Éthique sociale en Église n° 46 juillet 2022
1 – Face aux défis de notre temps
Nous nous complaisions dans une certaine insouciance. Il y avait des conflits, mais suffisamment loin de chez nous pour que nous ne pensions pas nous trouver directement impliqués. Et voici que la guerre est à nos portes. Elle produit des dégâts considérables pour les populations concernées et des contraintes, y compris chez nous.
En ce qui concerne la politique intérieure, nous estimions que les partitions étaient largement écrites par avance. Mais voici que nous nous retrouvons dans une configuration inédite. Saurons-nous en faire une opportunité de renouvellement politique ?
L’écologie apparaît plus fréquemment à l’agenda des actualités, sans pour cela être vraiment au cœur des décisions habituelles ; comme s’il s’agissait d’une fatalité quelque peu désagréable dont il faudrait tenter de repousser les échéances. Saurons-nous inventer un rapport mieux ajusté à la nature, en renouvelant nos images du bonheur ?
Nous manquons sans doute de lucidité et surtout de courage. La pause estivale peut être une période favorable pour prendre du recul, pour faire le point sur les dérives qui nous affectent et recentrer nos responsabilités tant personnelles que collectives. Nous sommes capables de faire face aux défis du temps, avec sérieux et sous le signe de l’espérance, pour mieux servir la vie qui vient.
2 – Repérer les points aveugles de nos schémas mentaux
* Avec nos calculs à courte vue, nous jouons souvent au plus malin, sans anticiper les effets dévastateurs de décisions dont les conséquences courent sur le long terme.
L’actuelle situation politique dans notre pays pourrait raviver le débat démocratique, de manière à promouvoir une vision positive de l’avenir, ce qui suppose des réorientations tant de nos critères d’évaluation que de nos pratiques. Mais les différents acteurs semblent d’abord en alerte pour faire un coup, déstabiliser un adversaire, marquer un point à l’égard d’un allié… Ce qui peut donner de quoi manger sur une scène médiatique insatiable, mais ce qui ne permet guère de s’accorder sur les grandes orientations à prendre. Un jeu d’apparences, avec des réputations qui se font et se défont ; des reflets de pouvoir font briller certains individus, pour un temps, sans qu’il y ait un vrai travail au service d’un bien commun qui déborde les stratégies égocentrées.
* Il vaudrait mieux commencer par déceler nos naïvetés collectives. Nous entravons nos libertés avec nos dépendances énergétiques à l’égard de la Russie et des monarchies pétrolières. Nous imaginons améliorer notre niveau de vie en nous liant les mains vis-à-vis de la Chine, tout en perdant notre savoir faire et la maîtrise de productions essentielles. Et ces pays n’ont souvent que mépris pour les droits humains.
* La recherche effrénée de gains immédiats, sous la dictée d’opérateurs qui pensent d’abord à leur pouvoir et à leurs profits, engendre des effets ravageurs tant pour l’avenir de notre planète que pour la situation des plus fragiles, chez nous et à l’échelle du monde. L’esprit de responsabilité ne semble pas la qualité la mieux partagée…
3 – Apprendre à considérer ce qu’on laisse derrière
Retenons un point révélateur de nos modes de vie et de nos valeurs de référence : que deviennent les déchets qui apparaissent de plus en plus encombrants et que nous voudrions pourtant oublier ?
* Dans le cadre de Justice et Paix France, un travail est en cours sur ce thème et un livret vient d’être publié : « De l’éthos du déchet à la culture du soin » (mai 2022). Ce dossier peut être consulté sur le site internet de Justice et Paix, des exemplaires papier sont également disponibles. Deux remarques à propos de cette première publication. Les réflexions ont été conduites en lien avec des acteurs, notamment des professionnels, sous la forme d’un mini colloque qui s’est tenu à Poitiers et d‘entretiens individuels : les approches théoriques se trouvent donc articulées avec des pratiques. Un autre point d’attention : suite aux réflexions du pape François, nous nous interrogeons sur la manière dont notre société traite certains de ses membres comme s’il s’agissait de « déchets » ; l’exclusion sociale s’accompagne d’un refus de voir l’autre en souffrance.
* Une telle entrée, par la prise en considération de ce qu’habituellement on préfère oublier (objets, mais aussi personnes), a permis de mettre en lumière des actions innovantes qui reconnaissent la valeur des objets mis au rebut et surtout la dignité des êtres humains qu’on laisse sur le côté de notre route commune. Loin de rajouter du désespoir au malheur, une telle approche invite à mobiliser l’intelligence humaine au service d’une « culture du soin » qui vise le bien des personnes, notamment les plus faibles, mais aussi l’avenir de la vie sur notre terre.
4 – Pour un déploiement des bienfaits et des capacités
* Nos naïvetés se révèlent lourdes de menaces quand l’humain se comporte comme un prédateur qui domine le monde pour l’exploiter, puis qui jette en arrière pour oublier. Les conséquences sont bien connues : épuisement des ressources, pollutions en tous genres… Il s’agit d’une paresse, d’un manque d’intelligence et d’esprit de responsabilité. Quand la même attitude de domination est adoptée à l’égard des membres de notre famille humaine les plus fragiles, il s’agit d’un mépris de la dignité humaine qui constitue une violence et qui engendre d’autres violences. La qualité de notre vie commune se trouve alors minée de l’intérieur.
* Il vaut mieux promouvoir une culture de la considération. La considération de nos frères et sœurs en humanité, afin qu’ils puissent trouver une vraie place au sein de notre communauté et contribuer par leurs compétences propres au mieux vivre de l’ensemble de la société. Il est bon aussi de considérer à sa juste valeur l’ensemble de la création, notamment les différentes formes du vivant ; pour cela, le recours au seul critère monétaire peut se révéler dangereux : la valeur ne réside pas d’abord dans l’usage, souvent destructeur, que l’on peut faire du vivant, mais dans la beauté propre d’une fleur, d’une abeille, etc.
5 – Vers une éthique de l’alliance
Oui, il y a bien des rapports de force à l’œuvre en notre monde. Mais une vision qui réduit le monde à une arène où se joue la guerre de tous contre tous conduit tout droit à l’autodestruction. Osons reconnaître et cultiver le désir d’alliance qui nous anime, pour des rencontres fraternelles entre humains de tous horizons, pour une solidarité responsable à l’égard de l’ensemble de la création. Osons questionner et convertir nos images du bonheur, trop souvent confondues avec la consommation, elles peuvent se révéler trompeuses et ravageuses ; en renouvelant nos figures du bonheur, nous pouvons donner de belles couleurs à l’avenir qui s’ouvre.
André Talbot
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