Éthique sociale en Église n°36 septembre 2021
1 – Une rentrée soucieuse et agitée
* Une rentrée sous le signe de l’espoir et de la vigilance. Notre monde n’en a pas fini avec la pandémie. D’abord dans notre pays, les risques ne sont pas nuls et chacun doit continuer de faire attention ; des régions outre-mer se trouvent en grande difficulté et la solidarité demeure nécessaire. À l’échelle du monde, les pays pauvres ont difficilement accès aux vaccins, le virus peut donc continuer de se propager et de muter ; il est illusoire de penser qu’il s’arrêtera à nos frontières. La solidarité est signe de prudence.
* Une agitation en vue des élections du printemps prochain. Mais les tactiques d’éventuels candidats et les heurts d’opinions ne doivent pas faire oublier un enjeu majeur : un désamour à l’égard du politique et une indifférence envers la démocratie qui se traduit notamment par l’abstention aux élections.
* Il est utile de réfléchir à partir de situations dramatiques : lorsque le politique est faible, lorsque l’État est quasi failli, l’espace s’ouvre pour des groupes prêts à imposer leur loi d’airain, avec souvent l’utilisation perverse de motifs religieux (Afghanistan, pays du Sahel…). Quand l’organisation de la vie commune se trouve délabrée, il n’y a quasi rien pour faire face aux conséquences d’une catastrophe naturelle (Haïti).
* Alors que la démocratie nous paraît fatiguée, rappelons-nous que les puissances financières vont profiter d’une moindre résistance pour accentuer leur mainmise sur notre monde, ou que des empires autoritaires peu soucieux des droits humains (Chine) vont exploiter nos faiblesses pour étendre leur domination.
* Plutôt qu’en rajouter dans le dénigrement du politique, avec un air blasé, il vaut mieux prendre sa part dans la vitalité d’une société solidaire et fraternelle. Les débats d’idées sont importants, à condition qu’ils correspondent à des attitudes cohérentes. On refait le monde à coups de slogans, hier au comptoir du bistrot et aujourd’hui sur les réseaux sociaux : ce peut être dévastateur ; il vaut mieux s’engager réellement à contribuer au bien commun. Un exemple : les débats concernant la liberté risquent de déraper vers un individualisme destructeur s’ils oublient que la vraie liberté s’engage en des responsabilités concrètes. Ou encore, plutôt que rêver d’une démocratie parfaite, il vaut mieux contribuer à la vie commune, y compris par des engagements politiques.
* Toujours à propos des débats, oui il faut dénoncer les violences et désigner le mal qui est à l’œuvre en notre monde. Mais la recherche de boucs émissaires rajoute du mal au mal, la désignation de catégories de population comme malfaisantes défait la société. Il vaut mieux devenir lucide sur sa propre contribution à ce qui désagrège le goût de vivre ensemble. Osons donc parler d’amour à propos de la vie commune et, pour cela, voyons comment canaliser notre propre pulsion de mort pour servir simplement la vie, dans les gestes quotidiens. Un bon chemin : l’hospitalité.
Gaël Giraud et Felwine Sarr, L’économie à venir, Les liens qui libèrent, 2021, p. 38 :
GG « C’est l’hospitalité éthique dont chacun sera capable de faire preuve à l’égard des autres qui prouvera qu’il est le véritable héritier de cette utopie démocratique et égalitariste. » FS « Je suis d’accord avec ce point parce qu’il n’est plus temps de proclamer des valeurs, mais de les incarner. »
2 – Un livre : Nathalie SARTHOU-LAJUS, Vertige de la dépendance, Bayard, 2021.
Une invitation à interroger un individualisme qui a du mal à considérer l’importance de liens affectifs et sociaux durables et consistants. Il s’ensuit des souffrances personnelles liées à l’angoisse du vide. Mais il y a aussi un impact social : si nous oublions notre responsabilité envers autrui, à commencer par les proches, et envers la société, l’individualisme produit du désengagement et de la déliaison, du mal de vivre.
Il est bon de questionner le mythe d’une indépendance absolue, alors que notre condition humaine est tissée de fragilités. Nul ne peut prétendre à l’autosuffisance. Par contre, le désir d’une vie bonne nous conduit à valoriser les liens de solidarité, tant dans les relations de proximité que dans la vie sociale. « Nous avons besoin des autres pour nous soutenir dans l’élaboration de nos ressources personnelles et éviter de devenir victimes de situations de dépendance invalidantes. » (p. 202)
Au point de rencontre des désirs individuels et de la politique, on peut interroger la course compulsive à l’argent et au succès, la surconsommation des biens marchands, l’épuisement des ressources naturelles, la défiance envers la démocratie… « Le paradoxe des sociétés libérales est d’avoir libéré les désirs individuels pour les livrer ensuite à l’exploitation du marché et des campagnes publicitaires. » (p. 182)
L’humain peut s’ouvrir à la création, à la confiance, à l’amour.
3 – Encore des guerres. Les foyers de tensions dans le monde sont en augmentation.
Cependant, le nombre de morts violentes (personnes tuées dans les conflits armés ou dans les attentats) reste relativement limité : environ 100 000 victimes par an. À titre de comparaison, dans le monde, le nombre de morts par homicides est cinq fois supérieur. Deux remarques. Les efforts pour travailler chaque jour à pacifier les relations, tant internationales que civiles, doivent être accentués. Surtout, il ne faut pas oublier les victimes collatérales ; chaque année, 100 000 bébés meurent en raison des guerres : manque de nourriture, d’hygiène, de soins… Le seul comptage des victimes directes peut être trompeur.
4 – Universalité des droits humains. Thème d’un colloque à Strasbourg (5-8 septembre 2021). Un écho de l’intervention de Bruno-Marie DUFFÉ, secrétaire honoraire du dicastère pour la promotion du développement humain intégral à Rome : « L’histoire des droits humains a partie liée avec la volonté de dépasser les situations d’injustice et d’abus : abus de pouvoir et abus de confiance… avec la conviction que la personne humaine – quelle que soit sa condition, son sexe, son âge, son appartenance communautaire, son histoire et ses croyances – porte en elle une dignité irréductible.
5 – Un atelier : Servir la vie. L’épreuve sanitaire et les élections à venir invitent à une interrogation sur le sens de notre vie commune. En raison des peurs et des contraintes liées à la pandémie nous avons pris conscience de nos fragilités physiques et mentales, personnelles et collectives. Dans la perspective des prochaines élections nous nous interrogeons sur notre responsabilité à l’égard de l’avenir de la vie sur terre, mais aussi du respect de la dignité humaine notamment en ce qui concerne les plus fragiles.
À la lumière de l’enseignement social de l’Église, nous réfléchirons aux bonnes manières de prendre soin de soi-même, d’autrui, de la vie commune, de la terre que nous habitons.
® Animé par André Talbot. Jeudis 23 septembre, 7 et 21 octobre, mardi 9 novembre, jeudis 25 novembre et 9 décembre de 16h à 17h30, Maison Saint-Hilaire (maison diocésaine), 26 bd Anatole France à Poitiers.
Père André Talbot
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