Éthique sociale en Église n° 44 mai 2022

1 – La puissance destructrice.
Quand la guerre sévit près de chez nous, elle nous oblige à ouvrir les yeux sur ce que l’humain peut accomplir de plus abominable. Nous portions un regard distancié sur les conflits qui endeuillent notre monde. Les experts estiment qu’il y a 25 foyers de guerre aujourd’hui, chacun de ces lieux de désolation connaît son lot de drames et de souffrances dont sont victimes les plus fragiles. Les armes blessent et tuent ; on risque de s’habituer à voir ainsi la vie humaine considérée comme sans valeur.

La guerre en Ukraine montre que les tentatives pour « moraliser » ce type de conflit ont peu d’effets. Les populations civiles sont directement visées, pour semer la terreur, ce qui conduit des foules sur les routes de l’exil. La mise au jour de crimes de guerre montre ce qu’il y a de plus vil dans l’homme quand il dispose de la puissance des armes, avec la jouissance perverse d’humilier, de dominer, de faire souffrir.

La guerre montre que les rapports de pouvoir mal régulés ont vite fait de dégénérer en une puissance destructrice qui s’impose au détriment des plus faibles. Un État prétend s’imposer en agressant son voisin, un système mondial fait que les plus pauvres se trouvent dominés ; la violence est déjà là, dans ces injustices, et elle engendre des violences en retour. Le cycle a vite fait de devenir infernal.

2 – Le rôle du politique
Les rapports de domination et la violence destructrice font partie de l’expérience humaine, les lecteurs de la Bible en savent quelque chose ! Mais il y a aussi en nous le désir d’alliance, le goût de la fraternité ; si la Bible évoque la face sombre de l’humain, c’est pour l’appeler à surmonter ses tendances mortifères et à trouver la joie en servant courageusement la vie.

Nous ne sommes pas sans ressources, nous héritons d’un double pôle de résistance à la violence destructrice. D’une part, la morale qui énonce des interdits (tu ne tueras pas !), et qui, par l’éducation, cultive le respect de l’autre, de telle manière que chacun peut opter pour une relation positive envers son semblable, sous le signe de la sollicitude, de la solidarité, de la fraternité. D’autre part, l’organisation politique qui met en place un régime de droit ; chacun peut avoir sa place dans la maison commune, à condition qu’il prenne vraiment en compte la place des autres.

En démocratie, le temps électoral met au grand jour les différences de projets ; le vote permettant de choisir celles et ceux qui vont exercer le pouvoir. Ce temps devrait aussi ouvrir le débat sur la justice sociale à partir d’une question : « comment sont traités les plus plus fragiles d’entre nous ? ». L’exclusion sociale est une violence.

Notre monde, de plus en plus interconnecté, s’efforce d’énoncer un droit international mis à mal quand se déclenche la guerre. Une paix stable ne peut se construire que sur la reconnaissance mutuelle, sur le droit des plus pauvres à pouvoir disposer des biens élémentaires. Il vaut mieux miser sur des alliances entre les peuples, dans un respect mutuel fondé sur le droit, au lieu de se lancer dans une course aux armements qui mobilise des richesses au détriment du développement des plus démunis.

3 – La clameur des pauvres et la clameur de la terre
* 346 millions d’Africains souffrent de famines dramatiques, en raison d’aléas climatiques, mais aussi de spéculations sur les céréales liées, entre autres, à la guerre en Ukraine. Et on estime à 3 000 le nombre des personnes migrantes mortes en mer en 2021, ce chiffre a doublé en un an.

* Nous sommes loin des objectifs du développement durable (ODD) courant sur la période 2015-30. Énoncés dans le cadre de l’ONU, ces ODD engagent les responsables politiques, les acteurs économiques et les ONG en vue d’une éradication de la grande pauvreté et d’une promotion tant de l’éducation que de la santé.

* N’oublions pas les alertes à propos du climat. Les tensions actuelles aggravent la situation (ex. le recours aux centrales à charbon). Il nous faut de manière urgente apprendre à vivre en paix entre nous, avec l’ensemble du vivant, avec la nature.

4 – La construction permanente de la paix
* Il serait trompeur de miser sur la course aux armements pour assurer la paix entre les peuples ; la possession d’armes nucléaires induit une fausse sécurité. Le mirage d’une toute-puissance technique conduit à des catastrophes. Plutôt que semer la peur, il vaut mieux cultiver la confiance mutuelle. C’est en temps de crise qu’il importe d’ouvrir la voie à l’utopie positive, en réformant l’ONU pour mieux résoudre les conflits naissants et mieux garantir le droit international, en soutenant un vrai développement au profit des populations les plus fragiles, en envisageant un désarmement négocié, en travaillant ensemble à l’avenir de la vie sur terre. Rappelons-nous que, durant la 2ème guerre mondiale, c’est notamment dans les camps de concentration que certains ont « rêvé » d’une Europe solidaire dans la paix. Il faut dès maintenant penser à l’au-delà des conflits pour envisager un avenir commun.

* Le rêve d’une humanité solidaire, face aux défis de notre temps, est sans doute plus intéressant que celui d’aller coloniser Mars… Mais certains, pris dans leurs délires de toute-puissance et affolés par les richesses qu’ils amassent, ne semblent plus avoir le sentiment d’appartenir à la commune humanité et risquent d’oublier les souffrances de leurs contemporains.

5 – Les raisons d’espérer
Oui, il y a des dangers. Mais il y a surtout le désir de servir la vie au quotidien. Pensons aux parents qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pour élever leurs enfants, mais aussi aux éducateurs, aux soignants, aux travailleurs sociaux, aux élus et aux responsables associatifs… Chacun peut apporter sa contribution originale au bien commun en servant la justice et la paix, partageant une vie  bonne avec et pour les autres.

Une lecture stimulante : Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, La communion qui vient, Carnets politiques d’une jeunesse catholique, Seuil, 2021. « Notre civilisation est en bout de course parce que sa manière de s’approprier les richesses de la terre et les biens produits est contradictoire avec le bien commun, c’est-à-dire avec les conditions d’une vie bonne pour tous. (…) Il faut méditer ce chiffre : trois cents individus possèdent aujourd’hui davantage que trois milliards d’autres. (…) Contrairement à une idée centrale du libéralisme économique selon laquelle le « doux commerce » serait un rempart contre les relations de violence, nous pensons que l’économie moderne est conditionnée, dans son existence même, par une logique d’appropriation qui entraîne destruction et domination. » (P. 109-110)

Une dénonciation vigoureuse qui nous provoque à inventer d’autres chemins, en misant sur le désir d’alliance qui nous anime et non sur le repli individualiste.

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