Comparer les guerres d’Ukraine et de Palestine ?

6 mars 2024,

Bien qu’au premier regard peu de choses rapprochent les guerres en Ukraine et en Palestine, si ce n’est leur simultanéité, un peu de recul fait apparaître d’étranges similitudes.

D’abord, deux des dix premières puissances militaires et nucléaires mondiales, la Russie et Israël, combattent des pays (on ne peut employer le mot État pour la Palestine) qui soit s’en sont défaites (Ukraine), soit n’en dispose évidemment pas.

Les enjeux (on ne peut parler de « but de guerre », ni déclaré, ni avouable) sont des territoires, dont il s’agit de chasser la population au pire, au mieux de la contrôler. À ce stade (mars 2024), ces deux puissances ont obtenu des gains territoriaux conséquents. La Russie occupe avec la Crimée et le Donbass environ 20 % du territoire ukrainien et dans les hypothèses de négociations sur un « compromis pour la paix », il est peu probable qu’elle se retire sur les frontières d’avant l’annexion de la Crimée. Israël, derrière de légitimes opérations de représailles suite au crime de guerre du 7 octobre, a détruit plus de la moitié des habitations de la bande de Gaza, le nord étant devenu un no mans land protecteur vidé d’une population poussée vers le sud où on ne voit plus comment un million et demi de personnes reviendraient.

L’agression est présentée comme une réaction de défense. Ces deux puissances nucléaires et conventionnellement surarmées ont avancé des justifications invraisemblables à leurs actions. La Russie affirme agir préventivement pour se prémunir d’une attaque par les nazis ukrainiens et les forces de l’OTAN, et réactualise « la Grande Guerre patriotique » (1942-1945), voire la menace séculaire de l’Ouest décadent. Israël, État nucléaire, dixième puissance militaire, inconditionnellement soutenu par les États-Unis, en poursuivant ses opérations militaires parce que prenant au pied de la lettre les proclamations aussi incendiaires qu’irréalistes de voir sa population rejetée à la mer. Ces références ne servent qu’à éviter la définition actuelle de « buts de guerre » crédibles. À ces brouillages de la propagande à court terme, la Russie ajoute que l’Ukraine a toujours fait partie de l’empire aujourd’hui requalifié en « monde russe » afin d’y inclure les territoires frontaliers russophones, voire les populations extérieures d’origine russe. En Israël, pour certains théocrates, parvenus démocratiquement au pouvoir, l’affirmation qu’une zone allant de l’Euphrate au Nil, ou pour les modérés du Jourdain à la mer, lui revient comme don de Dieu, s’appuie sur des interprétations messianiques, largement soutenues aux États-Unis par d’influents évangéliques. L’utilisation contemporaine de l’histoire ou de ses fictions ouvre la comparaison avec un autre lieu de confrontation potentiel :la revendication de Taïwan par la Chine. Le statut de victime est toujours très recherché, surtout par les plus forts, qui ont évidemment plus de peine à en faire la preuve.

Les formes nouvelles de la guerre
Quand on observe ces deux affrontements en cours, certes très différents dans leurs acteurs, apparaît l’importance des transformations de la guerre elle-même, malgré les représentations traditionnelles qui perdurent. Ni la « terre brûlée », ni les guerres d’anéantissement de l’adversaire, ne sont des innovations. Mais les capacités techniques employées changent quantitativement et qualitativement les opérations. Elles utilisent des moyens de destruction considérables, depuis des bombardements massifs jusqu’à des frappes relativement ciblées. Il y a moins des « champs de bataille » que des affrontements et destructions urbaines élargies. D’où plusieurs conséquences : elles atteignent majoritairement les civils, qui en Ukraine comme en Palestine sont quantitativement beaucoup plus touchés que les militaires, surtout si on intègre les « réfugiés ». Le « nettoyage » des populations par déplacements ou extermination est (re)devenu pratique courante. Quant aux forces militaires, les capacités techniques (missiles, drones) reposent la question de l’infanterie : faut-il des forces spéciales ou recourir à des forces massives et à terme à la conscription ? Par ailleurs, l’importance des munitions nécessaires dans tous les cas fait apparaître des dépendances vis-à-vis d’acteurs extérieurs fournisseurs, justifiant des « alliances », de jure ou de fait, mais aussi des choix politiques de tiers, ainsi les fournitures étasuniennes à Israël pèsent sur les possibilités d’aide à l’Ukraine.

Ces conflits locaux ont déjà eu pour conséquences, d’une part de relancer dans plusieurs États tiers les « économies de guerre », d’autre part ils influent sur les échéances électorales et en dépendent. Dans les démocraties ou dans les régimes autoritaires, risques, menaces, guerres et peurs surdéterminent les demandes sociales, et deviennent les thèmes privilégiés et les motivations des candidats.

Enfin, dans des affrontements asymétriques les tiers ne peuvent intervenir contre les plus forts, soit en raison des rapports de forces crées par le nucléaire ou les soutiens extérieurs (États-Unis pour Israël ; Chine et en partie « les pays du Sud » pour la Russie). Soit, plus gravement, en raison des blocages des institutions et du droit international (droits de veto au Conseil de sécurité ; mépris des résolutions : ajournement des mesures réclamées…). La régression généralisée des institutions du droit international décrédibilise les efforts de décennies de tentatives de régulation.