Comprendre les électeurs du Front national

« Les hommes politiques ne s’intéressent qu’à eux-mêmes. Les autres, ils n’en ont rien à faire. » Alain, 62 ans, agriculteur à la retraite : « On ne nous écoute pas. Alors Marine Le Pen, pourquoi pas ? »

Après avoir glissé un bulletin FN pour la première fois dans l’urne en 2015, il ne dissimule pas son intention de vote pour « Marine » en 2017.

A la conquête d’un nouvel électorat

Comme Alain, ils sont de plus en plus nombreux, ces Français qui trouvent une attache « au Front ». A tel point qu’aux élections régionales de décembre 2015, le FN est arrivé en tête avec 28% des suffrages exprimés.

En creux se dessinent les visages de ceux qui l’ont choisi parmi des franges de la population qui, jusqu’à présent, se gardaient de céder au Front National. Dans la fonction publique, la percée frontiste se fait sentir, englobant 23,5% des sapeurs-pompiers en 2015. Chez les jeunes de 18 à 24 ans, ils sont 34% à déclarer un vote FN. Le discours séduit aussi des catholiques. Plus fortement chez les non pratiquants (35%) que chez les pratiquants réguliers (24%) mais, d’élections en élections, l’écart se resserre.

 

« En tant que chrétien »

Comme chrétiens, nous nous sentons nécessairement concernés par cette poussée de l’extrême droite. Certes, aucun programme politique ne peut se prévaloir d’être à 100% « christiano-compatible » mais si l’on prend l’Évangile comme guide, comment ne pas s’alarmer devant des discours qui stigmatisent systématiquement l’étranger, qui parlent d’exclure pour mieux se protéger, qui prônent une idéologie nationaliste de repli sur soi. Le pape François le rappelle fréquemment : ce sont des ponts plutôt que des murs qu’il nous faut construire. Aux jeunes rassemblés aux JMJ cet été, il a dit : « Nous avons besoin de vous, pour nous enseigner – comme vous le faites, en ce moment, aujourd’hui – à cohabiter dans la diversité, dans le dialogue, en partageant la multi culturalité non pas comme une menace mais comme une opportunité ».

 

« Le FN, ce n’est pas les autres »

Concernée, la revue Projet a donc décidé de consacrer son numéro d’octobre à ce sujet avec ses partenaires.
« Le FN, ce n’est pas les autres », constate Jean-Marc Boisselier, responsable accompagnement et formation au Secours Catholique. Désormais, même parmi les bénévoles, se trouvent des sympathisants FN, qui se laissent tenter au moment où les partis politiques traditionnels semblent tous usés jusqu’à la corde. Laurent Seux, directeur de l’action France-Europe du Secours Catholique, ajoute : « Marine Le Pen a repris notre rapport sur la pauvreté en France, en disant grosso modo :  » c’est la faute des migrants.  » » Le risque d’être instrumentalisé par le FN est grand.

Au CCFD-Terre solidaire, la question surgit sous une autre forme encore : « Nous menons des actions de plaidoyer au Parlement européen, explique Stéphane Duclos. « Comment ne pas s’adresser aux eurodéputés FN, alors qu’ils constituent 1/3 des eurodéputés français ? »
L’intérêt pour le numéro s’est élargi à d’autres associations : Justice & Paix, Semaines Sociales de France, Chrétiens en Forum, Action catholique des Milieux Indépendants, Scouts et guides de France, Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne, Pax Christi.
Il s’agit de réfléchir ensemble pour constuire les éléments d’une parole commune. Le journal La Croix a accepté de diffuser le numéro le 11 octobre, lui offrant une visibilité bien plus large (tirage à près de 100 000 exemplaires contre quelques milliers habituellement). Il a fallu réunir des fonds et cela a donné lieu à une campagne de financement participatif suscitant déjà des débats et réactions dans les réseaux sollicités.

 

Ecouter, comprendre, agir

Comment aborder le sujet ? Un consensus s’est dégagé autour de la volonté assumée de ne pas stigmatiser les électeurs du Front National. Pas de dicours moralisateur, pas d’attitude culpabilisatrice, mais choisir plutôt l’objectif de considérer le point de vue de l’électeur de l’intérieur. Comprendre les trajectoires personnelles et les convictions qui mènent à ce choix, dans la morosité ambiante de l’offre politique. « A droite ou à gauche, c’est du pareil au même », entend-on au repas dominical, au café du commerce et chez les voisins. « Une conjoncture porteuse pour le Front National », selon les mots du politologue Pascal Perrineau.
Il est vrai que l’actualité sert le Front National. L’ attentat tragique à Nice le 14 juillet dernier a créé un terreau propice à toutes les dérives. Sur les plages pendant l’été, des femmes musulmanes ont été sommées par les forces de police de retirer leur voile. Chaque fois que l’amalgame entre islam et islamisme est fait, le Front National empoche la mise. A nous de créer les conditions d’un autre « vivre ensemble» pour qu’émergent des horizons politiques qui soulèvent l’enthousiasme !