Éthique sociale en Église n°73 octobre 2024

1 – Fragmentation, éclatement, dispersion…
Autant de mots qui prennent une grande place dans nos discussions et qui caractérisent notre époque. Il y a bien sûr la fragmentation du paysage politique, dans notre pays et à l’échelle mondiale. Des repères qu’on croyait stables deviennent flous, des accords internationaux se trouvent déconsidérés, voire bafoués. Les institutions de tous ordres perdent de leur superbe ; pour ne prendre qu’un exemple, l’Église catholique, marquée notamment par des scandales, est appelée à se remettre en question.
o Les idées elles-mêmes connaissent des flottements. Cela se vérifie en politique, on a du mal à identifier les projets des différents partis : les prises de position varient au gré de l’actualité et des alliances de circonstance. Certaines prises de positions visent plus à faire le buzz qu’à développer une démarche cohérente et viable. Certains tics de langage en disent long, par exemple « non à l’écologie punitive », traduction possible : il faut bien avoir un discours écolo, mais à condition que cela n’affecte en rien nos choix concrets dans la vie réelle.
Il y a aussi le risque d’éclatement de la vie commune au profit de « communautés » particulières qui jouent des antagonismes, on affirme son identité en s’opposant aux autres. Ne perdons pas de vue un bien commun tissé de solidarités concrètes et de fraternité, au travers même des différences qui peuvent être vues comme des richesses diversifiées. L’éclatement se vérifie aussi au niveau mondial, avec la multiplication des conflits, des jeux de puissance pour asservir les autres. La construction de la paix suppose des engagements courageux et persévérants, elle peut alors apparaître belle et désirable.
Il ne suffit pas de pointer du doigt les politiques et les responsables d’institutions. Chacun se trouve aujourd’hui tenté de jouer le jeu de la dispersion dans sa propre vie. Il parait difficile de prendre un engagement et de s’y tenir, mais aussi de manifester une vraie cohérence entre les convictions affichées et les choix de vie ; on se gausse parfois des jeunes qui se déclarent écolos tout en succombant aux multiples attraits des objets à la mode, mais ce travers n’est pas réservé à une classe d’âge !
Faut-il alors prendre son parti de la dissolution (dans tous les sens du terme) ? Au risque de sombrer dans l’inanition. Les pièges ne manquent pas. Contre le flou politique, on risque de se tourner vers un pouvoir autoritaire qui mettrait de l’ordre – mais quel ordre et au profit de qui ? – et se ferait obéir ; en de nombreux pays aujourd’hui ce qui a pu apparaître comme un remède tourne au drame avec le déni des droits humains. Au niveau personnel, dans un monde complexe, il y a le risque de se fier à une idéologie simpliste qui voit le mal chez « l’autre », évitant ainsi toute remise en question de ses préjugés. Mais nous ne sommes pas sans ressources.

2 – Connexion, résonance, communication…
+ Le terme spiritualité peut désigner une expérience humaine forte. Il ne concerne pas seulement quelques personnages d’exception : le moine ou le voyageur en route vers le Népal. À l’inverse, nous constatons les ravages causés par un matérialisme banalisé qui voit dans la nature une mine de produits à consommer sans retenue et dans le monde animal une ressource à exploiter sans vergogne ; quant au semblable humain, il se trouve alors réduit à un individu susceptible de servir mes intérêts ou d’assouvir mes pulsions. Pour grandir en humanité, il nous faut regarder plus haut et plus loin que nos intérêts matériels, individuels et immédiats.
+ Il est prudent d’associer la spiritualité à l’éthique, sinon elle risque de s’évader dans le rêve. L’éthique balise le chemin en mettant en avant des pratiques concrètes : le respect de l’autre (humain et non humain), la qualité de la relation, la quête continue d’un bien commun qui associe l’humain à l’ensemble de la création.
+ Un exemple, la Revue d’éthique et de théologie morale (août 2024) rend compte d’un colloque consacré à la spiritualité de l’écologie. J’en retiens une invitation à l’émerveillement devant la beauté du monde, sans méconnaître le mal lié à la « lutte pour la vie ». On note aussi la prise en compte du lien originel de l’humain avec l’ensemble de la création, ce qui implique des solidarités concrètes. L’humain devient cause de malheur s’il oublie son lien avec l’ensemble du vivant et l’exploite jusqu’à le détruire. L’esprit de responsabilité associe éthique et spiritualité pour stimuler la volonté de prendre soin du monde, du vivant, de l’humain. L’ouverture à l’avenir prend alors la forme d’une marche vers une communion pacifiée.

3 – Signes d’espérance
+ La communauté Sant’ Egidio est un mouvement laïc d’inspiration catholique qui travaille pour la paix dans le monde, la lutte contre la pauvreté, le soutien aux demandeurs d’asile. Alors qu’elle recense 59 conflits dans le monde, elle met en cause un imaginaire saturé de guerres afin de rendre la paix désirable et possible. Une assemblée internationale de Sant’ Egidio a eu lieu à Paris sur le thème « Imaginer la Paix » ; elle a réuni des représentants de différentes religions, des responsables politiques (le Président de la République est intervenu), des chercheurs, des acteurs de la société civile. La construction de la paix suppose une démarche humaniste qui résiste à la tentation de détruire son semblable : il s’agit surtout de comprendre l’autre, de cultiver l’ouverture d’esprit et la patience. Résistons à un imaginaire qui considère la guerre comme une fatalité. La fabrique de la paix appelle une culture de la confiance, une quête continue de justice sociale au niveau mondial. L’extrême pauvreté et le mépris des droits humains, c’est du malheur pour les victimes et des problèmes pour tous les membres de la famille humaine. La justice : un chemin de paix.
+ Que deviennent les scouts ? Une enquête à grande échelle vient d’être menée sur les personnes qui appartiennent au scoutisme ou qui l’ont fréquenté à un moment de leur vie. En comparant avec la moyenne des Français, les scouts manifestent plus fortement le sens du service, l’engagement dans le bénévolat et la citoyenneté, la proximité avec la nature, la capacité à faire face aux difficultés… Et ils se montrent particulièrement heureux de leur vie ! Exemple d’une éducation populaire qui favorise une socialisation sur la base d’objectifs communs et de projets humanisants. Le développement des enfants, des jeunes, mais aussi des adultes, se réalise grâce aux démarches qui nous ouvrent aux autres et au monde, en déployant le sens des responsabilités à tous les niveaux. Cessons de réduire l’humain à un individu en quête de ses seuls intérêts, à un producteur/consommateur qui compense la platitude de sa vie par quelques divertissements. Oui à un chemin de bonheur vécu sous le signe de l’ouverture et non du repli sur soi.

 

Télécharger le  n° 73 oct 24 (PDF)