Guerre
Il n’est pas un Israélien qui n’ait en mémoire les appels au secours adressés, le 7 octobre, à la police ou à l’armée par des dizaines de familles enfermées dans une pièce fortifiée d’un kibboutz. « Venez vite ! Des terroristes sont devant ma maison ! »
L’armée est arrivée trop tard et en nombre insuffisant pour empêcher 3 000 islamistes d’infiltrer une vingtaine de localités proches de Gaza. Ils y ont massacré 817 civils, hommes, femmes et enfants, 474 soldats, policiers et secouristes, capturé 240 otages, et infligé à la société israélienne un immense traumatisme. L’État, créé pour être le refuge des Juifs victimes de l’antisémitisme, n’a pas été capable de protéger ses citoyens contre un envahisseur. Pour la première fois depuis 1973, la mobilisation générale est décrétée.
La riposte débute trois jours plus tard, avec des séries de frappes de l’armée de l’air sur des cibles du Hamas dans Gaza où elles font les premières victimes. Ce territoire a une des densités de population parmi les plus élevées au monde. Dans la foulée, Yoav Gallant, le ministre de la Défense annonce un blocus total privant Gaza d’électricité, d’eau, de nourriture, de carburant et d’aide humanitaire. Il ne doit être levé que si le Hamas libère ses otages. Le 27 octobre, débute l’invasion terrestre du nord de la bande de Gaza. La mission des forces engagées : l’éradication du Hamas, la libération des otages et le retour de la sécurité pour les habitants du sud d’Israël. Mais aucun objectif stratégique et politique n’est défini pour l’après-guerre. L’État-major se concentre sur la tactique militaire, et ne met en place aucun volet humanitaire et civil qui accompagnerait les centaines de milliers de gazaouis évacués vers le sud du territoire. C’est une faute. Matti Steinberg, ancien analyste principal du Shin Beth, considère que laisser la bride sur le cou à l’armée face à la population civile représente un danger pour Israël. « En l’absence de stratégie, la vengeance, dit-il, ne peut être une politique ».
Très vite, les images de nombreuses victimes civiles et des destructions massives à Gaza suscitent une vague de condamnations à l’étranger et le soutien à Israël s’effrite au fil des semaines. En commettant les massacres du 7 octobre, le Hamas a poussé Israël à surréagir et, de fait, ainsi à le délégitimer aux yeux d’une partie de l’opinion internationale. Les dirigeants israéliens, politiques et militaires, font-ils preuve « d’insensibilité morale » face à la tragédie des victimes civiles ? Le terme a été utilisé par la commission d’enquête judiciaire israélienne sur les massacres des camps de Sabra et de Chatila à Beyrouth, en 1982 pour condamner l’attitude des militaires israéliens qui avaient laissé les phalangistes massacrer les réfugiés palestiniens.
Il faut dire que le public israélien ne voit que très rarement les images de la souffrance palestinienne à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Les rédactions des journaux télévisés s’auto-censurent et les diffusent le moins possible. L’atmosphère est au patriotisme. À droite, le ton est donné par le gouvernement, le plus annexionniste de l’histoire d’Israël. On y retrouve notamment Bezalel Smotrich, ministre des Finances et délégué à la colonisation au ministère de la Défense, et aussi le kahaniste, Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, et donc en charge de la police. Tous deux sont messianiques et profondément anti-arabes. Ils rêvent de reconstruire dans Gaza les colonies évacuées en 2005. Le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, affirme qu’il n’en est pas question, mais refuse toujours de placer ce territoire sous le contrôle d’une Autorité palestinienne, même réformée comme le propose l’administration Biden. Dire oui au Président américain permettrait de faire avancer l’idée d’une solution à deux États, ce dont Netanyahou ne veut pas, quel que soit le prix de son refus.
Après cinq mois de guerre, aucune solution ne pointe à l’horizon. L’impasse est politique, diplomatique et militaire alors que le bilan humain ne cesse de monter. À Gaza, il est d’au moins 30 000 morts et des dizaines de milliers de blessés. Pour l’immense majorité des civils. Des quartiers entiers sont détruits. Sous la pression internationale, face à la crise humanitaire majeure, la direction israélienne a fini par admettre la nécessité absolue de laisser entrer dans l’enclave le plus possible d’aide alimentaire et médicale.
Malgré des pertes quasi quotidiennes, l’armée poursuit le combat. Elle n’a toujours pas réussi à retrouver les 134 otages encore détenus par le Hamas. Seule la moitié d’entre eux serait encore en vie…
*Derniers ouvrages parus :
Israël. L’agonie d’une démocratie (Libelle. Seuil)
Au nom du Temple. Israël et l’arrivée au pouvoir des messianiques juifs (Points. Seuil)