Justice et Paix-Europe à Taizé

Heureux stimulant  qu’un bref coup de phare sur la rencontre internationale annuelle de la Conférence  des commissions Justice et Paix d’Europe qui s’est tenue du 22 au 24 septembre, à Taizé, à l’heure des tentations centrifuges et des réflexes identitaires dont témoignent autant le Brexit britannique que les mouvements indépendantistes à l’intérieur de l’Europe – pas seulement en Catalogne ! – et à l’heure d’une panne d’inspiration commune dans l’institution Europe !

Faire grandir la solidarité 

Pour nous tourner ensemble vers l’avenir, choisir la colline de Taizé, en Bourgogne, comme lieu de la réunion statutaire annuelle, n’était pas anodin. Et trois fois le jour, dans l’église de la réconciliation, nous avons prié avec la communauté et les jeunes présents. Occasion pour quelques-uns des participants de (re-)découvrir la communauté qui accueillait en ce haut-lieu œcuménique européen. Occasion pour d’autres d’évoquer des étapes décisives de leur vie, vécues là. Frère Roger, le fondateur, y invitait naguère tous les chrétiens à vivre avec un même sérieux Lutte et contemplation[1] dans l’accueil « d’un printemps de l’Eglise » et dans un engagement « pour que l’homme ne soit plus victime de l’homme[2] »… Programme toujours d’actualité ! Frère Aloïs, l’actuel prieur, nous a accueillis avec sa simplicité confiante. Conscient des nouveaux risques de division dans la famille humaine, il en a appelé à la pratique de l’échange des dons et souligné la nécessité vitale de faire grandir la solidarité.

Comme un aiguillon énergique, les propos de Claire Sixte-Gateuille, théologienne de l’Eglise protestante unie de France, venue représenter la CEC (Conférence européenne des Églises), incitaient à prendre à bras le corps des questions très concrètes et à multiplier les actions œcuméniques. D’autres intervenants ont encore partagé leurs recherches avec passion. Quant à Nick Spencer, directeur de recherche du Think Tank londonien Theos, il s’est notamment autorisé la référence de Benoît XVI à Julien l’apostat[3], qui attribuait la popularité des « Galiléens » à leur activité caritative, pour proposer que dans l’Eglise, on ne parle plus d’« action sociale », expression qu’il juge sécularisée, mais de « liturgie sociale ». Porté par le contexte britannique, son propos ne semblait pas envisager un engagement partagé avec hommes et femmes de bonne volonté non chrétiens. Que faire alors de l’appel adressé à tous de Laudato sί ?

 

Cri de la terre, cri des hommes

 

Une certaine émotion nous a gagnés quand Cecilia Dall’Oglio a introduit l’action symbolique prévue et qu’elle a furtivement évoqué la mort probable de son frère Paolo, le père jésuite disparu à Rakka, en Syrie, en juillet 2013, tandis qu’il rêvait de contribuer au dialogue entre l’État islamique et le régime de Damas. Tous se sont déchaussés, comme Moïse devant le buisson ardent où Dieu s’est révélé comme celui qui entend le cri des hommes. Chaque délégation avait apporté de la terre prise en des lieux significatifs pour qui veut bien entendre le cri de la terre. On a planté un pommier. Et chaque délégation est repartie avec des lentilles à semer, signe d’espérance…

Le terme de pèlerinage est plus familier à Taizé qu’à Justice et Paix : il évoque l’inconnu de cette route que nous avons à découvrir et à parcourir solidairement. Difficultés et obstacles ne manquent pas, mais, depuis le soir de Pâques, nous en savons le sens et nous ne sommes pas seuls en chemin. L’Autre qui nous a rejoints s’efface et responsabilise.

Justice et Paix à Rome, le développement humain intégral

 

Cinquante ans après l’encyclique Populorum progressio et la création de Justice et Paix, vingt et une délégations ont répondu à l’appel de Mgr Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg et président de Justice et Paix-Europe : il fallait marquer le coup et s’offrir à se laisser déplacer !

Le cardinal nigérian Peter Turkson, venu tout exprès de Rome, s’est efforcé de présenter les contours de son nouveau dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral. Il en a justifié l’organigramme : une structure en adéquation avec l’encyclique Laudato sί. Et, anticipant les questions inquiètes de son auditoire, il a précisé que si la mention de Justice et Paix n’apparaît pas dans ce nouvel organigramme, au contraire de la Charité, de la Santé et du Soin de la création, c’est parce que les questions de justice et de paix sont transversales et qu’elles doivent se situer au cœur de toute l’activité et de toutes les réflexions du dicastère, comme le courant central (main stream) de cette institution. « Tout se tient », insiste l’encyclique. À Rome, par exemple, la question du désarmement nucléaire fait l’objet d’un séminaire en novembre, organisé par ce nouveau dicastère.

[1] Titre d’un livre de frère Roger, paru en 1973.

[2] Joyeuse nouvelle, 1970.

[3] Deus Caritas est, 24.