Comment lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ?
S’appuyant sur un rapport (voir ci-dessous) d’un de leurs membres, la plateforme Paradis fiscaux et judiciaires poursuit son travail collectif de plaidoyer sur les mesures à prendre pour réduire l’opacité financière, lutter efficacement contre l’évasion fiscale et financer durablement le développement.
Une enquête sur les stratégies d’évitement de l’impôt de la multinationale françafricaine des boissons.
Exigeons la transparence fiscale !
L’opacité du système financier est encore aujourd’hui un levier majeur pour les pratiques de fraude et d’évasion fiscales. Les filiales du groupe Castel payent-elles des impôts dans des pays africains où il réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires ? Les filiales du groupe Castel implantées dans les paradis fiscaux (au Luxembourg, aux îles Vierges britanniques, à l’Ile Maurice, etc.) servent-elles avant tout à siphonner les bénéfices et les impôts qui devraient être payés dans les pays africains ? Combien échappe aux administrations fiscales du continent ? Seule une mesure de transparence fiscale permettrait de répondre clairement à ces questions d’intérêt public.
Obligation des multinationales à publier des informations clés sur les impôts qu’elles payent et leurs activités dans tous les pays où elles opèrent, par un « reporting pays par pays public »
Ce reporting pays par pays public devra inclure a minima les informations suivantes, pour tous les pays où elles opèrent : listes des filiales, bénéfices, chiffre d’affaires, impôts payés, nombre d’employé·e·s, subventions, actifs, ventes et achats. Une directive européenne est en cours de négociation, mais elle pourrait limiter la publication des informations aux activités réalisées dans les pays de l’Union européenne et des pays listés comme paradis fiscaux, liste par ailleurs très lacunaire. Cela rendrait la mesure inutile, puisqu’il est nécessaire de visualiser l’ensemble des activités pour déceler les montages d’évasion fiscale. De plus, les pays du Sud, dont les pays africains donc, seraient tout simplement privés de l’accès à ces informations ! Les institutions européennes doivent s’accorder sur une mesure réellement efficace, avec la publication d’activités dans tous les pays, et la France doit s’engager pour l’adoption d’une mesure réellement ambitieuse. À qui appartient réellement IBB, le fonds d’investissement de Singapour qui possède la maison-mère du groupe Castel ? C’est impossible de le dire aujourd’hui, faute de transparence suffisante sur les propriétaires réels des entreprises et des trusts, ces structures qui organisent l’opacité en différenciant les administrateurs et «prête-noms» des bénéficiaires et propriétaires réels.
Création des registres publics des bénéficiaires effectifs des sociétés et des trusts, sous format ouvert.
À la suite de l’adoption des 4e et 5e directives anti-blanchiment en 2015 et 2018, les États de l’Union européenne ont l’obligation de créer des registres publics des propriétaires réels des sociétés. Près d’un an après la date limite de transposition de la 5e directive anti-blanchiment, la France a finalement ouvert au public son registre sur les bénéficiaires effectifs des sociétés au printemps 2021. Si l’on peut se féliciter de l’accès gratuit aux informations contenues dans ce registre, les modalités de consultation « à la pièce » limitent néanmoins la capacité des journalistes et organisations de la société civile à analyser ces informations et à les croiser avec d’autres sources. Les trusts échappent pour l’instant à cette obligation de transparence, alors qu’ils sont un véhicule important de la fraude et de l’évasion fiscales.
Pour une réforme des règles d’imposition des entreprises !
Comment mettre un terme aux montages fiscaux des entreprises, à la structuration avec des filiales dans les paradis fiscaux dans le seul but d’échapper à l’impôt ? Comment faire pour que les entreprises multinationales paient leurs impôts là où elles ont vraiment une activité ? Le système fiscal international repose sur des règles complexes et inadaptées à l’activité des entreprises multinationales et à la réalité des échanges économiques du 21e siècle. Il permet aux entreprises de créer des filiales dans les paradis fiscaux dans le seul but d’échapper à l’impôt, prend peu en compte les activités numériques et repose une répartition des droits injustes entre pays des maisons-mères des multinationales (souvent des pays riches) et pays d’activités (y compris des pays du Sud).
Réforme des règles d’imposition des entreprises multinationales, sur la base d’une taxation unitaire des multinationales selon une formule de répartition reflétant leurs activités réelles, juste et équilibrée envers les pays en développement, accompagnée d’un taux minimum d’imposition effectif sans exception, applicable pays par pays. Création d’un organisme fiscal intergouvernemental à l’ONU et la mise en place d’une convention sur les questions fiscales.
Promue depuis longtemps par économistes et ONG comme l’alternative logique au système actuel, la « taxation unitaire » permettrait de taxer les entreprises en fonction de leurs activités économiques réelles dans chaque pays, comme le montant des ventes, le nombre de salarié·e·s, les actifs, etc. ; au lieu de laisser les entreprises délocaliser artificiellement leurs bénéfices dans leurs filiales dans les paradis fiscaux. La mise en place d’un impôt minimum sur les bénéfices des entreprises s’est imposée plus récemment dans les débats, comme un moyen de prévenir les montages via les paradis fiscaux et de freiner la course au moins disant fiscal en imposant un taux plancher d’impôt à payer, en comprenant l’ensemble des exonérations, crédits d’impôts, etc.
Si les limites du système fiscal international sont de plus en plus évidentes, son évolution est encore lente et parcellaire. Le G20 a adopté un premier plan de réformes en 2015, « BEPS » (Erosion de la Base d’imposition et Transferts de Bénéfices), négocié par les pays de l’OCDE. Il propose des modifications à la marge, sans s’attaquer aux fondements du système actuel, et ignore les problématiques propres aux pays en développement, qui n’ont pu participer aux négociations. En parallèle de ces négociations, de nombreux pays en développement intensifient leurs efforts pour la création d’un organisme fiscal international à l’ONU, où tous les pays pourraient négocier sur un pied d’égalité, et les négociations du sommet sur le Financement du Développement de 2015 s’étaient cristallisées sur cette question, mais les pays riches font barrage.
Devant les limites de ce plan, l’OCDE a entamé de nouvelles négociations en 2019 sur deux piliers :
ҩ le premier pourrait créer de nouveaux droits d’imposition pour certaines activités numériques, pour les pays de marché : il fait encore l’objet de négociations sur son périmètre, notamment entre grands pays, mais devrait dans tous les cas concerner une part très réduite des bénéfices, avantager les pays riches, et complexifier le système fiscal. Nous sommes loin d’une véritable taxation unitaire.
ҩ le second pourrait créer un taux minimum d’imposition effectif. Les États-Unis ont récemment proposé de le fixer à 21 %, bien plus haut que les 12,5 % proposés jusqu’ici. Pour autant, si ce sont les pays des maisons-mères des multinationales qui peuvent appliquer ce taux plutôt que les pays d’activités, le bénéfice que pourront en tirer les pays en développement est incertain, alors même qu’ils sont davantage victimes de l’évasion fiscale. Fin février 2021, les conclusions du haut panel de l’ONU sur les flux financiers illicites (« FACTI panel ») pointaient les limites du système fiscal international mais aussi des négociations au sein de l’OCDE. Cette instance recommande elle aussi la création d’un organisme fiscal international à l’ONU pour que tous les États puissent négocier sur un pied d’égalité, et la mise en place d’une convention sur les questions fiscales, comme il en existe par exemple une sur les questions climatiques.