Pour les Mélanésiens qui l’habitent depuis des millénaires, c’est le Kanaky.
Pour les français de métropole, c’est un territoire d’outre-mer, avec son statut particulier qui lui accorde beaucoup d’autonomie. Mais c’est aussi, et en particulier pour les dirigeants français, un des signes de la grande puissance française dans le monde.
Pour des raisons aujourd’hui essentiellement géopolitiques (garder la Chine à distance et posséder des eaux territoriales immenses), les autorités semblent vouloir en faire un territoire définitivement partie intégrante de la France. Les Mélanésiens s’opposent à cette vision qui les éloigne de leur souveraineté.
Le projet de réforme électorale a rallumé les braises d’un conflit refoulé. Et le transfert et l’incarcération en métropole de leaders indépendantistes plus radicaux ne peuvent manquer de rappeler ceux du général haïtien Toussaint Louverture emprisonné au fort de Vaux ou en sens inverse ceux de militants kabyles réclamant l’indépendance et envoyés en Nouvelle Calédonie.
On peut craindre d’y voir le signe d’une résurgence coloniale. L’avenir du Kanaky peut encore être pensé de manière harmonieuse entre les leaders mélanésiens traditionnels et la puissance coloniale pour un pays souverain associé à la France.
Encore faut-il commencer à écrire cette nouvelle page.
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1 – À propos de Jeux…
Ne boudons pas notre plaisir, les jeux olympiques ont offert comme une parenthèse dans une période plutôt instable, notamment sur le plan politique. Plus encore, les paralympiques ont permis que des personnes marquées par le handicap, souvent laissées en marge, se trouvent au premier plan. Je ne prétends pas ajouter des commentaires sur ces événements, la documentation à ce sujet est abondante. Je propose plutôt quelques « pas de côté ».
+ On parle de « jeux », mais pour qui et comment ? Le dictionnaire renvoie à amusement et divertissement, il retient aussi l’aspect ludique, ce qui évoque des activités enfantines marquées d’insouciance. Or, les témoignages des athlètes, et plus particulièrement dans le cadre paralympique, parlent d’efforts et d’entrainements intensifs, y compris dès le jeune âge : des adolescents doivent quitter leur famille et combiner durement les études avec le sport. On doit saluer ces qualités humaines faites de courage, de ténacité, de volonté de rebond face aux difficultés… Mais nous sommes loin de l’insouciance et du ludique. Si l’on parle de jeu, mais cela vaut surtout pour celles et ceux qui regardent !
+ À propos des Jeux, nous sommes tous censés prendre pour devise « plus vite, plus haut, plus fort ! » Et comme ce propos émane d’un religieux, on le pare volontiers de « sacré » ! On peut l’interroger, d’abord parce qu’un certain nombre d’épreuves (encore un terme qui détonne par rapport au ludique) sont évaluées avec des critères de beauté et d’élégance, il s’agit alors de qualifier le « mieux » et non le « plus ». Quant aux sports collectifs, ils supposent une qualité de relation entre les acteurs, sinon l’exploit individuel peut se révéler contreproductif. Ce critère du « plus », avec une coloration individualiste, est sans doute marqué par son époque (fin du XIXème siècle) avec une idéologie de progrès qui met l’accent sur la domination – de la nature mais aussi de l’humain – et l’intérêt personnel. Je préfère garder comme image les marques de respect et parfois d’amitié envers l’adversaire d’un moment : chacun sait que l’autre a dû aussi beaucoup travailler, avec des efforts constants pour arriver à ce niveau.
+ Encore une question : pourquoi ne n’intéresse-t-on qu’aux médaillés ? J’ai une pensée particulière pour ceux qui arrivent 4èmes et même derniers. Il se sont entraînés autant et parfois plus que les vainqueurs, mais il n’y a que trois marches sur le podium. Pourtant, les sportifs porteurs de handicap nous rappellent que la fragilité et la vulnérabilité font partie de notre condition humaine, même chez les plus performants. La polarisation sur le seul record individuel ne rend compte que d’un aspect de nos vies, elle peut être trompeuse.
2 – Parlons un peu de politique…
° La lettre de Justice et Paix de septembre évoque la situation politique actuelle à partir de différents points de vue (voir le site : justice-paix.cef.fr), j’ai signé l’un des articles. On peut s’inquiéter que, en raison du flou politique qui a marqué l’actualité, une question majeure telle que celle de l’avenir de la vie sur terre, et notamment du réchauffement climatique, ne trouve place dans les débats ; l’espace public semble saturé par les manœuvres d’appareils et les tactiques liées aux ambitions individuelles. Nous avons le droit de secouer nos élus quand ils risquent d’oublier ce qui est décisif pour notre avenir commun.
° À propos de l’identité européenne, une réflexion de Heinz WISMANN, un philosophe allemand vivant en France (cf. Sciences humaines de septembre, p. 34) : « L’Europe n’est pas une réalité naturelle, géographique ou ethnique, mais une création historique, un geste guidé par le désir de ne pas rester le même, identique, figé. L’esprit européen reprend les différents éléments du passé pour le transformer et faire advenir quelque chose qui n’a pas encore existé. (…) Le geste européen, c’est une forme de renaissance perpétuelle. (…) L’esprit européen, c’est le contraire absolu du traditionalisme. Par opposition, les régimes répressifs établis en Iran, en Chine et en Russie s’appuient sur l’autorité de la tradition. »
° Dans le monde, la phase actuelle est marquée par la militarisation. Face aux menaces, chaque pays renforce sa défense. En écho à la réflexion précédente, il importe d’anticiper et de travailler à l’advenue d’une situation plus correcte d’un point de vue humain. Au plan mondial, les dépenses militaires se montent à 2500 milliards de dollars par an. On en vient à oublier les engagements, pris sous l’égide l’ONU, de mettre en œuvre les 17 Objectifs pour un développement durable (ODD) sur la période 2015-2030. Selon ces ODD, il s’agit de lutter contre la grande pauvreté grâce à l’accès à la nourriture et à l’eau potable, de promouvoir l’éducation et la santé, etc… Les conflits plongent des populations en des situations catastrophiques, tandis que les sommes importantes consacrées aux armes sont détournées des programmes de développement.
° La peur actuelle conduit au repli sur des intérêts particuliers et à court terme. Or, ne perdons pas de vue la volonté de construire une paix durable dans notre monde. Il s’agit d’abord d’organiser la coopération entre les peuples pour faire face au défi écologique et mettre en place une justice sociale permettant à chacun d’accéder aux biens élémentaires. Plutôt qu’inventer des stratégies de lutte contre l’immigration, parfois avec des moyens ignobles, il vaut mieux faire en sorte qu’une vie digne soit possible dans les différents pays. La plupart de ceux qui arrivent fuient une situation de guerre, de répression violente ou de misère absolue.
3 – Pour quel avenir ?
Rappelons-nous que nous sommes de plus en plus dépendants les uns des autres. Il nous faut donc apprendre à penser en termes d’un bien commun mondial pour organiser une solidarité efficace, entre contemporains, mais aussi avec les générations à venir. Nous nous réjouissons de la vitalité des enfants et de leurs sourires, mais quel avenir concret voulons-nous leur préparer ? Est-ce un monde fatalement marqué par la guerre et la destruction de la Planète ? Il n’est pas inutile de lever les yeux au ciel pour voir plus loin que le bout de ses chaussures, pour faire en sorte que la vie ait un avenir ! Cultivons donc l’esprit de responsabilité pour conduire nos vies personnelles, mais aussi pour organiser la vie politique !
® Un signe inquiétant : selon l’UNICEF, en France, 2000 enfants sont à la rue, sans solution d’hébergement, une situation qui empire d’année en année. Dans le même temps, les associations humanitaires enregistrent de plus en plus de demandes d’aide alimentaire, y compris de la part d’étudiants. Des situations qui dénotent d’évidents manques de volonté politique : peut-on se satisfaire d’une société qui oublie ses membres les plus fragiles ?
® Positivement, une rentrée marquée par de multiples solidarités de proximité, par des engagements bénévoles, notamment dans le domaine sportif, les Jeux ayant un impact incitatif. Mais aussi dans le soutien scolaire, l’accueil de familles réfugiées, etc.
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Qui connaît la Papouasie occidentale* ? Qui sait que les populations originaires de ce vaste et riche territoire sont sous la coupe de l’armée et de la police indonésienne et d’immigrants indonésiens des îles voisines, ainsi que de multinationales qui prélèvent les richesses minières et forestières de la région ?
De ce mardi 3 au vendredi 13 septembre, le voyage du Saint-Père dans cette zone où se rencontrent l’Asie et l’Océanie, les peuples malais et mélanésiens, nous donne l’occasion de découvrir ce peuple Papou, son Église et ses préoccupations de survie, avec ce numéro spécial hors-série de La Lettre de Justice et Paix.
Se rendant à Vanimo, une bourgade de la côte nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée voisine de la frontière avec la Papouasie occidentale, siège d’un diocèse, le Saint-Père a l’opportunité de dire quelques mots sur les souffrances et les espoirs de ce peuple et sur le rôle que l’Église et la communauté internationale peuvent jouer pour que ses droits soient reconnus et respectés.
L’Église de France peut se souvenir à cette occasion de Mgr Alain de Boismenu, missionnaire du Sacré Cœur de Jésus d’Issoudun, vicaire apostolique de Papouasie de 1912 à 1945, un pionnier de l’évangélisation de cette grande île, et, en rappelant les liens qui nous unissent, soutenir les droits de ce peuple.
*La Papouasie occidentale désigne la moitié occidentale de l’île de Nouvelle-Guinée. Elle comprend les six provinces indonésiennes de Papua, Papua Barat, Papua Tengah, Papua Pegunungan, Papua Selatan et Papua Barat Daya.
Lorsque l’on parle de mettre fin à la colonisation dans le Pacifique, la Papouasie occidentale aurait dû être l’une des premières à se libérer au début des années 1960. Au lieu de cela, dans une tragique et grave injustice, la Papouasie occidentale reste l’une des dernières, toujours enchaînée sous la brutale domination coloniale de l’Indonésie. Cette oppression persiste parce que le monde a honteusement tourné le dos. Pourtant, seules les voix unifiées des nations du Pacifique ont courageusement commencé à mettre en lumière les atrocités que les Papous endurent depuis des décennies.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Néerlandais ont promis aux Papous occidentaux une voie vers l’indépendance, en particulier dans les années 1950, alors qu’ils préparaient la nation à l’autonomie par le biais du programme de « papouanisation », qui favorisait l’éducation et le leadership. Mais dans une ultime trahison, les Néerlandais ont vendu le peuple papou. Ils ont cédé la Papouasie occidentale à l’Indonésie dans le cadre d’un accord conclu en coulisses, sous le contrôle des Nations unies et orchestré par les États-Unis, dont les yeux étaient rivés sur les vastes ressources naturelles de la Papouasie. L’accord de New York, signé le 15 août 1962, n’était rien d’autre qu’une conspiration internationale qui ignorait totalement les Papous, qui disposaient déjà de leur propre parlement démocratiquement élu, le Raad de Nouvelle-Guinée.
Dès le début, l’Indonésie s’est servie des Nations unies comme d’une couverture pour déchaîner une violence génocidaire sur les Papous. Elle a dissous les partis politiques, supprimé la liberté d’expression et traqué, torturé, emprisonné et tué tous ceux qui osaient résister. L’Indonésie a refusé aux Papous leur droit légitime à l’autodétermination, en organisant un simulacre d’« acte de libre choix » en 1969 avec seulement 1 025 personnes triées sur le volet – dont une fraction seulement était même papoue – forcées de déclarer leur destin sous le contrôle indonésien. Les Néerlandais, qui avaient promis la libération, sont restés silencieux. Les Nations unies ont entériné cette parodie. Et les États-Unis, qui se sont assuré l’accès aux immenses richesses de la Papouasie, ont dissimulé la vérité aux médias du monde entier.
Malgré cette conspiration, le peuple papou n’a jamais faibli. Depuis le début des années 1960, il a résisté, menant son combat dans la jungle, refusant d’accepter la fausse réalité imposée par les puissances étrangères. Le 1er juillet 1971, le mouvement de la Papouasie libre (OPM) a déclaré que la Papouasie occidentale était un État souverain et a promis de défendre son indépendance. L’Indonésie a réagi avec une brutalité absolue, lançant des opérations militaires qui ont depuis lors éliminé des centaines de milliers de Papous. Qu’il s’agisse de massacres directs ou de la mort lente due aux déplacements et à la famine, l’objectif était clair : l’extermination d’un peuple entier. Il ne s’agit pas d’une simple opinion, mais d’un fait reconnu et condamné par le rapporteur spécial des Nations unies sur la prévention du génocide.
Les Papous ont également poursuivi leur résistance pacifique pendant la période de réforme de l’Indonésie au milieu des années 1990. Ils ont organisé le deuxième congrès papou en 2000, établissant le conseil du présidium de Papouasie comme plate-forme pour l’indépendance. L’Indonésie a écrasé ce mouvement pacifique, torturant et tuant ses dirigeants. Pourtant, l’esprit de résistance se perpétue grâce à l’activisme des jeunes dans des organisations telles que le Comité national de Papouasie occidentale, l’Alliance des étudiants de Papouasie et d’autres. Les Papous ont à plusieurs reprises cherché à établir un dialogue pacifique, mais le gouvernement indonésien a refusé de s’engager. La lutte pour l’indépendance de la Papouasie a fait des progrès significatifs avec la formation du Mouvement uni de libération de la Papouasie occidentale (ULMWP) fin 2014 à Port Vila, au Vanuatu. L’ULMWP, qui regroupe divers mouvements indépendantistes, a été créé avec le soutien du Groupe Fer de lance mélanésien et financé par le gouvernement du Vanuatu, facilité par le Conseil des Églises du Pacifique et soutenu par la société civile de l’ensemble du Pacifique.
Le gouvernement indonésien a ignoré toutes les tentatives de dialogue, y compris les efforts de l’équipe de négociation choisie par le Congrès de la terre de paix de Papouasie, une équipe formée grâce au travail acharné du réseau Terre de paix de Papouasie dirigé par le regretté pasteur Neles Tebay. La seule réponse de l’Indonésie aux aspirations politiques des Papous est d’arrêter, de torturer, d’emprisonner et de tuer de multiples façons. Aucun cas de violation des droits de l’homme n’a fait l’objet de poursuites judiciaires, malgré les efforts de la Commission indonésienne des droits de l’homme. Cette situation n’est pas passée inaperçue pour la majorité des nations du Pacifique qui, depuis 2015, ont fait des droits de l’homme en Papouasie un point permanent de l’ordre du jour de leurs réunions annuelles. Leurs demandes de visite en Papouasie pour des évaluations des droits de l’homme ont été systématiquement rejetées depuis 2015, même lorsque des envoyés spéciaux, dont deux premiers ministres, ont été nommés.
À l’heure où vous lisez ces lignes, l’Indonésie mène une opération militaire qui a débuté en 2018 et qui s’étend sur l’ensemble des hauts plateaux de la circonscription de Pegunungan Bintang, à la frontière avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée, jusqu’à l’extrême pointe occidentale de la Papouasie. Cette opération a déplacé plus de 76 000 personnes, qui sont maintenant confrontées à de graves violations des droits de l’homme et manquent de services de base tels que la nourriture, les abris et les soins médicaux. Malgré l’opposition de la population locale et des gouvernements régionaux, le gouvernement central a divisé la Papouasie en six provinces. Cela a non seulement renforcé la présence militaire, mais a également entraîné la saisie forcée de terres, la destruction de l’environnement et le développement d’infrastructures qui soutiennent les opérations militaires et facilitent l’exploitation des ressources naturelles. La politique de développement du gouvernement indonésien reste ancrée dans une thèse de développementalisme qui ne tient pas compte du conflit armé en cours et de l’identité papoue.
La lutte du peuple papou est plus qu’une lutte pour l’indépendance ; c’est une lutte pour la survie contre un génocide d’État ancré dans le racisme. Il s’agit d’une lutte existentielle contre une menace existentielle. Depuis le début, les Papous occidentaux – des personnes à la peau brune et aux cheveux bouclés – ont été traités comme des sous-hommes, leur vie étant considérée comme sacrifiable. Cette déshumanisation persiste aujourd’hui sous le régime colonial indonésien, soutenu par ses alliés. Le monde a négligé de tenir l’Indonésie responsable de ses actes, lui permettant de commettre ces crimes en toute impunité. La Papouasie reste fermée, interdite aux journalistes, aux organisations humanitaires et même au commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, malgré les appels persistants à la transparence lancés depuis 2015 par les dirigeants des îles du Pacifique et le soutien croissant des nations d’Afrique et de la Caraïbe.
La question n’est plus de savoir combien de temps nous allons rester les bras croisés face à cette injustice, mais plutôt de savoir pourquoi nous envisageons même de permettre que cela continue. Le temps de l’observation passive est révolu. Nous devons porter cette question sur la scène internationale, en exigeant justice et redevabilité pour la Papouasie occidentale. Ce n’est qu’alors que nous pourrons faire en sorte que le Pacifique devienne une région de paix véritable, où les derniers vestiges du colonialisme seront enfin éradiqués.
Octo Mote