Malgré les attentats, la France connaît un sursaut de tolérance
En 2015, les actes et menaces racistes enregistrés par le ministère de l’intérieur sont en hausse. En revanche, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) observe une progression de son indice de tolérance de la société française. (…)
L’indice de tolérance s’améliore
L’outil de mesure de la CNCDH est un indice longitudinal de tolérance, créé par Vincent Tiberj, docteur en science politique.
Sur la longue durée, cet indice qui reflète les réponses des personnes interrogées à une batterie de 69 questions, est en hausse. Les Français sont aujourd’hui globalement plus « ouverts aux autres » qu’ils ne l’étaient dans l’après-guerre.
Mais, récemment, ce mouvement de fond s’est interrompu. Dans le sillage de la crise économique et sociale de 2008, et en écho à la montée des populismes, l’indice de tolérance a reculé dramatiquement.
Pendant six années consécutives, la dégradation est apparue irrépressible. En 2014, toutefois, la courbe a cessé de baisser. En 2015 et 2016, elle est repartie à la hausse vers plus de tolérance. La progression est nette – 5 points – ce qui a rarement été constaté au cours d’une seule année. « Cela indique bien la spécificité de la période que la France vient de traverser ». Malgré les tentatives de l’extrême droite, l’amalgame le plus redouté, entre musulmans et djihadistes, semble avoir été évité, au moins pour l’instant.
Les actes racistes augmentent
Mais la prudence est de mise : les actes racistes connaissent une hausse sans précédent. Ces chiffres, comme le souligne chaque année la CNCDH, sont à prendre avec des pincettes. Issus des données du ministère de l’ Intérieur relevant les actions et menaces à caractère raciste, antisémite et antimusulman, ils minorent la réalité. L’évolution est catastrophique : les chiffres du ministère marquent en 2015 une augmentation de 22,4 %. « La courbe de tendance de la délinquance apparente à caractère raciste ne cesse son inquiétante ascension. »
Pourquoi ce contraste ?
« La psychologie sociale des émotions montre que les situations d’anxiété, comme celle provoquée par les attentats, modifient les activités mentales, amènent à remettre en cause les modes de pensée et les habitudes acquises, facilitent le réexamen critique. Le taux important de non-réponse permet d’illustrer cet ébranlement des opinions ». Des facteurs politiques profitables à la lutte contre le racisme existent : d’une part la mobilisation contre le FN et ses idées, liée aux succès électoraux de ce parti ; d’autre part le « recentrage » d’une partie de l’électorat de droite, comme en témoigne la hausse de la popularité d’Alain Juppé.
La CNCDH observe que toutes les catégories d’âge sont concernées par cette plus grande ouverture d’esprit, de même que l’ensemble des électeurs de droite ou de gauche. Autre bonne nouvelle, tous les « stigmatisés » bénéficient de cette embellie.
Quant aux opinions publiques, elles sont des plus changeantes, en fonction du contexte géopolitique, de l’actualité et de la manière dont les élites politiques, sociales et médiatiques s’emparent des débats. « Les responsabilités de ces dernières sont particulièrement importantes pour donner le ton, imposer un récit dominant », souligne le rapport. Cette année, l’institution observe « avec soulagement » une mobilisation des pouvoirs publics dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme érigée par François Hollande en « grande cause nationale ». La CNCDH apprécie les nouveaux financements du Plan national contre le racisme annoncé par Manuel Valls, mais critique la politique de communication.
Critiques et propositions
En matière d’action publique, la CNCDH critique la politique d’expulsion systématique des Roms, qui a notamment pour effet de déscolariser les enfants. À propos des réfugiés, nouvelle cible du racisme, elle dénonce les conditions « infra-humaines » dans lesquelles ils sont laissés à Calais. Autre carton noir adressé au gouvernement : la persistance des contrôles au faciès, que subissent les jeunes vivant dans les quartiers populaires.
Parmi ses recommandations, celles visant l’école arrivent au premier plan. Les établissements scolaires devraient, selon elle, être davantage le lieu de la déconstruction des préjugés. L’Éducation nationale devrait développer les débats sur des questions sensibles de façon à aider les écoliers, les collégiens et les lycéens à se construire un jugement : mise à disposition de salles de classe animées par des personnes compétentes, « espaces de libre parole » où seraient abordés les sujets à la demande des élèves, du conflit israélo-palestinien à la laïcité en passant par l’antisémitisme et le complotisme.
De manière plus générale, la CNCDH appelle l’exécutif à se saisir de l’état d’esprit positif qu’elle décèle dans la société pour aller plus loin que les quelques mesures proposées jusqu’à présent.