Le terrorisme, c’est quoi ?

Il y a dix ans, Justice et Paix publiait, dans la collection Documents Episcopat, le n°3-4/2005  TERRORISME, condamner, expliquer, résister, issu d’un travail mené sous la direction de Christian Mellon. Le contenu du premier chapitre « Terrorisme : définition difficile, mais nécessaire » est ici examiné.

Dès que l’on prétend réfléchir sur le terrorisme, porter sur lui des jugements éthiques et/ou politiques, débattre des attitudes à adopter à son égard, on s’aperçoit très vite que l’on a besoin de s’accorder sur le sens de ce mot. Il est en effet chargé de tellement d’affects qu’il est très souvent utilisé uniquement pour condamner un acte de violence avec une force toute particulière. Il sert moins à décrire des actes qu’à manifester l’intensité de la répulsion qu’ils inspirent, fonctionnant alors comme une sorte de superlatif de la violence condamnable.
C’est justement parce que l’usage du mot entre si souvent dans la guerre des propagandes qu’il importe d’en proposer une définition objective en faisant abstraction de tout jugement de valeur sur les causes défendues par ceux qui y recourent. Il ne s’agit évidemment pas d’exclure le jugement de valeur sur de tels actes, mais de noter qu’il n’a pas à interférer dans la recherche d’une définition-description de ce mode d’action.

Une violence politique

Il y a au moins un point que l’on trouve dans presque toutes les définitions proposées : l’adjectif «  terroriste » désigne une forme de violence qui s’exerce dans le champ politique, au sens large. Mais nombreuses sont les formes de violence qui s’exercent dans le champ politique : guerres, guérillas, assassinats politiques, etc. Qu’est- ce qui caractérise les actes « terroristes »? Pour une première approximation, on peut partir du contenu même du mot : il est de l’essence même d’un tel acte d’inspirer la peur. On objectera que cela est vrai de tout acte de violence, mais les actes terroristes ont vraiment pour objectif « stratégique » de susciter la peur dans une population, afin d’en récolter des bénéfices politiques.

Une stratégie indirecte

Pour cerner plus précisément ce qui caractérise en propre un acte terroriste et qui le distingue d’un autre acte de violence politique, la distinction entre « stratégie indirecte » et « stratégie directe » est éclairante.
Dans la « stratégie directe » (par exemple la guerre classique, la guérilla, l’assassinat politique ciblé, etc.), le but visé à travers l’action violente est d’affaiblir un ennemi en cherchant à « mettre hors de combat » toute personne contribuant directement à son effort de guerre (combattants, décideurs, ouvriers de l’armement, agents de communication ou de logistique, agents de renseignements, etc.). Dans la « stratégie indirecte », l’affaiblissement de l’ennemi est visé à travers l’élimination, non pas de ses forces, mais de sa résolution : il s’agit d’obtenir de lui qu’il accomplisse, ou renonce à accomplir, tel ou tel acte, non pas sous la pression de la contrainte matérielle, mais sous la pression de la peur. Or dans les pays démocratiques, l’attitude de l’opinion publique est un facteur essentiel – sinon toujours déterminant- de la résolution politique des décideurs. Celui qui planifie un acte « terroriste » suppose –souvent à tort, mais c’est une autre question – que la population terrorisée par la menace de réitération des attentats, exercera sur ses dirigeants une pression telle qu’ils céderont à ses exigences en échange d’une suspension de cette terreur.

Le hasard et la perpétuation

L’efficacité de cette stratégie indirecte qu’est le terrorisme dépend donc, entre autres, de deux facteurs essentiels :
Que des destructions somme toute assez limitées répandent la peur la plus large et la plus intense possible. Pour cela, il importe qu’un grand nombre de personnes se sentent menacées. Il faut donc que la violence frappe au hasard, de telle manière que chacun puisse craindre d’être parmi les prochaines victimes. C’est pourquoi la forme la plus habituelle du terrorisme est l’attentat dit « indiscriminé » qui ne vise personne en particulier. On pourrait dire que l’expression « terrorisme aveugle » est un pléonasme.

Laisser planer la menace d’une réitération des actes terroristes. C’est évidemment un point essentiel, puisque l’effet de terreur n’est pas atteint, même après un attentat très médiatisé, si aucun nouvel attentat n’est à redouter : quel effet aurait un acte terroriste dont les auteurs proclameraient que c’est le dernier ? On voit bien, sur ce point, la différence radicale avec l’acte de violence « directe », qui a sa fin dans la destruction même qu’il réalise, indépendamment de toute perspective de réitération. C’est pourquoi on dit de l’acte terroriste qu’il est un « message » : nous continuerons, disent ses auteurs, jusqu’à ce que vous ayez fait ceci ou cela. Ceci se vérifie particulièrement dans la prise d’otages qui est une sorte de « réitération quotidienne » de l’acte terroriste.

La définition de la Convention du 8 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme rend compte de tout cela. Y est terroriste « tout acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. »