Éthique sociale en Église n°79 avril 2025

1 – Malaise en politique
Tant sur le plan national qu’international, la politique parait grandement imprévisible. Or, il lui revient d’organiser la vie commune dans le cadre d’une relative stabilité. Pour comprendre ce qui semble aujourd’hui bien chaotique, il est utile de revisiter les idées fortes qui ont marqué les trente dernières années. L’image de la chute du mur de Berlin représente un bouleversement majeur : il n’y a plus deux blocs qui s’opposaient tout en évitant de franchir le pas de l’irréparable. Mais les réponses apportées en ces années charnières ne furent pas à la hauteur du défi. Elles étaient marquées par la naïveté et l’intérêt à court terme.

La première naïveté est celle du « doux commerce » : les peuples qui échangent sur le marché mondial n’auraient plus de raisons de se battre, en raison d’un intérêt bien compris de type monétaire. En attaquant son voisin, un fournisseur de gaz met à mal son marché, et pourtant il le fait ! Les motivations strictement économiques ne sont donc pas les seules à guider les choix. Une seconde naïveté consiste à ne penser les relations entre les peuples qu’en termes de rapports de force, au point qu’un État en position avantageuse cherche forcément à étendre une emprise sans limite. Or, il va buter sur des résistances relevant de motivations vitales. La régulation du commerce ne suffit pas à désamorcer tous les conflits.

Les dangers liés à ces naïvetés sont redoublés par le rapport à la temporalité. Un gain à court terme, qu’il soit commercial, stratégique ou symbolique, peut induire des problèmes de grande ampleur. On entend des avis sentencieux selon lesquels les États n’ont pas de morale, mais seulement des intérêts : les populistes illustrent parfaitement cette maxime. Or, la quête unilatérale de ses intérêts à court terme, sans se soucier de ceux des partenaires, conduit sûrement à des conflits qui peuvent avoir des conséquences désastreuses pour les uns et pour les autres. Alors, quels chemins emprunter ?

2 – Quelques pistes pour une vie commune relativement pacifiée
Il y a tout d’abord la voie de la justice, au sens que la recherche d’un bien particulier doit se conjuguer avec le bien des autres, sous le mode de la réciprocité. Il est donc nécessaire qu’il y ait des règles de justice pour organiser les relations entre les individus, mais aussi entre les nations. Et une référence à la morale n’est pas inutile pour promouvoir la justice. Quant au terme alliance, ce n’est pas un gros mot ; il suggère une attitude de respect envers l’autre pour nouer des relations, avec la volonté de conjuguer les différentes capacités au lieu de se situer dans une opposition systématique. La quête d’alliances résiste à la vision simpliste de relations réduites à de brutaux rapports de force. Nous valons mieux que cela. La perspective de former des alliances apparaît positive, à condition qu’elle ne prenne pas seulement la forme défensive. Ce n’est pas sans raison qu’en notre pays nous honorons le beau mot de fraternité ; alors, faisons en sorte qu’il guide nos choix de vie et qu’il ne reste pas cantonné en des cercles restreints. Osons donc une fraternité universelle.

Des références éthiques offrent des ressources précieuses pour affronter humainement les défis politiques et sociaux de notre temps. Elles suscitent aussi notre esprit critique à l’égard des populismes qui manipulent le langage et ne raisonnent qu’en termes de recherche d’intérêts à court terme. Mais il semble que les populistes commencent à se prendre les pieds dans le tapis… Alors, résistons avant qu’ils ne sèment le chaos !

 3 – La générosité en actes
Commençons par des gros chiffres. Si l’on additionne les dons des particuliers et ceux des entreprises, le total se monte à 9,2 milliards €, et la tendance est à la hausse. Il s’agit donc d’une part non négligeable de la vie économique. On retient que 5,5 millions de foyers fiscaux donnent de l’argent à des associations, on doit ajouter les dons de foyers non imposables qui ne demandent pas de reçu fiscal et les dons manuels en monnaie : les chiffres annoncés ne sont donc pas exhaustifs.

La générosité ne se laisse pas enfermer dans les registres comptables… et on peut s’en réjouir. En plus des transferts monétaires, il y a tout l’engagements bénévole dans le soutien aux associations, mais aussi les initiatives de proximité, par exemple dans l’aide alimentaire pour des étudiants ou le soutien à une famille de réfugiés. Sans oublier les gestes de solidarité au quotidien, dans le voisinage comme au bénéfice de relations plus lointaines.

Au-delà des chiffres, qu’est-ce que cela dit de notre société ? il y a le goût d’améliorer les conditions de vie d’autrui, avec ce que cela implique d’altruisme et d’empathie. Nous sommes loin alors d’une vision étriquée de l’humain comme un individu centré sur ses seuls intérêts matériels. Certains diront que c’est une manière de cultiver une image positive de soi, mais cela vaut mieux que l’affichage d’un égoïsme brutal et d’une violence destructrice. Pourquoi dénigrer ce qu’il y a de bon en l’homme ? D’autant qu’une figure de générosité peut inciter d’autres à s’orienter dans cette voie tandis que, à l’inverse, la dureté banalise la violence. Quant aux déductions fiscales liées aux dons, il s’agit d’une manière pour l’État de soutenir à la fois la pratique du don et les organismes qui contribuent au mieux-être des parties les plus fragiles de notre société.

L’évocation de ces pratiques de générosité enrichit notre rapport au politique. La qualité de la vie sociale comprend l’action des institutions (pensons à la Sécurité Sociale) ; à ce propos, les contributions et les impôts remplissent une fonction décisive dans les solidarités entre citoyens. Mais le rôle des associations comprend des actions au plus près des gens et met en jeu des relations humaines qui montrent que la fraternité ne se réduit pas à un beau slogan affiché sur nos monuments publics. Il est bon pour les responsables politiques de commencer leur vie publique dans un véritable engagement au cœur de la cité, ils ont ainsi un rapport à leurs concitoyens qui ne se réduit pas à des visées électoralistes.

4 – Un questionnement vigoureux
 Laurence DEVILLAIRS réhabilite la notion de justice, pour faire place aux autres au lieu d’en rester à la violence de la loi du plus fort. Elle continue : « Des années de développement personnel nous ont vidés de toute conscience politique et de tout esprit critique. On ne parle plus de courage, mais de résilience. Et tout cela fait de nous des moutons ! » Il est vrai que la volonté légitime de réalisation personnelle peut se dévoyer en égocentrisme. Une justice authentique, dans le cadre de la contribution au bien commun, comprend le bien de chacun des membres, y compris le sien propre, et engage la responsabilité sociale de chacun.