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

« On voudrait toutes et tous que ce soit une fête! » 

Les Jeux 2024 veulent créer plus de cohésion autour des valeurs partagées de l’olympisme. Et pour les organisateurs, Paris 2024 se veut, bien au-delà des Jeux, une opportunité économique, écologique, sociale, pour l’ensemble de la société qui pourrait profiter de l’héritage laissé par les Jeux. Malheureusement, même si le sport est facteur d’insertion, l’expérience montre que lors de tels événements certaines personnes, du fait de leur vulnérabilité, sont victimes d’exploitation ou de traite sous différentes formes : exploitation sexuelle, exploitation au travail, esclavage domestique, contrainte à commettre tout délit ou crime, obligation à mendier…

Geneviève Colas

Le Collectif « Ensemble contre la traite des êtres humains » coordonné par le Secours Catholique – Caritas France[1], avec ses 28 associations membres, dont Justice et Paix France, et leurs réseaux rassemblant des organisations de la société civile en France et à l’international, sensibilise le grand public et agit auprès des institutions afin de prévenir et lutter contre l’exploitation sous toutes ses formes, pour quatre raisons. C’est un phénomène d’ampleur alors que 4 363 victimes ont été repérées par les associations en 2022 (chiffre très en deçà de la réalité du fait de l’invisibilité du phénomène). Par ailleurs, la traite des êtres humains cause des traumatismes physiques comme psychologiques importants chez les victimes, celles-ci étant souvent exposées à des menaces et des agressions, des abus sexuels ou émotionnels, des privations de leurs besoins fondamentaux, des stratégies d’isolement et d’humiliation. Le phénomène a des effets néfastes pour la société et génère de la pauvreté. La traite crée des poches de délinquance et de criminalité et alimente des réseaux criminels qui peuvent constituer une menace pour la démocratie. Elle remet en cause des valeurs fondamentales. Et notamment dans le cadre de l’exploitation par le travail, elle représente un manque à gagner pour la collectivité. Aujourd’hui les politiques coercitives sont inefficaces : face à des réseaux qui exploitent des personnes pour commettre des délits la seule réponse répressive qui consiste à arrêter les « petites mains » ne suffit pas. Au contraire cela alimente le processus de traite car des jeunes qui agissent de manière contrainte ou sous emprise sont utilisés comme « fusibles » par les exploiteurs. À la veille des Jeux olympiques, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), saisie par un groupe trans-partisans de députés, a présenté récemment un « Avis sur la traite à des fins de contrainte à commettre tout crime ou délit ». La prévention auprès des victimes doit être amplifiée. De même les politiques de lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle développées en France doivent disposer de davantage de moyens.

Une démarche centrée sur les droits des personnes victimes tout en luttant contre les trafiquants est à privilégier. Cela suppose en France une politique efficace de prévention et lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains, la création d’un mécanisme de référence pour l’identification et l’accompagnement des victimes, la sensibilisation de la société civile aux risques d’exploitation, une formation des professionnels. Durant les jeux olympiques et paralympiques il est nécessaire de garantir un accompagnement global des personnes victimes : prévoir des lieux aménagés et un accueil en différentes langues aux abords des lieux de compétitions sportives pour que les personnes victimes puissent être accompagnées et puissent porter plainte afin que la justice s’empare de la question. Toutes les victimes doivent être considérées comme telles et trouver l’appui nécessaire jusqu’à ce que justice soit passée (punition des trafiquants et indemnisation des victimes, quelle que soit leur nationalité, leur âge…).

[1]https://www.secours-catholique.org/sites/default/files/03-Documents/Plaidoyer%20JOP2024-Inte%CC%81gral.pdf

 

Progressivement l’Ukraine semble s’être éloignée des premières préoccupations dans les médias.

La guerre Israël Palestine (à laquelle nous avons consacré notre première Newsletter hors-série), les élections européennes, puis les législatives en France et demain les présidentielles aux Etats-Unis… sont sous le feu des projecteurs. Et pourtant, ce conflit continue et fait de nouvelles victimes tous les jours après plus de deux ans de guerre.

C’est pourquoi nous vous proposons, dans ce deuxième hors-série, quatre textes pour nous aider à réfléchir.

Le premier est une réflexion géo politique d’Olivier Tallès, grand reporter au service Monde du quotidien la Croix.

Puis, nous reprenons la déclaration du 4e congrès des laïcs de l’Église gréco-catholique d’Ukraine qui s’est tenu en mai dernier, suivie d’un témoignage de résilience, de charité et d’espoir du réseau Caritas Ukraine.

Enfin Philippe Zeller, membre de Justice et Paix France, déplace notre point de vue en montrant que ce conflit est ressenti de façon très différente selon les pays et les continents.

Le conflit est entré dans sa troisième année de guerre et ni à Kiev, ni à Moscou, on ne semble prêt à faire des concessions importantes en échange d’une paix. Chaque camp mise désormais sur l’épuisement de son adversaire

De la révolution du Maïdan à la guerre du Donbass

Les racines profondes de la guerre en Ukraine sont à chercher dans le refus de la Russie de voir son ancienne république soviétique sortir de sa zone d’influence. Le premier président de l’Ukraine, Leonid Kravtchouk, nous avait confié en juin 2021, la teneur de son dernier tête-à-tête avec Boris Eltsine en 1994. Le chef de l’État russe l’avait convié à Moscou afin de lui présenter la nouvelle priorité stratégique du Kremlin qui se résumait de la façon suivante : renouer des liens de plus en plus étroits avec l’Ukraine. « J’ai compris que la Russie ne lâcherait jamais son “frère”, nous confiait Leonid Kravtchouk. J’ai fait remarquer que les accords de Belovej (ndlr : qui actent la fin de l’URSS) établissaient noir sur blanc que les États étaient souverains et libres de décider leurs alliances ». Son homologue russe avait esquivé en parlant de leur histoire commune, de leur combat contre le nazisme, de leur « relation unique de fraternité ».

Choisi par Boris Eltsine pour prendre sa succession, Vladimir Poutine a toujours déclaré que Russes et Ukrainiens faisaient partie du même peuple et que la naissance de l’Ukraine était un accident de l’histoire. Il a par ailleurs la certitude que la Russie ne peut être une grande puissance sans l’Ukraine, ses riches terres agricoles et ses 40 millions d’habitants. Dès son arrivée au pouvoir en 2000, le chef du Kremlin n’a eu de cesse d’accentuer les pressions sur le gouvernement de Kiev afin qu’il reste dans le giron russe et renonce à ses envies de rapprochement avec l’Union européenne. À partir de 2010, il pousse notamment le président Viktor Ianoukovytch à rejoindre l’Union douanière eurasiatique, formée le 6 octobre 2007 par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan.

L’étincelle qui met le feu aux poudres remonte à la révolution de la place Maïdan à l’automne 2013. Le 21 novembre, le président ukrainien Viktor Ianoukovytch annonce qu’il ne signera pas l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, prévue pour le 29 novembre 2013. Aussitôt, les manifestations s’organisent au centre de Kiev et ne cesseront qu’avec la chute du dirigeant pro-russe et son départ vers la Crimée, puis Moscou. Dans les jours qui suivent sa fuite, des paramilitaires organisent la prise de contrôle de la Crimée avec l’aide de commandos russes et le soutien de mouvements pro-russes qui s’activent dans la péninsule depuis l’indépendance.

Après le succès de l’annexion éclair de la Crimée, Moscou tente de récidiver dans la région du Donbass, fief historique des partis pro-russes en Ukraine. Emmenés par le colonel du FSB Igor Guirkine, des commandos russes organisent la capture des villes des oblasts de Donetsk et Lougansk avec, là encore, le soutien d’habitants nostalgiques de l’URSS. Les autorités ukrainiennes finissent par lancer la riposte. Son armée affaiblie par des années de coupes budgétaires est renforcée par des milliers de volontaires, patriotes et nationalistes, qui ont lutté sur la place Maïdan. C’est le début de la guerre du Donbass qui culmine avec les accords de Minsk II en février 2015. Le front est alors gelé, malgré quelques échanges de tirs limités de temps à autre, jusqu’en février 2022. Ni Kiev, qui avait accepté l’accord contraint et forcé, ni Moscou ne cherchent réellement à appliquer Minsk II.

Quand Vladimir Poutine a-t-il décidé de sortir du statu quo en envahissant l’Ukraine ? Certains datent sa décision de la période du Covid. D’autres pensent que l’idée était en gestation bien avant. Quoi qu’il en soit, en décembre 2021, le dirigeant russe masse ses troupes aux frontières de l’Ukraine tout en lançant une série d’exigences à l’Otan qui sont jugés irrecevables : retrait des pays d’Europe centrale et orientale de l’alliance atlantique, promesse de ne jamais intégrer l’Ukraine et la Géorgie… Puis le 22 février à l’aube, Kiev se réveille sous les bruits des bombardements.

De la guerre éclair à l’enlisement

Le 22 février, l’armée russe démarre trois offensives : au Nord depuis la Biélorussie et la Russie, à l’Est depuis le Donbass tenu par les séparatistes et au Sud, depuis la Crimée annexée. Des forces spéciales aéroportées sont chargées en parallèle d’occuper l’aéroport d’Hostomel, aux portes de Kiev, afin de s’emparer de la capitale et de décapiter le gouvernement, véritable objectif de Vladimir Poutine. Mais les Ukrainiens se défendent avec acharnement, ce qui empêche l’envahisseur de faire atterrir des renforts. Le scénario d’une guerre éclair s’éloigne. La riposte ukrainienne s’organise et contraint les forces russes au nord de Kiev et de Kharkiv à se replier en bon ordre. C’est lors de cette retraite que le monde découvre les atrocités commises par l’occupant à Boutcha, en banlieue de Kiev. La révélation de ces crimes de guerre, le sursaut de l’armée ukrainienne et l’absence de confiance mutuelle interrompent fin avril les négociations engagées à Istanbul entre des représentants de la Russie et de l’Ukraine.

Les Russes parviennent jusqu’à l’été 2022 à s’emparer de plusieurs villes du Donbass, dont Marioupol, après un siège sanglant. Puis la dynamique s’inverse sur le champ de bataille. L’armée ukrainienne, forte de ses volontaires motivés, de sa capacité à innover et d’une organisation décentralisée, le tout appuyée par le matériel militaire occidental et le renseignement américain, parvient à libérer le nord et l’est de Kharkiv ainsi que de la ville de Kherson, sur la rive gauche du Dniepr. En réponse, la Russe enchaîne les vagues de tirs des missiles contre les infrastructures énergétiques de son voisin, provoquant notamment des coupures de gaz et d’électricité au cœur de l’hiver 2022-2023.

Au fil des mois, le rapport de force s’équilibre, la guerre s’enlise dans une bataille de tranchées, d’artilleurs et de drones. L’industrie de défense russe se met en ordre de marche. Des soldats sont recrutés par dizaines de milliers dans les prisons russes, tandis que les soldes élevés, jusqu’à 3 000 euros par mois, attirent des volontaires. En face, l’Ukraine souffre d’un manque criant d’obus et bientôt de nouvelles recrues. Au prix de milliers de blessés et tués, l’envahisseur grignote du terrain dans le Donbass à compter de l’automne 2023, sans parvenir toutefois à se rapprocher des dernières villes de la région, Slaviansk et Kramatorsk.

Dans ce conflit, ce sont les militaires des deux camps qui paient le plus lourd tribut. Si le bilan des pertes est tenu soigneusement secret, les estimations oscillent entre 100 000 et 500 000 tués de part et d’autre. À Kiev, il devient habituel de rencontrer des anciens combattants qui ont perdu un membre. Quant aux destructions matérielles, elles sont à la hauteur d’une guerre de haute intensité : très élevées. La cité portuaire de Marioupol, où des dizaines de milliers d’habitants ont péri durant la bataille, a été dévastée. Chaque ville, chaque village conquis par les Russes après d’intenses campagnes de bombardements ressemblent à des champs de ruines. Les terres agricoles sont jonchées de mines. Une partie des rives du Dniepr a été inondée après la destruction d’un barrage. Le réseau électrique ukrainien est sévèrement endommagé par les tirs de missiles. La reconstruction s’annonce d’ores et déjà un chantier titanesque.

Vers un cessez-le-feu ?

Les officiers et diplomates français, quand on les interroge, se disent bien incapables de prévoir l’issue du conflit qui a déjà réservé de nombreux rebondissements. Seule certitude, aucun des belligérants ne semble aujourd’hui prêt à des concessions importantes pour parvenir à une paix malgré le coût énorme de la guerre. Les négociations dépendront d’abord de la vérité du champ de bataille et de son évolution, sans doute en 2025. Sur ce point, les tendances qui se dégagent à plus ou moins long terme semblent défavorables à l’Ukraine.

Le premier scénario est celui d’une défaite ukrainienne dans la guerre d’attrition en cours, rappelle l’institut Montaigne dans un rapport publié en mars. La Russie compte sur ses forces – une population 3 à 4 fois supérieure, un territoire immense et riche en ressources minières et énergétiques, une industrie militaire puissante, d’importantes réserves budgétaires, une population passive – pour mener sa politique du rouleau compresseur jusqu’à la rupture du front. En face, la réserve stratégique de l’Ukraine dépend largement du bon vouloir des Occidentaux et de leur capacité à maintenir leur soutien matériel.

L’autre inconnu concerne une victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine. L’ancien chef d’État a affirmé être en mesure de régler le conflit en 24h. Il pourrait offrir un cessez-le-feu avantageux à Vladimir Poutine tout en menaçant l’Ukraine de suspendre son aide, ce qui la condamnerait à moyen terme. « Si Vladimir Poutine joue bien la carte Donald Trump, il serait en mesure d’obtenir à la fois des gains territoriaux et une tutelle sur le reste de l’Ukraine », insiste l’Institut Montaigne. La Russie pourrait recevoir la promesse que Kiev ne rejoigne jamais l’Otan et se contente d’une armée de taille réduite.

Les diplomates évoquent également un troisième scénario, à la « coréenne ». Devant l’incapacité des belligérants à prendre le dessus, un cessez-le-feu pourrait être déclaré vers 2025, sans pour autant se transformer en un traité de paix. Les Russes conserveraient leurs gains territoriaux et les Ukrainiens tenteraient de s’arrimer à l’Otan et à l’Union européenne afin de se prémunir d’une nouvelle invasion. Là encore, c’est la Russie qui sortirait gagnante du conflit en cours, tandis que la crédibilité des Européens et leur sécurité en sortiraient gravement affaiblies.

Parmi les scénarios défavorables à la Russie, il existe la possibilité d’une percée ukrainienne sur la ligne de front, grâce à une forte mobilisation de ses alliés face à des Russes qui se montreraient incapables de renouveler en nombre suffisant leurs énormes stocks d’obus et de blindés issus de la Guerre Froide. Les Ukrainiens ont toujours l’espoir de reprendre des territoires et de pousser Vladimir Poutine à des compromis. Cela ne signifierait pas pour autant un retour de la sécurité sur le Vieux Continent face à une Russie frustrée et revancharde.

par Olivier Tallès, Grand reporter au service Monde du quotidien La Croix