Du bon usage des Droits Humains dans la République (suite)

NOTE à la suite du Colloque du 6 décembre 2022 organisé par Justice et Paix.

La dynamique des droits humains est une vieille histoire. Le 10 décembre nous rappelle qu’après le désastre de la seconde guerre mondiale, un horizon commun et des modalités de contrôle et d’action s’imposaient, pour éviter que cela ne se renouvelle. La dignité était proclamée comme le point d’ajustement des pratiques étatiques et personnelles.

La question du contrôle desdites pratiques s’est posée très tôt. Comment organiser un « droit de regard extérieur, sans se heurter au principe de la souveraineté des états. L’ACAT et d’autres associations y ont travaillé dès 1980. L’institution du Contrôleur des lieux de liberté est le fruit de cette démarche. Elle mérite d’être connue et soutenue.

Justice et Paix s’est donc saisi de l’opportunité d’une rencontre avec Mme Dominique SIMONNOT, Contrôleure Générale des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) pour susciter, à l’occasion d’un Colloque organisé le 6 décembre 2022 au siège de la Conférence des Evêques de France un échange sur les chantiers actuels et urgents repérés comme tels par la CGLPL dans le cadre de sa fonction.

Les missions confiées à la CGLPL s’y prêtent en effet : le législateur français a institué, par la loi n°2007- 1545 du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) bénéficiant du statut d’autorité administrative indépendante et qui peut visiter et contrôler à tout moment, sur l’ensemble du territoire français, les conditions de rétention ou de détention des personnes privées de liberté. Ainsi que le précise l’exposé des motifs de la loi, la création du CGLPL montre la volonté de la France de s’engager pleinement dans un contrôle indépendant et effectif de l’ensemble des lieux de détention, quelle que soit la structure concernée : établissements pénitentiaires, centres hospitaliers spécialisés, dépôts des palais de justice, centres de rétention administrative, par exemple. Il permet à la France de répondre aux standards européens en la matière et de respecter les stipulations du Protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002 et signé par la France le 16 septembre 2005. Ce contrôle porte sur le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, comme sur le contrôle des conditions de leur prise en charge. Le CGLPL est totalement indépendant afin d’assurer la pleine légitimité de son action.

Cette dynamique puise ses racines en droit interne dans le constat opéré dès l’année 2000 par Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, dans le rapport de la commission alors présidée par ce dernier : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. Le contrôle extérieur des prisons s’impose donc, pour s’assurer que sont respectés les droits des détenus et donnés à l’Administration pénitentiaire les moyens d’une telle politique ».

L’enjeu de la création du CGLPL est ainsi clairement exprimé dans les travaux parlementaires préparatoires à la loi : faire entrer un regard extérieur dans un lieu clos afin, d’une part, de prévenir d’éventuels abus qu’un milieu fermé peut favoriser (les lieux de privation de liberté étant par nature des lieux de violence), et, d’autre part, de lever la suspicion sur les conditions de traitement des personnes enfermées (rapport n°162 de M. Philippe Goujon au nom de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale – 18 septembre 2007-).

Forte de cette légitimité et de cette ambition, Mme SIMONNOT, par ailleurs ancienne journaliste et à ce titre depuis longtemps habituée des prétoires (voir notamment «Coup de barre. Justice et injustices en France» Le Seuil 2019) a exprimé d’emblée lors du Colloque combien les mineurs pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) était malheureusement exposés au quasi-déterminisme de la filière «Mineurs suivis par l’ASE – Jeunes majeurs passant en Audiences de comparutions immédiates correctionnelles». Si le sort de nos Anciens accueillis en EHPAD focalise assurément aujourd’hui, et à juste titre, toute l’attention, notamment à la suite des scandales récemment révélés quant aux conditions de leur prise en charge, les conditions dégradées du suivi des jeunes en situation de danger doit interroger en urgence tant la société civile que les acteurs politiques quant au devenir de ces mineurs davantage « cassés » que « réparés » par les dispositifs institutionnels existants.

A cet égard, un plus grand engagement du ministère de l’Education nationale dans l’enseignement actuellement dispensé de façon sous-dimensionnée aux mineurs en milieu fermé (lesquels bénéficient d’un nombre d’heures de cours inférieur à celui des autres élèves) se révèle être un impératif catégorique pour l’Etat, et, pour la CGLPL, un point de vigilance majeur.

En écho à cette vigoureuse et bienfaisante interpellation, Jean-Louis DAUMAS, ancien Directeur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) a souligné combien, si le principe de l’enfermement des mineurs (en Centres Educatifs Fermés -CEF -, en Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs -EPM- ou en établissements pénitentiaires traditionnels) ne posait en lui-même pas véritablement difficulté (la contention représentant dans certaines situations la condition indispensable de l’acceptation des limites et des règles sociales par les jeunes délinquants et garantissant leur absence de plongée dans «la folie»), le respect de plusieurs points cardinaux de l’action éducative revêtait en revanche un caractère impérieux, au nombre desquels, tout spécialement, l’accès à l’enseignement, à la culture et à l’émotion artistique.

Un engagement résolu en faveur de l’accès des jeunes en situation de rétention ou de détention à l’éducation et à la culture détermine en conséquence la capacité de la République et de la société civile à restaurer ces jeunes dans leur dignité et à les inscrire avec efficience dans une véritable attitude citoyenne.