Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.

Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.

Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.

Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.

On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.

Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.

Télécharger la Lettre n°304 septembre 2024  (PDF)   

« La prison joue un rôle ingrat. Il faut rester vigilant pour ne pas porter atteinte à la dignité des plus vulnérables en détention ou à la sortie ». Témoignage :

Arrivé au Secours Catholique/Caritas France en 1989, j’ai été rapidement mis dans le bain de sa dimension internationale : 3 mois après ma prise de fonction à la délégation de Nancy, j’ai eu l’opportunité de participer à une mission au Sri Lanka. Pour moi tout était neuf : le contact direct avec des populations déplacées ou très isolées, la prise de conscience d’un contexte de guerre civile et plus généralement les conditions de vie. Au retour, j’ai pu témoigner. Le pli était pris de relire les situations sous l’angle de ceux qui souffrent des pauvretés et du cortège des injustices qu’elles induisent.

Cette approche a été ensuite confortée par la préparation avec les habitants d’une cité d’un pèlerinage à la Cité Saint-Pierre du Secours Catholique à Lourdes. C’est alors ma Foi qui a été questionnée. Je faisais humblement la découverte de la diversité que le Saint-Esprit déploie pour faire résonner concrètement le message de Jésus dans la vie quotidienne de toute personne. Je retiens de ce temps la phrase par laquelle l’aumônier de notre groupe nous encourageait : « La marche est une suite de déséquilibres surmontés ».

Nous avons mis sur pied un service prison à la délégation de Nancy. Un nouveau pan de pauvretés cumulées m’apparaissait. La construction d’un partenariat avec des personnes mues par d’autres logiques m’est alors apparue comme une condition de la fécondité à long terme. Mais le monde n’étant pas idéal, il fallait également rester vigilant et ne pas glisser vers une sorte de « collaboration » lorsque les logiques plus sécuritaires risquaient de porter atteinte à la dignité des plus vulnérables en détention ou à la sortie. Par le discernement collectif en équipe, l’enjeu a été de maintenir la nécessité du plaidoyer.

Naturellement, quelques années plus tard, je suis arrivé au service prison du siège national, de plus en plus conscient que la société civile ne mesurait pas la réalité des modes défaillants d’exécution des peines, malgré l’engagement de la plupart des fonctionnaires de la justice, débordés par la surpopulation. Las, la prison restait la peine de référence.

Il me semble clair à l’issue de ces décennies d’expérience que le rôle que les décideurs politiques font jouer à la prison est ingrat : on lui demande d’être une voiture-balai qui va camoufler derrière de hauts murs les marginaux et les déviants, voire les malades. Le problème est qu’on ne lui donne pas les moyens de faire davantage. En effet, on peut s’interroger sur les résultats que produit l’emprisonnement. La prison ne retire que temporairement les auteurs d’infraction du circuit de la vraie vie. Comme me disait un ami avocat : mettre quelqu’un dans une boîte, ne rien faire pour lui, et attendre qu’il en ressorte meilleur et réinsérable est un leurre. En tout état de cause, la privation de liberté est une décision lourde et qui ne fait pas toujours sens pour le condamné.

Que l’on me permette ici de ne pas opposer la souffrance de l’auteur avec celle de la victime, chacune étant à prendre en considération avec dignité et respect. Sauf à être instrumentalisée, voire « emblématisée » par les médias, le plus souvent les victimes n’aspirent pas à la vengeance par l’exécution d’une longue peine qui en définitive ne réparera rien.

Toutes ces questions sur le sens de la peine, nous ambitionnons d’en saisir le Dicastère pour la promotion du développement humain intégral du Saint-Siège. Pour cela, nous nous appuyons sur le riche partage d’expériences avec des Caritas d’Europe de pays très divers eu égard aux contextes carcéraux et socio-politiques. Suite à une enquête dans les prisons de l’ensemble de ces pays, nous avons dégagé le principe « d’auto-détermination » des personnes sous main de justice. Il repose sur l’estime de soi, l’acquisition de compétences et la capacité de projection dans l’avenir afin que les auteurs d’infraction puissent retrouver une place et jouer un rôle positif dans la société.

J’ai eu aussi l’occasion de participer à une réunion du Dicastère sur la pastorale mondiale des prisons en 2019 ; là encore le témoignage des aumôniers avait renforcé ma conviction selon laquelle il y avait comme « un aimant à pauvres » sous les prisons. C’est dans cette logique qu’avec Emmaüs-France nous avons ensuite mené en France une enquête sur la mesure de la pauvreté dans les prisons françaises qui continue de faire référence et crédibilise nos plaidoyers.

N’oublions jamais que c’est à un repris de justice que Jésus en Croix a ouvert le paradis.

 

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Depuis Jean XXIII, les papes ont mis en avant la référence à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) en soulignant sa profonde cohérence avec l’héritage chrétien. Le 2 avril 2024, le dicastère pour la doctrine de la foi a publié une Déclaration sur la dignité humaine qui a été officiellement approuvée par le pape François. Tout en dénonçant les graves violations de la dignité humaine dans le monde actuel, la déclaration appelle à continuer d’avancer vers une plénitude de vie ; pour cela il importe de résister à la tentation du soupçon généralisé, afin de promouvoir la confiance mutuelle et le dialogue à tous les niveaux. Selon la foi chrétienne, « la dignité de l’être humain provient de l’amour du Créateur qui a imprimé en lui les traits indélébiles de son image. » (§ 18) Quant à Jésus, Fils de Dieu, il a assumé dans sa totalité l’existence humaine : « Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, et aussi et surtout des personnes qualifiées d’indignes.» (§ 19) Cet esprit stimule le sens des responsabilités et continue d’inspirer d’heureuses initiatives. Une éducation concrète aux droits humains, une dénonciation courageuse de leur déni, une mise en œuvre de modes de vie respectueux de la dignité humaine, tout cela vaut la peine d’être promu de manière solidaire, en croisant les différences confessionnelles, religieuses, morales et même politiques.

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Une méthode de travail. Le document qui suit est le fruit des échanges dans le cadre d’un atelier du Centre théologique. Ce fut un travail collaboratif, chacun des membres s’est impliqué à partir de ses expériences propres et de ses compétences, avec le souci de s’inscrire dans la réflexion commune : le résultat représente plus que l’addition des différents points de vue, l’échange ouvre à des perspectives nouvelles. Un tel type de travail nous a semblé en accord avec la thématique des droits humains.

Un regard sur notre monde. La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) date du 10 décembre 1948, elle demeure un idéal commun à atteindre, mais la situation actuelle montre de nombreux dénis des principes qu’elle énonce. Au niveau mondial, les conflits multiplient les victimes (combattants et surtout populations civiles) avec des actions qui peuvent être qualifiées de crimes de guerre, voire de crimes contre l’humanité. Ce climat conflictuel engendre des déplacements de population et parfois l’élimination de certains groupes fragiles, des destructions de biens et des agressions envers la nature ; tout cela multiplie les souffrances et les décès prématurés. Dans la vie quotidienne de notre pays on ressent également un climat de méfiance et d’inquiétude, en raison d’actes violents et de paroles blessantes.

Une voie possible. Après des décennies marquées par un espoir parfois naïf, la tendance actuelle est plutôt à l’inquiétude, avec des peurs relevant d’émotions négatives qui paralysent. Il est utile d’identifier nos peurs, non pour les faire croître, mais pour résister et proposer un chemin constructif. Il est donc important de recourir à la raison sous le mode d’une réflexion éthique et, pour les croyants, à partir des ressources de la foi ; un tel travail mobilise des émotions positives. La DUDH présente une base commune offerte à tous, saluée notamment par des responsables religieux. Face aux violences actuelles, certains ont tenté de disqualifier la référence à la DUDH en lui reprochant son manque d’efficacité ; quant à nous, nous préférons la raviver et la promouvoir. Pour cela, nous retenons des exemples d’actions courageuses entreprises au nom de la dignité humaine. Puis nous mettons en avant une éducation aux droits humains qui passe par des gestes simples et une culture de la rencontre fraternelle, afin de promouvoir une vie commune plus riche et plus humaine. Une telle voie répond à notre aspiration commune au bonheur.

Un engagement moral qui bute sur des difficultés. L’expérience de rencontrer l’autre différent paraît moins confortable que le repli sur un groupe identitaire. Mais la DUDH ose parler de la « famille humaine », nous nous souvenons alors que l’on ne choisit pas ceux qui nous sont donnés comme frères et sœurs. Aussi, la préférence pour l’identique demeure une illusion, pensons à la différence sexuelle qui peut sembler un obstacle et qui pourtant permet les rencontres les plus fécondes. D’ailleurs, la polarisation sur l’identique conduit à exacerber les rivalités. Le désir de rencontre avec l’autre bute aussi sur la mémoire longue de souffrances, d’humiliations, de dominations. Justement l’héritage des droits humains nous offre des critères moraux qui nous permettent non seulement d’accueillir l’autre comme « semblable », mais aussi de travailler à défendre et à promouvoir ses droits lorsqu’ils se trouvent bafoués ; il importe donc de cultiver un esprit de résistance.

Un questionnement sur nos visions de la personne. La DUDH, une charte susceptible d’être prise en compte par les différents peuples, reconnaît un droit à la liberté personnelle reposant sur la dignité inaliénable de chaque être humain. Un cap de civilisation a été franchi, mais cet acquis demeure toujours fragile. Il est contesté par certains, parce qu’il ferait passer l’individu avant le collectif, les libertés risquent alors d’être fortement limitées et les droits humains suspectés. À l’opposé, un courant libertarien ne considère que des individus centrés sur leur intérêt propre ; il s’ensuit un individualisme qui néglige la dimension relationnelle de l’être humain, on oublie alors que la personne s’épanouit grâce aux relations qu’elle entretient. Quant à la revendication par chacun de ses « droits » propres, elle laisse de côté le versant « devoirs » et l’engagement à l’égard d’autrui. Une éducation positive éveille la conscience personnelle et s’inscrit en des attitudes simples : le respect mutuel, la bienveillance, la générosité, le plaisir de vivre ensemble… Ainsi, la reconnaissance par chacun de sa propre dignité s’accompagne d’une responsabilité envers les autres, ce qui construit un art de vivre humaniste, dans le cadre d’une communauté ouverte à l’universel. À ce propos, la mise en avant de la fraternité, qui fait partie de la trilogie républicaine, donne du goût aux relations du quotidien et rappelle la finalité du politique.

Des interrogations à propos du politique. Nous nous rappelons que la DUDH comprend des droits économiques et sociaux (accès aux biens essentiels), sinon l’énoncé de droits individuels paraît hypocrite. Les pauvretés scandaleuses, à l’échelle du monde et dans notre pays, doivent être considérées comme des dénis de la dignité humaine. Le rôle du politique est alors de promouvoir un bien commun qui comprend le bien de chacun des membres, à commencer par les plus fragiles. Nous constatons que l’organisation actuelle produit des exclusions, au point que certains citoyens se trouvent hors champ et deviennent « invisibles », tandis que d’autres se trouvent exploités de manière honteuse. La référence à la justice sociale demeure essentielle pour que l’énoncé des droits sociaux ne reste pas un vœu pieux. Notre expérience de la politique se trouve questionnée en raison de la dimension universelle de la proclamation des droits humains, ce qui suppose l’orientation vers une paix fondée sur une justice sociale à l’échelle du monde. Or certaines visions du politique commencent par la désignation d’ennemis, de telle manière qu’aucune relation positive à leur égard ne peut être envisagée ; en cas de conflit ouvert, les droits humains fondamentaux sont bafoués. La polarisation sur l’ennemi risque aussi de s’insinuer au cœur de la vie nationale : les pouvoirs autoritaires n’hésitent pas à désigner des « ennemis de l’intérieur » et de les soumettre à des traitements inhumains. À l’opposé de telles dérives, la promotion d’une fraternité ouverte honore le désir humain de faire alliance au lieu de sombrer dans les conflits destructeurs. L’adhésion aux principes de la DUDH, qui dans son préambule retient le mot « foi », suppose un engagement personnel en conscience, à la manière d’une promesse mutuelle sous le signe d’une espérance partagée : nous ne sommes pas condamnés à nous faire du mal, nous pouvons grandir ensemble.

Un point central de la pensée chrétienne. Depuis Jean XXIII, les papes ont mis en avant la référence à la DUDH en soulignant sa profonde cohérence avec l’héritage chrétien. Le 2 avril 2024, le dicastère pour la doctrine de la foi a publié une Déclaration sur la dignité humaine qui a été officiellement approuvée par le pape François. Tout en dénonçant les graves violations de la dignité humaine dans le monde actuel, le document appelle à continuer d’avancer vers une plénitude de vie ; pour cela il importe de résister à la tentation du soupçon généralisé, afin de promouvoir la confiance mutuelle et le dialogue à tous les niveaux. Selon la foi chrétienne, « la dignité de l’être humain provient de l’amour du Créateur qui a imprimé en lui les traits indélébiles de son image. » (§ 18) Quant à Jésus, Fils de Dieu, il a assumé dans sa totalité l’existence humaine : « Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, et aussi et surtout des personnes qualifiées d’indignes.» (§ 19) Cet esprit stimule le sens des responsabilités et continue d’inspirer d’heureuses initiatives. Une éducation concrète aux droits humains, une dénonciation courageuse de leur déni, une mise en œuvre de modes de vie respectueux de la dignité humaine, tout cela vaut la peine d’être promu de manière solidaire, en croisant les différences confessionnelles, religieuses, morales et même politiques.

 

Bachar Al-Assad est tombé après plus de vingt ans de terreur, de violences et d’atrocités. On ne peut que s’en réjouir.
Mais cette chute est l’annonce de bouleversements majeurs, en Syrie et dans toute la région.