Argent. Ce que dit la Bible. Newsletter n°1
La Bible ne nous parle pas de finance internationale. L’échange de monnaie et l’activité bancaire sont peu fréquents en Galilée, sauf pour les sacrifices à faire au Temple de Jérusalem.
A savoir
Là, Jésus s’y montre sévère pour les changeurs qui transforment la maison de son Père en place de marché. Il connait le lien entre monnaie et Etat lors du débat sur la légitimité de payer des impôts à César (Mc 12,13), mais Jésus, venant d’un monde rural, n’avait pas de grandes connaissances concernant les échanges internationaux ou le commerce intercontinental, et ses auditoires encore moins : il préfère utiliser les images accessibles à son auditoire. Il serait donc impertinent de faire professer par la Bible des enseignements sur des réalités qui n’étaient pas très présentes.
S’il n’y a pas de paroles explicites de Dieu sur la finance internationale, il y en a sur le rapport à l’argent, mais celles-ci ne sont pas unilatérales. Jésus ne condamne pas l’argent, la monnaie qui sert aux échanges, à payer le travail des journaliers, mais il critique l’idolâtrie de la Monnaie (Mammon). On « ne peut pas servir deux maîtres (Mt 6,24, Lc 6,23) et il faut choisir entre Dieu et l’Argent idole ». Et pourtant il invite à se faire des amis, même avec le mauvais argent (Lc 16,1-13) : non pour encourager la recherche du mauvais argent, mais pour mettre l’accent sur les relations. Les malédictions contre les riches (Lc 6,24) concernent ceux qui se ferment sur eux et ne laissent pas de place aux autres dans leur vie.
Dans la parabole des talents (Mt 25,14-30, Mc 13, Lc 19,12-26), il semble que Jésus légitime le prêt bancaire, ce qui n’est pas le cas dans toute la tradition biblique. La pointe du récit ne va pas dans ce sens : Jésus invite à recevoir les dons de Dieu et à ne pas les thésauriser, à prendre des risques quant à la prédication de l’Evangile.
Le prêt à intérêt entre juifs est dénoncé dans toute la Bible (Ex 22, 24 ; Lévitique 25, 35-37 ; Néhémie 5, 7 -12 ; Psaumes 15:5 ; Proverbes 28, 8, Jérémie 15:10 ; Ezéchiel 18, 8,17 mais aussi Lc 6,34-35) mais est licite avec des étrangers (Dt 23, 19-20). La condamnation du prêt à intérêt est avancée comme défense du pauvre.
La célébration du Jubilé (Lev 25) inscrit dans la Torah la remise des dettes tous les 50 ans. Cette fête est celle d’une libération des liens financiers et le rétablissement d’un ordre fraternel plus fort que l’ordre économique.
Jésus, quant à lui, invite à ne pas mettre sa confiance dans l’enrichissement (Lc 12,1621 ; Jc 5,1-6), car ce n’est pas une valeur réelle ; elle n’est qu’éphémère. Les Psaumes et les Proverbes l’avaient déjà chanté (Ps 48, Pv 23,4-5). Par-là, Jésus reprend l’attitude des prophètes qui condamnaient l’accumulation de richesses, ces dernières étant trop souvent acquises dans l’injustice et procurant des satisfactions provisoires et illusoires. Amos est celui qui a les mots les plus vigoureux sur ce sujet (2,6-7 ; 3,10 ; 8,4-8).
Jésus valorise plutôt le don que l’accumulation et s’intéresse moins aux quantités données qu’à l’engagement de la personne dans le don. L’exemple de la veuve qui met ses deux piécettes dans le trésor du Temple est un modèle à suivre (Mc 12, 4144). Le don est un impératif pour celui qui veut suivre le Christ, lui qui donne sa vie : le jeune homme riche ne pourra pas suivre car il ne peut pas donner ses biens (Mc 10, 17-22). Donner et ne pas garder, donner sans attendre de retour, sans calcul de réciprocité (Lc 6,34) même si cela parait excessif ou impossible, tel est le chemin vers Dieu que propose Jésus.
L’approche de Justice et Paix
Si la Bible ne donne pas d’indications explicites sur la finance internationale, l’Eglise dans sa tradition a proposé des indicateurs importants à partir de sa relecture de la Parole de Dieu. Ces éléments fondent la « Doctrine sociale de l’Eglise »(1) sur la vie en société et les réalités économiques et sociales. De nombreux textes constituant cette doctrine sociale peuvent suggérer des pistes de réflexion et d’action.
Le jeu et le travail La relecture de la Bible par l‘Eglise va porter sur le jeu et le travail. Saint Paul a donné une importance considérable – excessive pour nos contemporains subissant le chômage – au travail pour gagner sa vie (2Th 3,10, Eph 4:28; 1 Thess 4:11; Tite 3, 1), et l’Eglise va valoriser le travail, seule source légitime de revenus. Tout ce qui procure des revenus sans travail est mal considéré ; ainsi le jeu n’est pas en odeur de sainteté depuis le concile d’Elvire vers 306 qui bannit tous les jeux d’argent. Cette position sera sans cesse reprise. Le jeu est vu comme une recherche égoïste et antagoniste ; le joueur qui gagne trouve du plaisir dans la perte que fait son partenaire. Le jeu d’argent prétend changer l’ordre et en cela il est révolte contre Dieu. Se reposer sur le hasard, ce n’est pas respecter Dieu qui a mis chacun à sa place. Ces thèmes sont encore très actuels dans les églises évangéliques américaines.
Dans la Somme (II, II ae 32, 7), Saint Thomas d’Aquin introduit une réflexion renouvelée: « Quant à l’argent gagné aux jeux de hasard, il peut, semble-t-il, y avoir là quelque chose d’illicite en vertu même du droit divin: ce serait le cas par exemple de ceux qui feraient des gains sur ceux qui ne peuvent aliéner leurs biens, comme les mineurs, les fous, etc.; ou si l’on a entraîné un autre au jeu par désir de gagner; ou si l’on a gagné en trichant. Dans tous ces cas on est tenu à restitution… Il semble en outre qu’il y ait dans de telles pratiques quelque chose d’illicite au regard du droit civil positif, qui interdit en général cette manière de s’enrichir. »
Dans le catéchisme de l’Eglise catholique au n° 2413 : « Les jeux de hasard (jeu de cartes, etc.) ou les paris ne sont pas en eux-mêmes contraires à la justice. Ils deviennent moralement inacceptables lorsqu’ils privent la personne de ce qui lui est nécessaire pour subvenir à ses besoins et à ceux d’autrui. La passion du jeu risque de devenir un asservissement grave. Parier injustement ou tricher dans les jeux constitue une matière grave, à moins que le dommage infligé soit si léger que celui qui le subit ne puisse raisonnablement le considérer comme significatif. »
Lorsque la finance s’apparente plus au jeu qu’à un travail pour le développement, lorsqu’elle participe à ce que JM. Keynes appelait l’économie de casino, et qu’elle sort ainsi de sa finalité qui est la mobilisation de fonds pour de nouvelles activités économiques, elle ne peut pas être légitime. Dans cette perspective, la finance doit être au service de la création de vraies valeurs, d’emplois, d’amélioration du niveau de vie de tous et pas seulement d’une élite.
Lorsque l’activité financière devient un jeu addictif qui, en outre, se déroule à partir de l’argent qui n’appartient pas au joueur, elle n’est pas légitime. Elle doit être condamnée, tout comme la fraude, le mensonge, la manipulation des cours et tout ce qui ne relève pas d’un travail honnête mais peut s’apparenter au vol (1 Co 6,10) ou à de l’injustice.
La relecture de l’Eglise porte aussi sur les pauvres et sur la solidarité avec eux qui caractérise le disciple (Mt 25,31-36). Il faut même travailler pour secourir les pauvres (Ep 4,28). L’argent doit être mis en commun afin que nul ne soit dans le besoin (Ac 4,35). Il ne peut pas être accumulé par quelques-uns alors que beaucoup manquent et vivent dans la pauvreté. La finance doit être prioritairement au service de la lutte contre la misère (Benoit XVI).
L’Eglise insiste, à la suite de Jésus, sur le partage (Lc 3,11 ; Lc 11,41) avec les plus pauvres et sur le don (la charité). Le pape François ne cesse de l’affirmer. L’Eglise rappelle aussi la nécessité de partager avec les pays les plus pauvres et souligne l’importance de «réformer les institutions économiques et financières internationales pour qu’elles promeuvent mieux des rapports équitables avec les pays moins avancés » (catéchisme n° 2440).
Le prêt à intérêt L’Eglise a été très longtemps opposée au prêt à intérêt (appelé usure) et de longs et passionnés débats ont eu lieu au cours de l’histoire. Grégoire de Nysse (335-395), par exemple, écrit que: « Si quelqu’un qualifie de vol ou d’homicide l’invention pernicieuse de prêter de l’argent à intérêt, il ne commettra pas de faute: car quelle différence y a-t-il entre posséder des biens dérobés après avoir percé un mur, et posséder des biens étrangers acquis sous la contrainte de l’usure ? » 2. St Thomas d’Aquin (1225-1274) a formulé de manière nette la doctrine qui va s’imposer pendant des siècles pour l’Eglise catholique dans sa Somme (II ae q 78, articles 1 et 2 ; chapitre justice).
St Thomas d’Aquin condamne les prêteurs à intérêt, car ceux-ci pratiquent l’injustice qui réside dans l’inégalité introduite par l’intérêt entre ce qui a été prêté et ce qui est à rembourser. Les prêteurs exercent un rapport de force injuste contre les emprunteurs. Pour Thomas, à la suite d’Aristote (l’argent ne fait pas de petits), l’argent n’est pas un facteur de production, mais un simple instrument pour faciliter les échanges. Le commerce spéculatif, lui aussi, est un péché qui est condamné (IIa,IIae,q 77). Mais St Thomas accepte une rémunération du travail induit par la mise en place du prêt ; il autorise un dédommagement pour la perte de revenus induite par le manque créé par le prêt et un revenu lorsque le prêt est une forme d’association avec un investisseur.
Saint Thomas reprend la réflexion dans le De malo 3 (question 13, article 4) mais cette fois-ci le prêt à intérêt sera classé avec l’avarice et Thomas montre que le prêt à intérêt est un péché mortel. Il écrit « L’usage propre de l’argent est d’être dépensé en échange d’autres produits: les monnaies ont été inventées en effet en vue de l’échange… Lors donc qu’on prête son argent avec cette promesse que l’argent soit restitué intégralement, et qu’on veut, en plus, avoir une somme déterminée pour l’usage de l’argent, il est manifeste que l’on vend séparément l’usage de l’argent et la substance même de l’argent; or l’usage de l’argent, comme on l’a dit, ne diffère pas de sa substance; aussi on vend ce qui n’existe pas, ou on vend deux fois la même chose, à savoir l’argent lui-même dont l’usage consiste à être dépensé, et ceci est manifestement opposé à la notion de justice naturelle. Aussi prêter de l’argent à intérêt est en soi péché mortel ».
Au niveau doctrinal, le prêt à intérêt reste banni par l’encyclique Vix pervenit (1745) mais, dans la pratique, l’Eglise se contente de dénoncer les taux d’intérêt exorbitants (nouveau sens du mot usure) et ne condamne plus l’activité financière lucrative ; elle en fait même un bon critère de gestion (canons 1284, 6 ; 1294, 2 ; 1305 ; du Code de 1983). Au n° 2269 du Catéchisme, l’Eglise rappelle néanmoins que « les trafiquants dont les pratiques usurières et mercantiles provoquent la faim et la mort de leurs frères en humanité commettent indirectement un homicide. Ceci leur sera imputé ».
Des pistes pour agir
La Bible donne quelques critères pour une attitude économique et financière ajustée à la Révélation et l’Eglise poursuit ce projet. La première proposition est de lire la Bible et de débattre entre croyants de ce que peut être pour aujourd’hui l’enseignement de l’Eglise. La Parole de Dieu suscite l’interprétation des croyants à partir de leur contexte. Le débat explicatif sera riche entre croyants d’un même milieu professionnel ou ayant des points de vue plus diversifiés : paroisse, mouvements etc. Il est intéressant d’inviter les responsables locaux des banques pour parler avec eux.
Le débat entre professionnels de la finance et d’autres acteurs sociaux ( croyants ou non) engagés dans des réflexions sur la responsabilité citoyenne, sur la justice sociale, la mondialisation financière, la crise, est important car les chrétiens ont à prendre place dans le débat sur l’avenir de la société (exhortation apostolique Christi fideles laici, 1988) . Dans ce débat, ils peuvent faire connaitre ce que leur foi les appelle à vivre et en particulier l’importance qui est donnée aux plus fragiles dans la prise de décision. Les périodes électorales sont des moments privilégiés pour interpeller les décideurs sur les politiques monétaires ou fiscales et sur la place qu’ils entendent donner aux plus pauvres.
Au-delà du débat légitime qui fait prendre conscience des liens entre la foi et ses impacts sur la vie quotidienne, y compris la finance, les chrétiens sont invités à agir. Les stratégies concernant les finances paroissiales ou l’épargne personnelle et familiale doivent être relues à l’aune de la parole de Dieu.
Pour aller plus loin
• Entre la lecture littéraliste de la Parole de Dieu et son ignorance, quel rapport entretenons-nous avec elle dans nos décisions mettant en jeu des réalités économiques et financières ?
• Dans nos budgets, quelle est la place laissée au don et à la solidarité avec les plus pauvres ?
• Comment articuler réalisme et efficacité avec le message évangélique et les paroles du Magistère ?
ANNEXE
NOTE DU SAINT-SIÈGE SUR FINANCE ET DÉVELOPPEMENT PRÉSENTÉE DANS LE CADRE DE LA CONFÉRENCE DE DOHA (18.11.2008)4
Un nouveau « pacte » financier international
3. a La crise financière actuelle est essentiellement une crise de confiance. On reconnaît désormais comme l’une des causes de la crise le recours excessif au« levier » financier de la part des opérateurs, et l’évaluation insuffisante des risques que cela comporte. Et surtout, chacun reconnaît la fracture qui s’est produite entre la nécessité que la finance joue sa fonction «réelle» de pont entre le présent et l’avenir, et l’horizon temporel de référence des opérateurs, qui s’attache avant tout au présent. En d’autres termes, la crise financière mondiale a rendu urgentes la réflexion et l’action sur le sixième point du « Draft Document », c’est-à-dire sur les questions systémiques.
Nous trouvons-nous face à la nécessité d’une simple révision ou bien d’une véritable refonte du système des institutions économiques et financières internationales? De nombreux sujets, publics et privés nationaux et internationaux, exigent une sorte de nouveau Bretton Woods (NDLR: au lendemain de la 2ème guerre mondiale, en 1944, ces accords mettaient en place une organisation monétaire mondiale). Au-delà de l’expression utilisée, la crise a indéniablement ramené au premier plan l’urgence de trouver de nouvelles formes de coordination internationale en matière monétaire, financière et commerciale.
Il apparaît aujourd’hui clairement que la souveraineté nationale est insuffisante; même les grands pays sont conscients qu’il n’est pas possible d’atteindre les objectifs nationaux en comptant uniquement sur les politiques intérieures: des accords, des règles et des institutions internationales sont absolument nécessaires. Il faut éviter que se mette en place une spirale de protectionnisme réciproque; il faut en revanche renforcer les pratiques de coopération en matière de transparence et de vigilance sur le système financier. Il est même possible de trouver des solutions de « souveraineté partagée », comme le démontre l’histoire de l’intégration européenne, à partir des problèmes concrets, dans une vision de paix et de prospérité, enracinée dans des valeurs partagées. Dans la redéfinition des politiques et des institutions internationales s’ouvre donc également une question morale de grande importance.
En particulier, il est important que la confrontation politique, certes nécessaire, entre les pays «les plus riches», ne conduise pas à des solutions fondées sur des accords exclusifs, mais relance un espace de coopération ouvert et tendanciellement inclusif. Un tel espace inclusif de coopération est particulièrement important en matière de finance pour le développement. Les flux financiers qui existent entre les pays développés et les pays à bas revenus présentent au moins deux éléments paradoxaux: le premier tient dans le fait que dans le système mondialisé, ce sont les pays «pauvres» qui financent les pays « riches », qui reçoivent des ressources provenant, tant des fuites de capital privé, que des décisions gouvernementales de créer des réserves publiques sous forme d’activités financières « sûres » placées sur les marchés financièrement évolués ou sur les marchés « offshore ».
Le second paradoxe est que les sommes d’argent que les émigrés envoient dans leur pays d’origine – c’est-à-dire de la composante la moins « libéralisée » des processus de mondialisation – représentent un afflux de ressources qui, au niveau macroéconomique, dépassent largement les flux d’aide publique au développement. Cela revient en quelque sorte à dire que les pauvres du « Sud » financent les riches du « Nord » et que ces mêmes pauvres du « Sud » doivent émigrer et travailler au « Nord » pour faire vivre leurs familles au « Sud ».
Les centres financiers « offshore »
3. b Pour réaliser ce nouveau pacte financier international, une première étape nécessaire consiste à examiner avec attention le rôle, caché mais crucial, du système financier « offshore » sous les deux dimensions de l’actuelle problématique financière mondialisée décrite ci-dessus: l’urgence de la crise mondiale et l’inaptitude de la finance pour aider le développement. Les marchés « offshore » ont été un relais important tant dans la transmission de la crise financière actuelle, que dans le soutien qu’ils ont apporté à un enchaînement de pratiques économiques et financières devenues absurdes: fuites de capitaux dans des proportions gigantesques, flux « légaux » motivés par des objectifs d’évasion fiscale et canalisés également à travers la sur/sous-facturation des flux commerciaux internationaux, recyclage des revenus provenant d’activités illégales.
Les estimations du montant de la richesse détenue dans les centres « offshore » sont difficiles à évaluer, mais assez impressionnantes si devaient être confirmées les informations circulant actuellement: on dit qu’un nombre assez important de groupes et d’individus détiendrait des intérêts financiers dans des centres « offshore » qui pourraient leur rapporter environ 860 milliards de dollars par an, ce qui représenterait un manque à gagner de recettes fiscales de 255 milliards de dollars: plus de trois fois le montant total de l’aide publique au développement versée par les pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). Etant donné que le financement public du développement ne peut venir que du prélèvement fiscal, cela devient pour le moins critique à notre époque de mondialisation.
En effet, les processus de mondialisation ont déplacé la composition de la taxation, d’une part des impôts directs vers les impôts indirects (avec la conséquence probable d’une « progressivité » plus faible des impôts, c’est-à-dire d’une capacité plus faible de peser en pourcentage davantage sur ceux qui disposent des revenus les plus élevés), mais d’autre part, cela a surtout entraîné un déplacement de la taxation sur le capital vers une taxation sur le travail. Le prélèvement fiscal diminue sur les activités des entreprises les plus grandes et les plus mobiles dans le domaine international ou qui peuvent facilement recourir aux centres « offshore ». On taxe en revanche davantage les facteurs productifs moins « mobiles » et qui peuvent difficilement échapper aux charges fiscales, à savoir les travailleurs et les petites entreprises.
Ces sujets sont très complexes d’un point de vue politique. Les affronter signifie toucher directement la sphère de la souveraineté fiscale nationale. Le « Draft Document » l’évoque et, au point 10, propose de renforcer la coopération internationale en matière fiscale, surtout en vue d’une révision drastique des pratiques financières « offshore ».
Réglementation du marché financier
3. c La crise actuelle s’est développée dans un contexte décisionnel où l’horizon temporel des opérateurs financiers était extrêmement bref et où la confiance – un ingrédient essentiel du « crédit » – était davantage placée dans les mécanismes du marché que dans les relations entre partenaires. Ce n’est pas un hasard si la crise de confiance s’est déclarée précisément dans le domaine qui était considéré comme le plus « sûr », celui des transactions interbancaires; mais sans cette confiance, tout se bloque, y compris la possibilité de fonctionnement normal des entreprises productives. Les crises financières et leurs conséquences ont, en effet, comme composante la prévision de la détérioration du climat financier.
Tout cela induit les opérateurs à se comporter d’une manière qui rend plus probable l’aggravation effective de la situation avec un effet cumulatif prévisible. Avec la crise a soudainement disparu la confiance de crédit placée dans le marché, entendu comme un mécanisme capable de s’autoréguler et d’engendrer le développement pour tous. La situation actuelle est une situation d’urgence, parce que l’on a repoussé le moment d’affronter certaines questions importantes: la traçabilité des mouvements financiers, le suivi adéquat des opérations sur les nouveaux instruments financiers, l’évaluation attentive du risque. Certaines autorités, en particulier dans les pays les plus avancés d’un point de vue financier, ont pris des décisions précises, mues par les avantages économiques qui dérivent du fait d’abriter une industrie financière forte, avantages qui durent le temps que dure la phase d’euphorie financière.
Les institutions financières internationales elles-mêmes ne sont pas dotées du mandat et des instruments nécessaires pour affronter avec efficacité ces questions. On a considéré en général que le « marché » suffisait à donner le juste prix au risque.
Les marchés financiers ne peuvent pas opérer sans confiance; et sans transparence, sans règles, il ne peut pas y avoir de confiance. Le bon fonctionnement du marché exige donc de donner un rôle important à l’Etat et, lorsque cela est approprié, à la communauté internationale pour fixer et faire respecter des règles de transparence et de prudence. Mais on doit se rappeler qu’aucune intervention de réglementation ne peut « garantir » son efficacité sans prendre en compte la conscience morale bien formée et la responsabilité quotidienne des opérateurs du marché, en particulier les entrepreneurs et les grands opérateurs financiers.
Les règles d’aujourd’hui, étant établies d’après l’expérience d’hier, ne préservent pas nécessairement des risques de demain. Ainsi, même s’il existe de bonnes structures et de bonnes règles, qui sont utiles, elles ne suffisent pas seules, l’homme ne peut jamais être changé ou racheté simplement de l’extérieur.
Il faut atteindre la valeur morale la plus profonde des personnes, il faut une réelle éducation à l’exercice de la responsabilité envers le bien de tous, de la part de tous les sujets, à tous les niveaux: les opérateurs financiers, les familles, les entreprises, les institutions financières, les autorités publiques, la société civile.
Cette éducation à la responsabilité peut trouver un fondement solide dans certains principes indiqués par la doctrine sociale, qui sont le patrimoine de tous et la base de toute la vie sociale: le bien commun universel, la destination universelle des biens, la priorité du travail sur le capital.
Au fond, la crise financière est le résultat d’une pratique quotidienne qui se fondait sur l’absolue « priorité du capital » par rapport au travail – y compris le travail aliénant des opérateurs financiers eux-mêmes (des heures extrêmement longues et stressantes de travail, un délai de temps extrêmement court pour les décisions). Il s’agit également du résultat d’une pratique déséquilibrée qui touche donc davantage ceux qui sont « trop grands pour s’effondrer » que ceux qui prennent le risque de créer de réelles occasions de développement.(…)
1 -Voir Newsletter n°2 « Enseignement social et finances »
2 -Cité par St Thomas dans le De Malo
3 -Écrit vers 1266. On trouve aussi des éléments de la réflexion de St Thomas sur le prêt à intérêt dan sIII Commentaire des Sentences, D. 37, a. 6 et III Quodlibet, Question 7, a. 2.
4 -Réunie en novembre 2008 au Qatar, cette conférence internationale sur le financement du développement avait pour but d’examiner l’état d’avancée des propositions et solutions émises en 2002 dans le Consensus de Monterrey, et ce dans le contexte de la crise financière et économique mondiale apparue en 2007. Plusieurs éléments dans le panorama du financement du développement ont fortement évolué entre 2002 et 2008. Il s’agit tout d’abord de changements en matière d’acteurs impliqués :
• les pays dits émergents occupent une place de plus en plus marquée dans la coopération bi- et multilatérale ; de même que les fonds souverains des pays exportateurs de matières premières.
• L’aide privée à travers des grandes fondations prend des proportions jusque-là inconnues.
• Des fonds internationaux se sont jour en particulier sur la santé et l’environnement.
Les pays présents à la Conférence de Doha ont admis que le programme exigeant du Consensus de Monterrey était encore loin d’être atteint, l’impact de la crise économique et financière, aussi bien au Nord qu’au Sud, étant durable. Néanmoins, la conférence de Doha a constitué un nouveau jalon dans le financement du développement, tout d’abord en réaffirmant de manière forte l’importance de la solidarité entre nations à travers des mécanismes de coopération innovante ; en réclamant par ailleurs des mesures de contrôle renforcé sur les institutions financières, permettant d’enrayer la crise de confiance généralisée et d’instaurer un système financier international à la fois plus juste et plus stable, pour « fournir à tous les pays la base d’un développement durable et équitable », Les pays réunis ont ainsi demandé aux Nations-Unies d’organiser une conférence sur « les crises financière et mondiale et leur impact sur le développement ». Cette conférence s’est tenue en juin 2009.