Rémunération des dirigeants
La question de la rémunération des dirigeants a permis une confrontation substantielle, lors du colloque organisé, début avril, par l’association Éthique et Investissement.
D’un côté, l’ancien président d’Essilor, Joseph Fontanet, et la directrice juridique de l’Association française des entreprises privées, Odile de Brosses, de l’autre, Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption, philosophe et enseignante, membre de Justice et Paix.
Éthique et vision à long terme
Cette dernière écrivait récemment dans Alternatives économiques: « La question des rémunérations et de la manière dont on organise le système de rémunération est absolument clef. Il y a déjà d’énormes écarts en termes de rémunération fixe ; l’opacité et le caractère discrétionnaire des pratiques de rémunération sont manifestes dès lors qu’on se concentre sur la part variable, qui inclut les bonus, les long term incentives, donc les stock-options.
Des écarts exponentiels de rémunérations s’instaurent, y compris chez les cadres dirigeants. Beaucoup de gens ne savent pas pourquoi on utilise ce type de rémunérations en stock-options et on a vu au fil des années, dans de nombreux groupes français, une structure de concentration du capital de plus en plus forte. Un certain nombre de données sont publiques, on gagnerait à les décortiquer. En l’état, les écarts de rémunérations sont antinomiques avec l’idée que l’on peut avoir des politiques et des stratégies d’entreprise au bénéfice du plus grand nombre, non seulement des salariés mais aussi des chaînes de sous-traitance. »
Rester dans le système
Joseph Fontanet, ancien président du Comité d’éthique du MEDEF, situe le sujet dans le cadre de la mondialisation du marché des dirigeants et des cadres supérieurs. Il est effrayé par le nombre de Français qui s’exilent pour des raisons fiscales. Comme lui, nous avons tous oublié que, jusqu’aux années 1970, le taux maximum de l’impôt sur le revenu aux États-Unis était de 91% !
Odile de Brosses relève une légère baisse des inégalités de rémunération en France depuis quarante ans. De nombreuses lois encadrent les pratiques depuis 2001, poussant à la transparence et au pouvoir de décision des actionnaires. L’Union européenne joue un rôle positif. Odile de Brosses met en avant le développement des codes de conduite complémentaires à la loi, mais notons que le MEDEF plaide pour eux car ils sont finalement moins contraignants. Ces codes, chartes, etc., n’ont pas de valeur obligatoire, quoique, selon elle, la sanction existe: publicité des dérives par l’Autorité des Marchés financiers ou le Haut Comité de Gouvernance d’Entreprise. L’avantage cependant de ces codes, etc., est leur éventuelle compétence extraterritoriale.
Selon Joseph Fontanet, le développement de l’actionnariat des salariés est une voie intéressante, plus que la présence d’administrateurs salariés non reliés au capital. Notons à ce sujet que les deux tiers des pays de l’Union européenne ont cette pratique, perçue de plus en plus favorablement.
Il insiste fortement sur la jalousie, défaut typiquement, voire exclusivement, français. Il faudrait lui remémorer ce qu’il en fut la femme de Zeus : la grande majorité des mythes liés à Héra porte sur sa jalousie face aux nombreuses aventures extraconjugales du dieu des dieux.
Voir loin
Cécile Renouard élargit la réflexion à la situation du monde d’aujourd’hui qui ne peut continuer à se comporter sans vision à long terme. Ne pas intégrer la question du climat par exemple est un péché structurel. Dans Reconciliato et Paenitentia, Jean Paul II écrit, en 1984 : « Est social tout péché contre le bien commun et ses exigences, dans tout l’ample domaine des droits et des devoirs des citoyens. Peut être social le péché par action ou par omission, de la part de dirigeants politiques, économiques et syndicaux qui, bien que disposant de l’autorité nécessaire, ne se consacrent pas avec sagesse à l’amélioration ou à la transformation de la société suivant les exigences et les possibilités qu’offre ce moment de l’histoire; de même, de la part des travailleurs qui manqueraient au devoir de présence et de collaboration qui est le leur pour que les entreprises puissent continuer à assurer leur bien-être, celui de leurs familles et de la société entière. »
La distribution trop inégalitaire des rémunérations par les dirigeants a des effets négatifs sur l’entreprise, – baronnies et laquais, violence, crise de l’esprit critique, désengagement des jeunes – et des effets négatifs sur la société : inégalités et franchises sociales, corruption, valeur de la personne déconnectée du montant des rémunérations. En un mot rupture de lien social, absence de prospective longue.
Il convient de réfléchir aux conditions de création de la richesse et aux investissements pour la transition vers un monde plus équilibré. C’est une question culturelle et politique. La logique actuelle, avec ses politiques de rémunération, ne construit pas l’avenir. L’entreprise participe à ce mouvement politique. Penser à long terme est vital : respect des engagements climatiques, biodiversité, mise en œuvre des dix-sept objectifs de développement durable, par exemple.