Éthique sociale en Église n°74 novembre 2024
1 – Pauvreté, exclusion : nous ne sommes pas sans ressources !
+ Le collectif Alerte regroupe 34 fédérations et associations de lutte contre la précarité et l’exclusion. Il rappelle que 14% de la population, soit plus de 9 millions de personnes, vit sous le seuil de pauvreté (le seuil étant à 60% du revenu médian, soit 1216 € pour une personne seule). Heureusement, des aides diverses sont apportées, elles se montent à plus de 100 milliards par an. Des études économiques montrent qu’un engagement financier résolu pour lutter en amont contre les pauvretés reviendrait moins cher que les sommes dépensées aujourd’hui pour faire face aux urgences. Cela suppose un ambitieux plan d’action pour un accès des plus vulnérables à un logement décent, pour un soutien créatif permettant à chacun de bénéficier d’un emploi. Une sagesse élémentaire invite à penser au-delà du court terme.
Aujourd’hui, à défaut d’un ambitieux projet agissant sur les causes de misère, il est à craindre que des bricolages visant quelques économies immédiates n’aient aucun impact sur les conditions qui engendrent la pauvreté. On a alors l’impression de remplir un puits sans fond.
La qualité de la vie commune suppose de vraies solidarités entre tous les membres, ce qui interroge une situation dans laquelle les écarts dans l’accès aux biens continuent d’augmenter fortement (pensons aux personnes qui doivent recourir à l’aide alimentaire). À défaut de réelles solidarités, le mot « fraternité » qui brille sur nos monuments publics paraît hypocrite !
+ Parmi les initiatives qui se révèlent efficaces et bénéfiques pour des personnes marginalisées, Territoire zéro chômeur de longue durée fait preuve d’un réel savoir-faire et continue de s’étendre dans notre région. Une autre initiative, peu présente chez nous, est intitulée Territoire zéro exclusion énergétique. Elle implique elle aussi, dans une démarche commune, les acteurs politiques, économiques et associatifs pour lutter contre la grande pauvreté énergétique, grâce à la rénovation des bâtiments. Il s’ensuit une meilleure qualité de vie et de moindres dépenses pour les habitants concernés, tout en diminuant l’impact climatique. Un temps de crise peut être le bon moment pour envisager ensemble des projets innovants au bénéfice des plus défavorisés. Sur ce point également, une mobilisation concertée facilite la réalisation d’objectifs à long terme.
2 – Envisager sérieusement la justice et la paix…
° Nous risquons d’être fascinés par les images de guerre et d’en prendre notre parti, comme s’il s’agissait d’une situation normale, oubliant les victimes actuelles et les menaces pour l’avenir du monde. L’espace Proche et Moyen Orient se trouve en pleine tourmente, ce qui amplifie les risques de prolifération nucléaire. Israël possède la bombe, l’Iran en est proche, Il y a le risque que les voisins, Turquie et Arabie Saoudite, cherchent aussi à l’acquérir. Des militaires sont les premiers à s’inquiéter du risque d’utilisation de l’arme nucléaire (un exemple : l’organisme Initiatives pour le désarmement nucléaire est présidé par un général en retraite, B. Norlain). Il importe donc de déployer tout ce qui possible pour élaborer les plans d’une paix durable et pour travailler sans tarder à un désarmement nucléaire.
° À propos de migrations, on évalue à 50 000 le nombre de migrants morts en Méditerranée depuis 1990 et on estime qu’il y a actuellement plus de 3 000 morts par an. Il faudrait aussi ajouter les victimes en mer, au large de l’Afrique noire, entre l’Europe continentale et le Royaume Uni, sans oublier celles qui meurent en traversant le désert et dans des pays inhospitaliers tels que la Libye. Des chiffres comparables à ceux de conflits armés. Les personnes qui mettent leur vie en danger ne le font pas par plaisir. Sur ce point également, la vraie sagesse conduit à travailler en vue d’un développement durable qui permettrait à chacun de pouvoir vivre convenablement en son pays d’origine. Cela dit, nos pays doivent être lucides sur leur situation démographique, dans peu de temps la migration pourra paraître comme un bienfait pour assurer les services de la vie quotidienne. La justice sociale doit donc être promue à l’échelle internationale, en raison de la dignité de toute personne humaine, pour garantir une paix solide fondée sur de vraies solidarités.
3 – Des ouvertures à propos du travail !
+ Les Semaines sociales de France ont fait du travail le thème de leur réflexion pour leur session annuelle. Le travail fait sens dans la mesure où il conjugue l’utilité pour la collectivité (services et production de biens) avec l’utilité pour la personne elle-même ; celle-ci peut grandir en déployant ses capacités et être reconnue socialement par sa contribution au bien commun. On perçoit alors que le non-emploi affecte la dignité des personnes au point qu’elles deviennent invisibles, parfois considérées comme des parasites, alors qu’elles possèdent de réelles capacités. De plus, la société se prive de leur contribution au bien commun.
+ La participation à la bonne marche de la société ne se réduit pas aux activités qui donnent lieu à des échanges marchands. Pensons tout d’abord aux « aidants » qui prennent soin au quotidien de proches en difficulté. Mais aussi à tous les engagements bénévoles, notamment dans les associations : si un beau matin les bénévoles se mettaient en grève, la vie commune serait largement perturbée ! L’utilité sociale de nos activités ne se réduit pas à ce qui donne lieu à des rétributions monétaires. Il ne s’agit pas d’opposer le salarié au bénévole, mais plutôt de considérer positivement tout ce qui contribue à une vie commune solidaire et fraternelle. L’échange de dons et la gratuité font bien partie de la vie sociale.
+ Nous sommes les uns et les autres responsables d’une humanisation commune, grâce aux multiples relations que nous entretenons. Ce qui suppose d’abord une vigilance active : les rapports sociaux, notamment dans le travail mais aussi dans les activités bénévoles, peuvent affecter gravement la dignité humaine. La domination et l’emprise risquent toujours d’atteindre les plus faibles ; les rapports de force à l’état brut sont cause d’injustices qui empêchent certains de pouvoir mener une vie correcte.
+ L’attention actuelle portée au monde et à la vie nous conduit à mettre en premier le fait de « prendre soin ». On le pense spontanément à propos des métiers de santé et d’éducation, mais il est bon de l’élargir à toutes nos activités. Nous l’évoquons déjà dans le langage courant : on parle de réaliser une œuvre « avec soin », des éleveurs disent qu’ils vont « soigner leurs animaux »… Nous sommes appelés à devenir les partenaires et les acteurs d’une alliance à tous les niveaux : entre nous humains, mais aussi avec l’ensemble du vivant et toute la création. En apprenant à résister à la violence, y compris dans les mots, en prenant soin du monde et de nos semblables nous découvrons les bienfaits de la paix. Pour dépasser la brutalité et la violence, il est bon de promouvoir une culture de paix qui s’inscrit déjà dans la manière de vivre au quotidien.
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