Au Cambodge, les aléas de la politique électorale
Le Cambodge se trouve actuellement entre deux échéances électorales : les élections communales du 4 juin 2017 et les élections législatives fixées au 29 juillet 2018. Ces deux étapes décisives monopolisent toute la politique intérieure du pays dans un contexte de renforcement de la position du Premier Ministre et de son parti, le Parti du Peuple Cambodgien.
Après plusieurs mois de préparation, sept millions d’électeurs se sont rendus aux urnes, en juin dernier, pour les élections communales. Le PPC (Parti du Peuple Cambodgien), celui de Hun Sen, Premier ministre depuis trente-trois ans, a remporté 1 163 communes ; le PNSC (Parti National du Salut du Cambodge), principal parti d’opposition dirigé par Sam Rainsy et Kem Sokha, a obtenu 482 communes ; et le Parti de l’Unité Nationale Khmère, de Nhek Bun Chhay, en a gagné une.
Si le PNSC ne l’a pas emporté, on compte tout de même cinq mille élus de l’opposition, ce qui représente une menace pour le gouvernement. Selon le Comité National des Élections (CNE), l’an prochain il y aurait 9 788 239 électeurs, sur une population de 15 883 250 d’habitants, qui devraient se rendre dans 23 470 bureaux de vote. L’atmosphère des élections a été qualifiée de « paisible et pacifique », même si, dans certains bureaux de vote, les autorités civiles et militaires ont voulu montrer leur force.
Cependant, toute la politique intérieure des derniers mois était ouvertement pro-PPC. À la campagne, chaque maison devait afficher un ou deux emblèmes du PPC, quelles que soient les convictions de leurs occupants. C’est un fait qu’à la campagne, les gens d’un certain âge votent pour les « mé-ba » (père-mère), les protecteurs du pays qui peuvent assurer la paix. Dans les universités, les étudiants se divisent en deux groupes : les fils et les filles de riches, membres du gouvernement, lui sont acquis ; en revanche, les filles et fils de pauvres votent contre lui.
La hantise des précédentes élections
Les Cambodgiens partis travailler à l’étranger, environ 1 700 000 personnes, n’ont pas pu voter. Tous ces travailleurs se sont exilés, parce qu’ils ne pouvaient vivre décemment, et sont des opposants virtuels. Le PNSC a milité, avant les élections et depuis les élections, pour qu’ils puissent déposer leur bulletin de vote dans les ambassades ou consulats du pays où ils résident.
Mais le PPC a refusé obstinément, de peur que ne se reproduisent les élections de 2013 où il n’avait obtenu sa victoire qu’avec un million de votes « fantômes » et de très nombreux votes en double. Le PNSC avait boycotté l’Assemblée nationale pendant un mois en signe de protestation. Depuis, les listes électorales ont été révisées grâce à des experts internationaux. Une semaine avant les élections, le Premier ministre Hun Sen avait promis de fusiller « cent à deux cents personnes » si elles ne votaient pas pour lui.
Tep Banh, son Ministre de la Défense, avait promis de « briser les dents » de ses opposants qui n’accepteraient pas leur défaite. Si aucun des deux n’a mis ses menaces à exécution, tous gardent en mémoire ces paroles pour le moins offensives. Actuellement, tout est orienté vers les prochaines élections législatives, fixées par le Premier Ministre au 29 juillet 2018, durant la saison des pluies. L’opposition aurait préféré une date en saison sèche, ce qui permettrait aux gens des campagnes de se déplacer plus facilement.
Promesses sociales et pressions politiques
Depuis le 10 août 2017 le Premier Ministre a lancé une opération de charme à l’encontre des 700 000 ouvriers d’usines. Leur travail permet la plupart des exportations. Le 20 août, le Premier Ministre a décidé d’augmenter sans préalable leur salaire de 153 à 168 dollars à partir de janvier 2018. Cependant, la direction des deux syndicats les plus influents pense que 200 dollars permettraient aux ouvriers de subvenir à leurs besoins, étant donné l’augmentation des prix des denrées.
Hun Sen leur accorde également la libre circulation dans les bus. Une semaine après, il annonce pour tous les travailleurs, y compris dans l’agriculture, le libre accès aux soins et le séjour gratuit dans les hôpitaux d’État. Un projet de régime de retraite se mettra en place à partir de 2019, à condition d’avoir travaillé pendant plus de vingt-cinq ans, précise-t-il par la suite. Cela reviendra à une dépense de dix millions de dollars par an. Pour le moment, il n’a pas encore précisé qui va payer.
Les observateurs estiment ces mesures normales : « C’est le devoir de l’État… C’est à cause de cette absence d’exonération des frais de santé que les gens sont pauvres »…
« Ces hausses salariales sont purement politiques », remarque un opposant. Le 30 août, le Premier Ministre fait baisser d’un tiers le coût de l’eau pour les travailleurs. Sam Rainsy, que Hun Sen raillait pour son manque de courage parce qu’il a interdiction de rentrer au Cambodge, sait que s’il y revient il sera immédiatement emprisonné puisqu’il a été « jugé » in abstentia. Désormais, Rainsy est considéré comme criminel. Or, une loi a été votée pour interdire à tout criminel de fonder un parti politique ; donc, Sam Rainsy a été exclu du PNSC et a dû retirer toutes ses photos des affiches et logos du parti.
Le 2 septembre, à 23h30, plus de cent policiers arrêtent Kem Sokha, co-leader de l’opposition avec Sam Rainsy, chez lui, sans mandat d’arrêt, et le conduisent en prison, à Trapéang Phlong. On l’accuse d’être en lien avec des Américains et de prévoir un coup d’état contre Hun Sen, comme Lon Nol l’avait fait pour Sihanouk en 1970. La frontière de l’impopularité gouvernementale est presque franchie…
Les pressions sur la presse
Une loi limitant le droit des associations, votée par l’Assemblée en juillet 2015, a commencée à être appliquée après les élections de juin 2017. Rien ne doit être laissé au hasard dans la préparation des élections de juillet 2018.
Durant le premier Conseil des ministres ayant suivi les élections, qui s’est tenu le 4 août 2017, le Premier Ministre donne l’ordre au gouvernement de percevoir les taxes annuelles sur les 5 000 ONG et associations. Le Cambodia Daily, qui s’est souvent opposé à la politique gouvernementale, doit payer 6,3 millions de dollars en taxes soi-disant impayées depuis 2007.
Le fondateur, le Dr Krisner (86 ans) fait remarquer que le journal a versé trente-neuf millions de dollars en opérations charitables, notamment dans la construction de 561 écoles à travers tout le pays. Le gouvernement lui accorde trente jours pour régler sa situation. Le porte-parole du gouvernement dénie toute intention politique dans cette mesure, et dit que beaucoup de sociétés devraient également faire l’objet d’un tel redressement. Le 22 août, le journal se fait publiquement traiter de « voleur » par le Premier Ministre.
Le Cambodia Daily déclare qu’il a toujours payé les sommes qu’on lui demandait, et fournit des documents pour le prouver. La presse internationale réagit, et pense que cette demande est uniquement motivée politiquement. Le 4 septembre, le Cambodia Daily doit fermer ses portes, après vingt-quatre ans et quinze jours d’informations loyales et courageuses.
D’autres organismes de presse comme la VOA (Voice of America), RFA (Radio free Asia) sont également dans le collimateur du gouvernement pour, soi-disant, manque d’enregistrement officiel et non-paiement de taxes. Elles sont interdites de diffusion en-dehors de Phnom Penh. En réalité, ces deux radios ont comme défaut d’interviewer des opposants au régime, comme Pan Nuong Teang directeur de la Voix de la Démocratie (VOD).
Dans une lettre du 21 août, le Ministre de l’Information ferme la radio Mohanokor ; le lendemain, c’est la fermeture de la radio Kampong Cham Radio FM 99,7. Le 26 septembre, dix-neuf radios privées cambodgiennes sont suspendues : ces radios relayaient des émissions de VOA et de RFA, et diffusaient ainsi des interviews du PNSC. Le gouvernement nie que ces mesures aient des motivations politiques, et affirme que toutes ces radios n’ont pas rempli leurs engagements auprès du gouvernement.
Il n’y a plus que deux radios qui peuvent diffuser des émissions venant de l’étranger : Nid d’abeilles, fondée en 1998 par Mom Sonando, qui accepte les directives gouvernementales, et également le Centre des Femmes cambodgiennes. Toute critique du gouvernement, « les insultes, le mépris et la diffamation publique », même sur Facebook, sont passibles de prison.
Désormais, le régime considère que tous ceux qui ne pensent pas comme lui ont décidé de le renverser. Tout opposant et tout parti politique sont autant d’espions qu’il convient de maîtriser. Certains observateurs font remarquer que jamais Hun Sen ne s’est senti accepté par l’Occident et que le soutien aux partis de l’opposition vise tôt ou tard à le renverser. Dans un tel contexte, les élections de 2018 ne risquent pas d’être menées dans une ambiance neutre.
Les pressions à l’international
Les associations de défense des Droits de l’Homme comme la LICADHO, ADHOC, le COMFREL (Comité pour la tenue des élections libres et honnêtes), ont été inquiétées. Elles ont obtenu un délai de paiement. Le 3 août 2017, le Premier Ministre recommande à plusieurs ONG de se retirer du pays, si elles violent la loi, « celles notamment qui reçoivent des fonds de l’étranger ».
En août, l’ambassadeur de l’Union Européenne (UE) s’est vu reprocher par le Premier Ministre l’aide apportée à l’ONG Classroom, un consortium de quarante ONG « qui ne respectent pas la neutralité ». L’ambassadeur Georges Edgar fait remarquer que l’UE a donné des fonds pour l’éducation et la surveillance des opérations de vote. Il inclut le Comité National des Élections (CNE) gouvernemental dans les destinataires de cette aide.
D’autre part, la majorité des fonds donnés par l’Union, un des principaux donateurs internationaux, va directement dans le budget national. L’Union a contribué à créer, avec de nombreuses félicitations, des listes électorales. Le Premier Ministre accuse l’Europe de vouloir le renverser.
Après sa reprise en main du pouvoir en 1997, Hun Sen devait rassurer les Occidentaux, pour pouvoir bénéficier des aides internationales. Ce n’est plus le cas actuellement. Grâce au fort soutien chinois, les dirigeants du PPC peuvent s’en prendre aux organisations dont la présence n’est plus désirée au Cambodge. « En beaucoup de domaines, le pays revient à ses pratiques autoritaires du passé », écrit un observateur plutôt favorable à Hun Sen.
Internet, notamment Facebook, diminue sérieusement l’influence des médias contrôlés par le PPC. Là encore, le Cambodge va s’aligner sur les pratiques de ses voisins du Nord et de l’Est. « Hun Sen montre clairement qu’il est opposé à une société ouverte et aux débats, il a donc recours à une tactique autoritaire pour les supprimer ».