Parler de paix en temps de guerre : réarmer l’Europe… et la Paix ?
Paru dans Le Soir du 26 mars 2025
Face à l’accélération des investissements militaires en Belgique et en Europe, il convient de poser un regard critique sur l’urgence prise pour réorienter les priorités budgétaires en matière de défense et relancer le débat public sur les conditions réelles d’une sécurité durable: plutôt que d’une « culture de la sécurité », il faut promouvoir une « culture de paix » fondée sur l’éducation, le respect des droits fondamentaux, la gestion non violente des conflits et la participation active de la population dans la construction du vivre ensemble.
L’Europe achève de s’éveiller face à la perspective d’un conflit ouvert qui s’étendrait au-delà de la ligne de front actuelle entre l’Ukraine et la Russie. La réélection de Donald Trump, les propos de son vice-Président à la Conférence de Munich sur la Sécurité puis cette scène glaçante dans le Bureau ovale a astreint l’Europe à changer radicalement son paradigme en matière de sécurité et de défense.
Un mot d’ordre semble s’imposer : il faut ré-ar-mer. Il faut réarmer à tout prix et rapidement. Les engagements à atteindre ou dépasser les 2 % du PIB pour la défense sont pris les uns après les autres. Le plan « ReArm Europe » (1) de la Commission européenne va coordonner ce processus : la Belgique n’échappera donc pas à la règle.
Réarmer, certes… mais pour quoi faire ? Le lien quasi automatique entre accumulation d’armements et paix durable mérite d’être interrogé car une sécurité authentique ne se construit pas seulement en mobilisant des moyens militaires. Le processus à l’œuvre rompt avec des décennies de désarmement progressif. L’Europe, tournée vers l’intégration et la coopération, avait réinvesti dans les politiques sociales, l’éducation et la diplomatie. Aujourd’hui, ce qu’on appelle le « dividende de la paix » semble s’éloigner.
Des milliards d’euros investis dans l’urgence
En 2022, le gouvernement avait prévu que le budget de la défense passe de 4,4 milliards d’euros à 6,9 milliards à l’horizon 2029 (soit 1,54 % du PIB). Le plan STAR engageait la Belgique dans une modernisation de ses capacités militaires sur une période de 15 ans. L’atteinte des 2 % du PIB fixée après 2029 est désormais fixée à juin 2025. Le temps des arbitrages qui vont s’imposer doit être pris et le choix des priorités budgétaires pesé à l’aune des besoins sociaux, de l’urgence climatique, des engagements internationaux et des bénéfices de la coopération internationale.
Réarmement vs. sécurité
Sécurité pour qui et par quels moyens ? Justice & Paix défend une vision élargie de la sécurité des populations : celle qui repose sur des sociétés inclusives, des institutions démocratiques fortes, des économies justes et redistributives, des relations internationales encadrées par le droit international. Le renforcement militaire sans vision globale à long terme risque de nourrir un cercle vicieux de violence. C’est la logique du « dilemme de sécurité » : en voulant renforcer notre protection, nous alimentons les tensions. Et ce faisant, nous détournons des ressources financières vitales pour d’autres urgences sociétales.
Les coûts cachés du complexe militaro-industriel
Derrière les milliards d’euros investis se profilent des intérêts économiques puissants, peu enclins à prôner la désescalade. La Belgique, en rejoignant les programmes industriels européens de défense, s’inscrit dans cette dynamique. Or, une économie tournée vers l’industrie militaire va orienter ses compétences, ses capacités d’innovation, ses budgets vers des finalités conflictuelles, au détriment d’un développement humain, écologique, durable et solidaire.
Une société civile invisibilisée
Face à cette accélération de l’Histoire et à ce phénomène d’hyper-actualité, une question nous hante : pourquoi si peu d’écho à la mobilisation citoyenne autour de ces choix cruciaux ? L’une des raisons est à chercher dans le climat actuel : les peurs sont légitimes et les menaces bien réelles. Pourquoi donc contester la nécessité de se protéger ? C’est précisément dans ce contexte que la société civile doit jouer son rôle de vigie démocratique et être visibilisée pour être entendue.
Oser remettre la paix au centre
Les alternatives existent, encore faut-il leur donner une place. Sur le plan international, la Belgique pourrait renforcer son engagement pour les mécanismes multilatéraux de désarmement : relancer les efforts autour du Traité d’interdiction des armes nucléaires (2) et renforcer les dispositifs de contrôle des exportations d’armes (3). Investir dans la prévention des conflits, dans le soutien aux droits humains ou encore dans la coopération au développement, sont des leviers de sécurité durable. Or, les budgets correspondants stagnent, quand ils ne reculent pas.
La tâche sera ardue. L’opinion publique est travaillée par des logiques de peur et de repli. Les discours dominants valorisent la réponse armée comme seule voie raisonnable. Ils simplifient ce qui reste une matière complexe, qui appelle à la nuance et au débat d’idées.
Justice & Paix affirme qu’il n’est pas naïf de défendre la paix dans un contexte menaçant : c’est un acte de lucidité, pas une posture de neutralité. Car sans justice sociale, sans équité, sans respect du droit international, aucune paix ne sera durable.
Plutôt que d’une « culture de la sécurité », Justice & Paix promeut une « culture de paix » (4) fondée sur l’éducation, le respect des droits fondamentaux, la gestion non violente des conflits et la participation active de la population dans la construction du vivre ensemble. Dans un contexte où la réponse militaire pourrait préempter tout le débat, il faut redonner toute sa place à cet engagement patient et de long terme pour la paix.
(1) Federico Santopinto, « Le plan ReArm Europe et la quadrature du cercle entre intégration et souveraineté nationale », IRIS, 12 mars 2025.
(2) Samuel Legros, « Armes nucléaires présentes et futures en Belgique. Qu’en pensent les partis politiques ? », CNAPD, 28 mars 2024.
(3) Carte blanche collective « Exportation d’armes wallonnes : Il faut réformer le décret wallon pour plus de transparence et de contrôle ! », Le Soir, 12 mars 2025.
(4) Justice & Paix, « La culture de paix », Juin 2024.
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