Vers un état d’urgence permanent

Le Sénat a adopté en quelques heures, dans la nuit du 18 au 19 juillet, le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». L’Assemblée Nationale doit commencer ses travaux sur ce texte le 11 septembre.

Le piège de l’inquiétude

Il est du devoir des pouvoirs publics de protéger la population et d’apporter des réponses concrètes et efficaces pour assurer la sécurité. Mais la restriction des libertés publiques ne saurait être la réponse aux actes de terrorisme. Le gouvernement se trouve devant un piège, compte tenu de l’inquiétude des Français, car les politiques vivent dans la terreur de ne pas avoir pris une mesure dont l’absence pourrait être considérée comme ayant permis un attentat. Alors, avec ce projet de loi qui fait passer dans le droit commun une série de mesures réservées au cadre exceptionnel de l’état d’urgence, il ne sera plus nécessaire de prolonger celui-ci, puisqu’il sera en grande partie devenu permanent. Il aurait été à l’honneur du gouvernement de résister à l’opinion et de faire preuve de pédagogie.

Le droit français distingue traditionnellement la police administrative défi nie par sa finalité préventive : assurer le maintien de l’ordre public, notamment à travers des activités de surveillance, de la police judiciaire défi nie par sa finalité répressive, rechercher, poursuivre et juger les auteurs d’infractions. [1]

Mais le texte proposé renforce une nouvelle fois le droit administratif et la police administrative au détriment du droit judiciaire et de la police judiciaire. Il permettra de prendre des mesures restrictives de liberté sur la base d’un soupçon, d’un comportement, d’attitudes, de relations ou de propos, particulièrement dans quatre domaines : les mesures individuelles de surveillance, les visites et saisies, le périmètre de protection et la fermeture des lieux de culte. Le gouvernement (pas très fier) crée d’ailleurs une novlangue (empruntée à George Orwell) : l’assignation à résidence devenant une mesure individuelle de surveillance, les perquisitions devenant des visites etc.

Ciblage de la population

Ce texte porte en germe une sorte de ciblage d’une partie de la population : tout se passe comme s’il existait en France des gens qui présenteraient plus de risques par essence. C’est pour toutes ces raisons que le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, plusieurs centaines de juristes, et la-quasi-totalité des ONG de défense des droits et libertés ont exprimé leurs réserves ou leur opposition à ce texte.

Certes le Sénat a atténué le projet puisque ces pouvoirs accrus de l’administration devront exclusivement être réservés à la lutte contre le terrorisme, et il a précisé que ces mesures devaient être expérimentales et ne s’appliquer que jusqu’en 2021. (Mais on se souviendra que, sous le précédent quinquennat, il y a eu neuf lois pour renforcer l’arsenal pénal et administratif.)

La bataille de la liberté

Comme l’a écrit Victor del Arbol [2] après les attentats en Catalogne : « En ce moment précis, il faut être courageux et ne pas se taire, il faut parier sur la vie, sur une façon de la vivre qui repose sur notre seule décision…chacun se bat avec ses propres fantasmes pour contrôler peur et colère, pour reprendre silencieusement possession de ses rues. Nous sommes nombreux à refuser la déraison, à lutter pour encore croire que la parole est plus forte que la peur…. c’est nous, les uns avec les autres qui devrons apprendre à remporter la seule bataille que nous ne devons pas perdre, celle de notre liberté». Nous devons nous interroger sur le rapport entre le « coût » des restrictions des libertés et le « bénéfice » en termes de sécurité et nous devons faire la pédagogie qui n’est pas venue du côté du gouvernement, car oui, bien évidemment, à la sécurité mais pas au détriment de la liberté.

1 – Cncdh : avis sur le projet de loi visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

2 – Né à Barcelone en 1968, il fait des études supérieures en histoire. De 1992 à 2012, il travaille comme fonctionnaire du gouvernement de la Catalogne (corps de la police régionale catalane Mossos d’Esquadra). Il amorce une carrière d’écrivain avec la publication en 2006 du roman policier «El peso de los muertos». C’est toutefois la parution en 2011 de «La Tristesse du samouraï» (La tristeza del samurai), traduit en une douzaine de langues et best-seller en France, qui lui apporte la notoriété. Pour ce roman, il remporte plusieurs distinctions, notamment le prix du polar européen 2012. En 2015, son roman «Toutes les vagues de l’océan» remporte le grand prix de littérature policière du meilleur roman étranger.