« Il faut apprendre patiemment à savoir devenir »

Un livre pour l’été ? Voici le témoignage étonnant du frère bénédictin brésilien Irénée Rezende Guimaraes, récemment décédé : J’ai mené le bon combat. Un moine face à la maladie de Charcot (Paris, Salvator, 2017, 187 p ; titre de l’article : citation, p. 167). Donnons-lui la parole :

 

« Je montai dans le véhicule, m’installait au volant, … tournai la clé dans le démarreur, levai mon pied pour le placer sur l’embrayage … Rien ! Je tentai à nouveau … Toujours rien ! Je parlai à haute voix à ma jambe : « Maintenant, je veux que tu bouges, que mon pied se mette sur la pédale. Effondré, je réalisai d’un coup que je n’avais plus la maîtrise de ma jambe. Elle m’était devenue en un instant totalement étrangère, comme si elle n’appartenait plus à mon corps … Un frère m’aida à sortir de la voiture. Il avait apporté une chaise roulante … Au bout de quelques semaines, je perdis l’usage de mes jambes … Quelques mois plus tard, après l’office des laudes, je revins dans ma chambre pour me raser … ayant mis la mousse sur mon visage, je fus incapable d’approcher le rasoir de ma joue … Aujourd’hui, tétraplégique et sous assistance respiratoire permanente, je sens parfois les symptômes de l’asphyxie. La fatigue m’envahit, l’anxiété s’accentue … Mon cou ne porte plus ma tête. J’ai besoin d’une prothèse pour la tenir droite. Malgré la machine qui supplée les mouvements de mon diaphragme défaillant, j’ai sans cesse une sensation d’asphyxie… L’Association des malades de la SLA a mis généreusement à ma disposition un ordinateur à commande optique. Je peux ainsi, en fixant du regard des icônes sur l’écran, ouvrir ma boîte mail, faire du traitement de texte, envoyer des messages et naviguer sur le net pour faire des recherches bibliques. Cet ordinateur me permet de rédiger chaque mois une « lettre pour la paix » à un réseau d’abonnés. La prière est diffusée sur un blog. Je demeure connecté avec le monde. Ma dépendance aux autres provoque parfois chez eux un agacement. Les uns sont fatigués, les autres ne comprennent pas que je les dérange lorsqu’un insecte se pose sur mon bras et me pique » (pp. 114-116, 123, 138).

Un passionné de la paix

Le Frère Irénée (1959-2015) … un passionné de la Paix, affronté, à 51 ans, à la sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Charcot. Cette maladie neurodégénérative provoque une paralysie progressive des muscles, y compris respiratoires, sans supprimer les douleurs, sans affecter les facultés intellectuelles, ni la conscience. Son père abbé note : « Dès que la paralysie l’a rendu totalement dépendant, il n’a cessé de redire cette parole qui était programmatique : J’offre toute mon épreuve pour qu’advienne la paix dans le monde ! ».

Au fil des pages, on découvre l’enfant de la Pampa brésilienne, plongé dans le positivisme d’Auguste Comte, au contact du monde juif, et éduqué chrétiennement. Doué pour la samba, attiré par les lettres, orienté vers l’architecture, il entre à 20 ans au Séminaire et devient prêtre diocésain. Il apprécie Augustin, Thérèse d’Avila, Dostoïevski, Teilhard, Rilke, Don Helder Camara… Coordonnateur pastoral diocésain, responsable de la Caritas, créateur de la Commission Justice et Paix, il participe à plusieurs retraites au monastère bénédictin de Goias, qu’il finit par intégrer à 33 ans, un « monastère ouvert sur le monde », et ce, jusqu’à sa fermeture. A 50 ans, Irénée rejoint alors l’abbaye-mère de Tournay, en France.

Avec la maladie, Irénée s’observe passer par des phases de peur de la déchéance physique et des douleurs multiples, de découragement, de jalousie, de colère (« Pourquoi ça ? Pourquoi moi ? »), de déni, de négociation-marchandage avec Dieu, de honte ou d’humiliation qu’engendre le handicap, de nostalgie (« une cueillette de champignons, les gouttes de pluie perlant sur le visage, …. faire la cuisine … »), de nuit de la foi, d’acceptation. Et de vivre les risques de dépersonnalisation (identification à la maladie, au handicap), d’infantilisation (« Ne vous préoccupez pas de cela, on va tout organiser »), de perte d’intimité (irruptions dans la chambre, sans y être invité),

Dépossession physique

« N’ayant plus rien, ni grands désirs, ni grands desseins pour ma vie, ma prière devient celle des autres, de mes frères ; de tous les hommes. La maladie m’a appris à être assoiffé de paix et de justice … Il est toujours possible de réaliser de petites choses, comme une prière pour la paix que l’on diffuse sur le Web. Ainsi, la maladie ne peut en aucun cas être pour moi une excuse pour l’inertie ou la démission. Elle me force à être plus solidaire encore de ceux qui souffrent ».

« Seigneur, donne-moi de regarder le monde comme tu le regardes, avec espérance. Que ces trois sœurs : tendresse, compassion et espérance habitent mon cœur à jamais ! Tel est mon monachisme intérieur » (p. 106).

Job, Paul, le Cantique

Il faut lire l’introduction : « Face au mystère du mal », où Irénée médite sur Job, Paul, le Cantique. Et de comprendre, peu à peu, la maladie comme « maîtresse de vie, non de mort », le récit des Béatitudes comme « la synthèse de toute vie chrétienne » (p. 150), comme « la carte d’identité du chrétien », selon les mots récents du pape François (Gaudete et exsultate 63, 19 mars 2018).

Moine, Irénée est resté un ardent militant pour les droits de l’homme et le désarmement, la résolution non-violente des conflits et l’éducation à la paix. Docteur de l’Université de Porto Alegre, il me faisait cette recommandation : il faut travailler les ouvrages du cardinal Nicolas de Cues.