Éthique sociale en Église n° spécial Fratelli tutti

# Dièse, n° spécial

Lettre encyclique du pape François
Fratelli tutti (FT)
Sur la fraternité et l’amitié sociale (3 octobre 2020)

Les encycliques sont indiquées par leurs initiales.
Les n° entre crochets renvoient à la numérotation de Fratelli tutti.

À la suite Laudato si’ (LS), cette nouvelle encyclique se met sous le patronage de saint François d’Assise, mais elle ne se présente pas comme un deuxième volet, suite à la précédente. Il nous faut donc éviter de fermer LS,  comme pour passer à autre chose, au risque de l’oublier. Cette encyclique, FT, s’inscrit dans la lignée de l’enseignement social de l’Église en développant ce qui sous tend un tel enseignement tout en indiquant la finalité : la fraternité. « Je livre cette encyclique sociale comme une modeste contribution à la réflexion. (…) Bien que je l’aie écrite à partir de mes convictions chrétiennes qui me soutiennent et me nourrissent, j’ai essayé de faire de telle sorte que la réflexion s’ouvre au dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté » [6]. En ce qui concerne la forme, FT reprend et cite largement les prises de position du pape concernant les défis posés aujourd’hui à la fraternité, mais aussi les fermes invitations à avancer dans une dynamique de rencontre, de dialogue, d’initiatives communes. François rassemble en ce document les éléments d’un enseignement énoncé en diverses occasions durant ces dernières années. Ce qui donne un texte assez long (216 pages dans l’édition française officielle), mais relativement facile à lire.

 

À de nombreuses reprises, le pape François évoque sa rencontre fraternelle avec le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb qui a permis la signature conjointe du « Document sur la fraternité pour la paix mondiale et la coexistence commune », à Abou Dhabi le 4 février 2019 : l’appel à la paix est retranscrit [285]. Cette rencontre fut sans doute une expérience forte : la diversité religieuse ne conduit pas fatalement à la violence, elle peut être vécue de manière fraternelle. De plus, alors que l’islam se trouve défiguré par certains qui s’en réclament pour perpétrer des actes barbares, il était urgent de dénoncer un  tel dévoiement et d’honorer les personnes de premier plan qui promeuvent une religion de paix. Le ch. 8 est justement intitulé : « Les religions au service de la fraternité dans le monde ».

 

Dès le sous-titre, au terme fraternité se trouve associée une notion nouvelle : l’amitié sociale. Deux raisons ont pu susciter cette innovation : le mot fraternité est forgé à partir du masculin, ce qui peut conduire à oublier les « sœurs » ; l’amitié sociale implique des réalisations concrètes alors que la fraternité risque d’être parfois réduite à un sentiment intérieur. « En politique il est aussi possible d’aimer avec tendresse. (…) C’est l’amour qui se fait proche et se concrétise.  (…) Les plus petits ; les plus faibles, les plus pauvres doivent susciter notre tendresse» [194]. On peut donc associer la démarche affective et l’engagement efficace.

 

À la manière de LS, FT dresse un constat sévère sur l’état de notre monde. Les ombres semblent l’emporter sur la lumière (ch. 1) : inégalités, injustices, dénis des droits humains élémentaires se trouvent largement évoqués. Mais l’analyse va jusqu’à préciser les racines culturelles d’un tel état de fait : une logique de toute-puissance et de domination qui épuise la nature et exclut les humains les plus fragiles. Cela, en raison d’un utilitarisme étroit et à court terme qui, au nom de l’efficacité, détruit l’environnement et sème la violence. Le néolibéralisme se trouve dénoncé en des termes à connotation « religieuse » : « Le marché à lui seul ne résout pas tout, même si, une fois encore l’on veut nous faire croire à ce dogme de foi néolibéral. Il s’agit là d’une pensée pauvre, répétitive, qui propose toujours les mêmes recettes face à tous les défis qui se présentent. Le néolibéralisme ne fait que se reproduire lui-même en recourant aux notions magiques de « ruissellement » ou de « retombées ». (…) Les recettes dogmatiques de la théorie économique dominante ont montré qu’elles n’étaient pas infaillibles » [168].

 

La fraternité universelle, basée sur la conscience d’appartenir à une seule et même famille humaine, n’induit pas une globalisation qui écrase les diversités. « L’universel ne doit pas être l’empire homogène, uniforme et standardisé d’une forme culturelle dominante » [144].  Au contraire, la fraternité invite à reconnaître « que les autres cultures ne sont pas des ennemis contre lesquels il faudrait se protéger, mais des reflets divers de la richesse inépuisable de la vie humaine » [147]. La « charité politique » peut conduire à reconnaître chaque être humain comme un frère ou une sœur et à chercher l’amitié sociale qui intègre tout le monde [180]. « Le mépris des faibles peut se cacher sous des formes populistes, qui les utilisent de façon démagogique à leurs fins, ou sous des formes libérales au service des intérêts économiques des puissants. Dans les deux cas, on perçoit des difficultés à penser un monde ouvert où il y ait de la place pour tout le monde, qui intègre les plus faibles et qui respecte les différentes cultures » [155].

 

À propos des migrations, il faut « d’un côté aider effectivement l’intégration des migrants dans les pays d’accueil, et en même temps favoriser le développement des pays de provenance par des politiques solidaires » [132]. L’arrivée de personnes différentes peut être considérée comme un don [133].  À la suite de ses prédécesseurs, le pape François soutient l’ONU dans son travail pour promouvoir la paix dans le monde [257]. « Une paix réelle et durable n’est possible qu’à partir d’une éthique globale de solidarité et de coopération au service d’un avenir façonné par l’interdépendance et la coresponsabilité au sein de toute la famille humaine » [127].  Il évoque « l’abîme du mal qui se trouve au cœur de la guerre, et nous ne serons pas perturbés d’être traités de naïfs pour avoir fait le choix de la paix » [261].  Il reprend sa mise en cause de la possession de l’arme nucléaire [262] et rappelle aussi l’opposition de l’Église à la peine de mort [263].

 

Deux mises en garde s’adressent particulièrement aux chrétiens. « Celui qui ne vit pas la gratuité fraternelle fait de son existence un commerce anxieux : il est toujours en train de mesurer ce qu’il donne et ce qu’il reçoit en échange. Dieu, en revanche, donne gratuitement » [140]. « Il y a des croyants qui pensent que leur grandeur réside dans l’imposition de leurs idéologies aux autres, ou dans la défense violente de la vérité ou encore dans de grandes manifestations de force. Nous, croyants, nous devons tous le reconnaître : l’amour passe en premier, ce qui ne doit jamais être mis en danger, c’est l’amour ; le plus grand danger, c’est de ne pas aimer » [92].

 

Une prière finale : « Notre Dieu, Trinité d’amour, par la force communautaire de ton intimité divine, fais couler en nous le fleuve de l’amour fraternel. Donne-nous cet amour qui se reflétait dans les gestes de Jésus, dans sa famille à Nazareth et dans la première communauté chrétienne. (…) Viens, Esprit Saint, montre-nous ta beauté reflétée en tous les peuples de la terre, pour découvrir qu’ils sont tous importants, que tous sont nécessaires, qu’ils sont des visages différents de la même humanité que tu aimes. »