Après le départ des forces militaires françaises d’Afrique subsaharienne

Certes éclipsée par les aléas de la situation politique en France, l’évolution sensible de la présence militaire française en Afrique de l’Ouest et du Centre, événement géostratégique majeur, est une nouvelle inflexion de la longue histoire des relations entre Paris et le continent africain.

En 2013, l’intervention au Mali stoppe la pression des djihadistes liés à Al-Qaïda. Les opérations Serval puis Barkhane (2014), élargies à l’ensemble du Sahel, portent à 8 000 les soldats français déployés sur le continent. Non pour occuper des territoires mais pour aider les armées locales à contenir la menace venant du Nord. Or, celle-ci ne s’estompe pas, les accrochages se multiplient, des soldats français tombent, les gouvernements concernés faiblissent ; l’association de partenaires européens (force Takuba) fait long feu et laisse entière la question des limites géographiques et temporelles de l’engagement de Paris. Vient le temps des manipulations des opinions locales, qui précède celui des coups d’État : Mali en 2020, Burkina Faso en 2022, Niger en 2023, transition au Gabon (2023). La Russie des Wagner s’est insinuée comme elle l’a fait en Centrafrique. La France doit plier bagage militairement (retrait des contingents), diplomatiquement (retrait des ambassadeurs), politiquement (retrait des relations bilatérales), en maintenant ce qu’elle peut de présence économique minimale. Le Sénégal puis le Tchad, plutôt considérés comme fidèles partenaires, mais dont la gouvernance a évolué, emboîtent le pas fin 2024 et annoncent la fermeture des bases françaises, notamment à N’Djamena, solide élément de pivot aérien dans la région.

Les conséquences sont nombreuses

au Sahel, la présence officielle française diminue sensiblement, mais en bon ordre ; repliement militaire rapide mais digne et transfert des installations aux autorités locales ; réduction des dispositifs diplomatiques et consulaires, pourtant essentiels aux relations bilatérales. Des chargés d’affaires ont pu être maintenus à Bamako et Ouagadougou, mais l’ambassade à Niamey est fermée. À N’Djamena et Dakar, la coopération est provisoirement allégée.
la présence militaire française est désormais limitée : Gabon, Côte d’Ivoire, plus le cas de Djibouti (1 500 hommes) où elle coexiste avec d’autres (Américains, Chinois). Il n’y a plus d’OPEX en Afrique, d’où, d’ailleurs, des économies sur le budget de la Défense.
le retrait coordonné des trois pays du Sahel de la Communauté Économique de l’Afrique de l’Ouest confère à cette dernière une géographie repliée sur les États côtiers de l’Atlantique, de Dakar à Abuja. Le G5 Sahel, soigné par la France jusqu’en 2019, a été dissous fin 2024.
pour contenir le djihadisme, plus que jamais menaçant sous le vocable de Groupe Islamique au Grand Sahara, d’autres forces internationales prendront-elles le relais ? Les partenaires de l’UE n’ont jamais apporté qu’un soutien symbolique. La mise en veilleuse de l’USAID réduit la présence des États-Unis à quelques dispositions militaires tactiques. La Chine agit plutôt sur le terrain économique (mines). La Turquie et les Émirats auraient quelques ambitions.

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Dès lors, la France a-t-elle « perdu pied en Afrique » ? (Le Figaro, 4 décembre 2024)

Certes, le « discours de Ouagadougou » de novembre 2017 porte la cicatrice de la crise avec le Burkina Faso, alors qu’il traçait déjà une « fin de la politique africaine de la France » et proposait un « dialogue au niveau continental »

Plus asserti à la réalité des temps, et plus précis quant aux modalités, fut en février 2023 le colloque à l’Élysée précédant un déplacement d’Emmanuel Macron au Gabon, en Angola, au Congo et en RDC. « N’ayant aucune nostalgie de la Françafrique », le Président ne voulait pas pour autant laisser un vide ou une absence tout en concédant que « nous n’avons pas encore convaincu sur notre avenir commun ». Et d’envisager bien des pistes : un partenariat sécuritaire axé sur la formation, un dialogue valorisant la démocratie, le passage d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire, le financement d’infrastructures de qualité dans un cadre européen, le soutien aux jeunes entrepreneurs, le maintien des instituts culturels et des alliances françaises.

Récemment, en janvier 2025, Emmanuel Macron, s’adressant au corps diplomatique français, a pointé le maintien de la menace terroriste « de la Corne de l’Afrique au Golfe de Guinée », citant implicitement l’Iran, « l’ingratitude de certains gouvernants africains qui ont oublié de dire merci », la « politesse » de la France qui a laissé à ses partenaires annoncer la réorganisation de sa présence militaire. Il a cité de nouveaux partenariats, comme avec le Bénin, et avec les grands pays anglophones (Nigeria, Kenya, Éthiopie, Afrique du Sud). Et de décrire le continent africain comme riche en opportunités économiques et commerciales, dont agricoles, en capacités scientifiques, culturelles et artistiques, et même sportives.

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Acceptons alors l’invitation à un nouveau regard vers l’Afrique, réaliste et ambitieux : ne pas baisser la garde face aux menaces terroristes ; assumer provisoirement un profil bas au Sahel, pourtant francophone, mais où le vent peut tourner ; renforcer les liens avec les États côtiers, de la Mauritanie au Nigeria et au Cameroun ; défendre le multilatéralisme auquel l’Afrique est attachée, notamment face aux crises les plus violentes (Soudan, Est de la RDC) ; se rapprocher économiquement des grands États anglophones et lusophones. Et, pour les chrétiens, cultiver une solidarité nourrie de confiance et d’espoir fraternels.