III – La course vers l’or au cœur d’une guerre civile
Le 11 décembre 2024
La famine et l’épuration ethnique frappent le Soudan. Pourtant, le commerce de l’or est en plein essor, enrichissant les généraux et alimentant la guerre.
[…] En effet, des milliards de dollars en or sortent du Soudan dans pratiquement toutes les directions, contribuant à faire de la région sahélienne de l’Afrique l’un des plus grands producteurs d’or au monde, à une époque où les prix atteignent des sommets.
Mais au lieu d’utiliser cette manne pour aider les légions d’affamés et de sans-abri, les belligérants du Soudan utilisent l’or pour financer leur combat, déployant ce que les experts de l’ONU appellent des « tactiques de famine » contre des dizaines de millions de personnes. L’or permet de payer les drones, les fusils et les missiles qui ont tué des dizaines de milliers de civils et contraint 11 millions de personnes à quitter leur foyer. C’est le prix des combattants et des mercenaires déchaînés qui ont dévalisé tant de banques et d’habitations que la capitale ressemble aujourd’hui à une gigantesque scène de crime, avec des combattants affichant sur les réseaux sociaux des montagnes de bijoux et de lingots d’or volés.
« L’or est en train de détruire le Soudan », a déclaré Suliman Baldo, un expert soudanais des ressources du pays, « et il est en train de détruire les Soudanais ». La guerre civile oppose l’armée nationale et ce qui reste du gouvernement à leur ancien allié, un groupe paramilitaire connu sous le nom de Forces de soutien rapide (RSF). Le commandant du groupe, le lieutenant-général Mohamed Hamdan, est un marchand de chameaux devenu seigneur de guerre, dont les forces sont devenues particulièrement puissantes après s’être emparées de l’une des mines d’or les plus lucratives du Soudan en 2017.
« Ce n’est rien, juste une zone du Darfour qui nous appartient », a-t-il déclaré au New York Times lors d’une interview en 2019, tentant de minimiser son importance.
La mine est devenue la pierre angulaire d’un empire d’un milliard de dollars qui a transformé son groupe armé, le RSF, en une force redoutable. Le général Hamdan a ensuite vendu la mine au gouvernement pour 200 millions de dollars, ce qui lui a permis d’acheter encore plus d’armes et d’exercer une influence politique. Mais cette richesse et cette ambition ont conduit à une impasse avec l’armée soudanaise, ouvrant la voie à la guerre civile qui a pratiquement détruit le pays.
La lutte pour l’or n’a fait que s’intensifier lorsque la guerre a éclaté en 2023. Dans l’une de ses premières salves, le général Hamdan a repris la mine qu’il avait vendue au gouvernement. Quelques semaines plus tard, ses combattants se sont attaqués à la raffinerie nationale d’or de la capitale, s’emparant de 150 millions de dollars en lingots d’or, selon le gouvernement.
L’or est également le moteur de la guerre pour les militaires soudanais. Ils ont bombardé les mines du RSF, tout en augmentant la production d’or dans les zones encore sous contrôle gouvernemental, souvent en invitant des puissances étrangères à se charger de l’extraction. Les autorités soudanaises ont négocié des accords sur les armes et l’or avec la Russie et cherchent à séduire les dirigeants chinois du secteur minier. Ils partagent même une mine d’or avec des dirigeants du Golfe accusés d’armer leurs ennemis.
Les sponsors étrangers de la guerre
Le président Vladimir V. Poutine a longtemps vanté les mérites des mines d’or russes au Soudan, et le groupe Wagner de son pays a travaillé avec l’armée et ses rivaux avant même qu’ils n’entrent en guerre.
Maintenant que le patron de Wagner est mort, tué dans un accident d’avion après sa brève mutinerie contre les chefs militaires russes, le Kremlin a repris les affaires du groupe et semble rechercher de l’or de part et d’autre de la ligne de front, en partenariat avec le RSF à l’ouest et l’armée du pays à l’est. Les Émirats arabes unis allument également les deux bouts de la mèche. Sur le champ de bataille, ils soutiennent le RSF en leur envoyant de puissants drones et missiles dans le cadre d’une opération secrète sous couvert d’une mission humanitaire.
Mais lorsqu’il s’agit d’or, les Émiratis contribuent aussi à financer le camp adverse. Une société émiratie, liée par des fonctionnaires à la famille royale, possède la plus grande mine industrielle du Soudan. Elle se trouve sur un territoire contrôlé par le gouvernement et alimente en grande partie la machine de guerre de l’armée, à court d’argent – un autre exemple de l’éventail étourdissant d’alliances et de contre-alliances qui alimentent la guerre.
Des motos, des camions et des avions font sortir l’or du pays en permanence, l’acheminant à travers les frontières poreuses avec les sept pays voisins du Soudan. En fin de compte, la quasi-totalité de l’or se retrouve aux Émirats arabes unis.
Les Émirats arabes unis sont la principale destination de l’or de contrebande en provenance du Soudan, selon le département d’État.
En chemin, une chaîne hétéroclite de profiteurs prend sa part – criminels, seigneurs de la guerre, maîtres espions, généraux et fonctionnaires corrompus, les rouages d’une économie de guerre en expansion qui fournit une puissante incitation financière pour que le conflit se poursuive, selon les experts. […]
À des centaines de kilomètres des mines d’or du RSF au Darfour, une mine d’or moderne et industrielle aide les militaires à poursuivre le combat. […]
Le minerai de sang
Lorsque le boom de l’or au Soudan a démarré il y a plus d’une décennie, de nombreuses familles soudanaises ont bâti leur avenir sur ce minerai, stockant des bijoux à la maison ou dans des banques en prévision des jours difficiles. Aujourd’hui, elles en dépendent pour survivre. […] Même avant le conflit, l’or était si essentiel qu’il a atteint 70 % des exportations du pays, aidant à compenser les revenus pétroliers que le Soudan avait perdus après la sécession du Soudan du Sud en 2011. […]
Même si les sponsors étrangers de la guerre se retiraient, le commerce de l’or est si lucratif que les belligérants pourraient financer le conflit à eux seuls, selon les experts. Selon les autorités soudanaises, au cours de la seule première année de guerre, le pays a produit plus de 50 tonnes d’or, soit plus que pendant les 12 mois de paix précédents.
Une solution pourrait consister à faire pression sur les acheteurs. En classant l’or soudanais dans la catégorie des « minerais de conflit », les entreprises pourraient être tenues d’exclure l’or soudanais de leurs produits. Des préoccupations similaires concernant les « diamants de sang » d’Afrique de l’Ouest ont conduit à la mise en place d’un système de certification soutenu par les Nations Unies il y a vingt ans. Mais l’or, qui est souvent fondu et mélangé, peut être difficile à retracer. Et comme le prix de l’or a récemment battu des records, les incitations à la guerre ne cessent de croître. […]