Les objectifs de Développement Durable (ODD) : une opportunité pour tous ?

2015 est une année exceptionnelle pour le développement et la solidarité entre les peuples. Mi-juillet 2015, la conférence d’Addis-Abeba va discuter des enjeux du financement du développement et de la lutte contre les changements climatiques.

L’Assemblée Générale des Nations Unies adoptera en septembre 2015 des Objectifs de Développement Durable (ODD), pour succéder aux OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement) qui arrivent à échéance fin 2015. Début décembre 2015, se tiendra à Paris la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) qui sera décisive pour l’avenir.

Les Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés par les Nations Unies en septembre formeront le cadre général de l’engagement de la communauté internationale pour les années 2015-2030. Il s’agit donc d’un événement essentiel, d’où la présence annoncée du Pape François. Les ODD chercheront à finir le travail des OMD – en particulier éradiquer l’extrême pauvreté – et à corriger certaines faiblesses des objectifs précédents, en prenant en compte la nécessaire réduction des inégalités et en intégrant mieux les questions environnementales.

Une préparation soignée

Pour préparer ce vaste chantier, les Nations Unies ont lancé plusieurs processus très participatifs, qui ont convergé afin d’aboutir aux futurs ODD. Pour faire le bilan des OMD et penser la nouvelle phase, l’ONU a mis en place un panel de haut niveau qui a rendu son rapport en mai 2013. Ces réflexions ont été préparées et complétées par une cinquantaine de consultations nationales, neuf consultations thématiques et des contributions en ligne.

Pour la construction des nouveaux Objectifs du Développement Durable, l’ONU a mis en place, à l’issue du Sommet de la Terre de Rio en 2012, un Groupe de Travail Ouvert. Il a rendu son rapport en juillet 2014, et ses propositions d’ODD ont été discutées lors de l’Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2014.

Un Comité intergouvernemental d’experts a élaboré des propositions sur le financement des ODD, qui seront discutées lors de la conférence d’Addis-Abeba. La somme des rapports et contributions préparatoires à l’AG des Nations Unies de septembre 2015 est donc considérable, d’autant qu’il faut y ajouter les nombreuses contributions de la société civile, très impliquée.
Les Objectifs de Développement Durable

1. Eliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde
2. Eliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable
3. Donner aux individus les moyens de vivre une vie saine et promouvoir le bien-être de tous à tous les âges
4. Veiller à ce que tous puissent suivre une éducation de qualité dans des conditions d’équité et promouvoir les opportunités d’apprentissage tout au long de la vie
5. Réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles
6. Garantir l’accès de tous à des services d’approvisionnement en eau et d’assainissement et assurer une gestion durable des services en eau
7. Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes à un coût abordable
8. Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous
9. Mettre en place une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation soutenable qui profite à tous et encourager l’innovation
10. Réduire les inégalités entre les pays et en leur sein
11. Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et soutenables
12. Instaurer des modes de consommation et de production soutenables
13. Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions
14 Conserver et exploiter de manière soutenable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable
15. Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des terres et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité
16. Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et ouvertes aux fins du développement durable, assurer à tous l’accès à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes
17. Revitaliser le partenariat mondial au service du développement soutenable et renforcer les moyens de ce partenariat

Des nouveautés significatives

Avec les ODD, le développement durable devient le nouveau paradigme des Nations Unies. Les Objectifs de Développement Durable seront considérés comme « universels », c’est-à-dire qu’ils s’adresseront à tous les pays, du Nord comme du Sud. Ils seront aussi contextualisés pour chaque pays, avec un plan national d’action. Par exemple, l’ODD 1 fixe l’objectif d’éradiquer à l’horizon 2030 l’extrême pauvreté (moins de 1,25$/personne/jour). Voilà un bel objectif, ambitieux mais réalisable. En tant qu’objectif universel, il s’applique à tous les pays. Pour les pays européens, l’éradication de la pauvreté extrême devrait signifier de faire diminuer la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté relative défini pour ces pays (60 % du revenu médian) et plus encore de diminuer l’intensité de la pauvreté (pour que personne ne vive avec moins de 40 % du revenu médian, considéré comme le seuil de grande pauvreté).
Parmi les 17 ODD proposés, les 6 premiers se situent dans la continuité des OMD (c’est la perspective d’aller au bout de ce qui était visé avec les OMD).

Un ODD est consacré aux inégalités, marquant la prise en compte – enfin – de l’accroissement dramatique des inégalités à l’intérieur de nombreux pays du monde entre 2000 et 2015.
5 ODD sont consacrés aux questions économiques et d’emploi. Il s’agit là d’une nouveauté, fortement promue par le rapport du Panel de haut niveau publié en mai 2013. 3 ODD concernent les enjeux environnementaux (le principal échec des OMD), avec l’apparition d’un ODD consacré à la lutte contre les changements climatiques – mais jugé peu ambitieux par beaucoup. Enfin, le 16ème ODD traite de l’État de droit, de la justice, de la paix et de la redevabilité des institutions tandis que le 17ème ODD livre des recommandations en matière de mise en œuvre et de financement (un objectif au contenu assez décevant).

La dignité pour tous d’ici 2030 ?

Le Secrétaire Général des Nations Unies a présenté sa synthèse de tous les travaux préparatoires en décembre 2014. Cet important rapport, qui guide les négociations internationales d’ici l’Assemblée des Nations Unies en septembre 2015 met l’accent sur les concepts fédérateurs de dignité pour tous et de transformation, comme l’indique son titre : « La dignité pour tous d’ici à 2030 : éliminer la pauvreté, transformer nos vies et protéger la planète ». Le Secrétaire Général des Nations Unies y exprime sa volonté d’aboutir à un programme ambitieux et universel (s’appliquant à tous les pays), axé sur les êtres humains et ne laissant personne de côté.

Ce dernier point est fondamental et implique de vérifier que même les plus pauvres bénéficieront des différents Objectifs de Développement Durable. Voilà un critère pertinent, que les chrétiens apprécient : juger une politique publique par son impact sur les plus pauvres. Six points clés sont proposés par le rapport :

« dignité : en finir avec la pauvreté et lutter contre les inégalités
êtres humains : garantir à tous l’accès à la santé et au savoir et donner toute leur place aux femmes et aux enfants
prospérité : développer une économie forte qui profite à tous et favorise le changement
planète : protéger les écosystèmes dans l’intérêt de toutes les sociétés et des générations futures
justice : favoriser l’édification de sociétés sûres et pacifiques et la mise en place d’institutions solides
partenariat : faire jouer la solidarité mondiale au service du développement durable ».

Ces six éléments ne remplacent pas les 17 ODD présentés par le Groupe de Travail Ouvert et pourraient n’être utilisés qu’en préambule de la future présentation des ODD.
L’année 2015 est consacrée aux ultimes négociations interétatiques, en particulier sur l’épineuse question du financement (qui est traitée lors de la conférence internationale de mi-juillet 2015 à Addis-Abeba), et aux derniers arbitrages. Le risque de ces négociations est de perdre progressivement la vision globale et intégrée que l’on trouve présente dans le document du Groupe de Travail Ouvert et d’affadir le document final.

Les discussions portent également sur l’établissement d’une liste d’indicateurs, qui permettront de vérifier l’atteinte des objectifs et des cibles. Il est enfin essentiel de vérifier la cohérence entre l’AG des Nations Unies en septembre 2015 à New York qui adoptera les ODD pour la période 2015 – 2030, et la 21ème Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (ou COP 21) qui aura lieu en décembre 2015 à Paris – Le Bourget et qui s’annonce décisive pour l’avenir du régime climatique international. Ces deux grands événements internationaux sont issus de processus disjoints mais leurs enjeux sont évidemment interconnectés. Pour autant, les négociations pour ces deux conférences fonctionnent de façon trop séparée.

Pour de nombreux observateurs, le principal défi sera d’éviter le syndrome de « l’usine à gaz »: dans quelle mesure les 17 ODD (chaque objectif ayant entre 5 et 19 cibles, soit 169 cibles au total !) pourront –ils être lisibles et appropriés au-delà des cercles onusiens pour permettre une véritable mobilisation politique ?

Cependant, cet exercice commun de construction d’un cadre universel pour le développement durable pousse l’ensemble des États à réfléchir à un horizon (15 ans) qui va au-delà des cycles électoraux. Il offre aussi à la société civile une formidable opportunité de contribuer à ces débats – ce qu’elle fait au travers de plusieurs coalitions d’envergure – et une possibilité d’effectuer ensuite un suivi vigilant des engagements pris dans le cadre des ODD, ce qui s’avérera sûrement nécessaire. C’est là une fonction essentielle de la société civile.

Pour les chrétiens, ces événements sont porteurs de sens. On ne peut qu’être frappés par la proximité des espoirs qui s’expriment dans les discussions et même dans les rapports officiels et l’espérance chrétienne. La plus grande prise de conscience de la fragilité de notre monde, mais aussi les possibilités offertes par les technologies, les moyens financiers disponibles et les connaissances accumulées depuis plusieurs décennies de développement, poussent la communauté internationale, dans ce qu’elle a de meilleur, à vouloir s’engager pour un développement durable, centré sur l’être humain, et ne laissant personne de côté. Toutes choses qui consonnent avec la Bonne Nouvelle qui nous anime.