Éthique sociale en Église n°81 juin 2025
1 – Le temps des émotions !
+ Dès qu’un événement important se produit, par exemple dans le domaine sportif mais aussi à l’occasion de la mort d’un pape et de l’élection de son successeur, beaucoup d’expressions relèvent du registre de l’émotion. Parfois, l’interrogation tourne à l’injonction, si on ne glisse pas une phrase du type « je suis profondément ému » on risque de passer pour un sans cœur. Or il y a bien une part d’intime dans l’émotion et l’on n’est pas tenu de tout exposer sur la place publique. De plus, s’en tenir à « je suis ému » ne nourrit pas vraiment l’échange et ne dit rien concernant notre responsabilité dans le monde. On sait aussi que l’émotion risque de provoquer la sidération au point de rester prisonnier d’un état qui nous submerge ; c’est pour cela qu’on va parler à un enfant pour l’aider à sortir de son chagrin, à dépasser sa peur. En grandissant, nous apprenons à gérer nos émotions, en prenant du recul, en recourant à la raison et en envisageant des attitudes susceptibles d’améliorer la situation. + Pourtant, notre capacité à être ému est précieuse, que ce soit dans la peine ou dans la joie. Elle nous sort d’une terne indifférence. Il est bon, notamment, de connaître et de partager de vraies joies : un sourire d’enfant, une parole amicale, une découverte ou une rencontre étonnante. L’émotion naît aussi des beautés de la nature, de la perspective d’un projet passionnant. En plus des joies de la vie, y compris les plus simples, l’émotion est précieuse encore lorsque nous sommes choqués par ce qui détruit, tout particulièrement ce qui porte atteinte à la vie et à la dignité des personnes humaines. C’est vrai dans les conflits, quand des populations sont volontairement affamées, quand le viol est utilisé comme une arme de guerre, quand on parle des migrants et des réfugiés en termes de submersion, quand le semblable est considéré a priori comme un concurrent et même un ennemi. Restons vigilants à l’égard du vocabulaire quand l’autre est désigné comme un animal, voire une chose.
+ L’actualité montre que les mots insultants ouvrent la voie à des passages vers l’acte destructeur, sous l’effet notamment d’émotions collectives induites par des idéologies et des politiques autoritaires. Il y a toujours le risque d’être fasciné par la force et la puissance, y compris lorsqu’elles enchaînent les destructions. Résistons aux images sociales qui ne voient la grandeur que dans la capacité de dominer et d’écraser. Cultivons plutôt une attitude de disponibilité pour découvrir la beauté d’une vie sous le signe de l’alliance et non de la défiance, pour goûter les merveilles de la création, pour nous réjouir de tous les gestes fraternels dont nous sommes les acteurs et les bénéficiaires.
+ L’appel à choisir la vie et non la mort est toujours d’actualité. Résistons au mal qui devient banal quand il se présente comme l’état normal du monde. Cultivons une raison généreuse qui s’appuie sur les émotions positives en vue de promouvoir un avenir porteur de vie. Ne nous laissons pas aller au fatalisme en prenant notre parti des malheurs qui défigurent notre commune humanité. Partageons plutôt des projets porteurs d’espérance pour notre monde et pour chacun des humains, à commencer par le plus fragile.
2 – Un hommage rendu aux morts de la rue
Chaque année, le journal La Croix évoque les morts de la rue, en indiquant notamment les noms et les lieux de décès des personnes qui ont pu être identifiées. En 2024, 855 décès ont été recensés, dont ceux de 19 enfants de moins de quatre ans. Des chiffres en augmentation, peut-être parce que les informations à ce sujet se trouvent mieux collectées.
= Pourquoi une telle énumération est-elle importante ? Chaque vie humaine doit être considérée : un modeste hommage, associé au nom du défunt lorsqu’il a pu être noté, est une manière de résister à « l’invisibilité » des plus fragiles d’entre nous. On a tôt fait de réduire des humains à des déchets qu’on laisse derrière pour ne plus les voir. Il est donc important que des ONG et des organes de presse viennent nous réveiller de nos torpeurs et solliciter nos émotions, alors que l’ignorance à l’égard des pauvres paraît plus confortable. Les emballements collectifs concernant des stars, dans tous les milieux, paraissent aller de soi, alors qu’on découvre ensuite la face sombre de certaines de ces personnalités qui ont été encensées sans retenue. Il peut y avoir aussi une manière perverse de prétendre se grandir soi-même en applaudissant les puissants et en méprisant ceux qui sont perçus comme les perdants et qu’on désigne parfois comme « les gens d’en bas ».
= Heureusement, de nombreuses initiatives sont prises pour servir la dignité de celles et ceux qui ne sont pas gâtés par la vie, pensons au travail des services sociaux et des associations, aux simples solidarités de voisinage. En étant sensible à la détresse d’autrui, chacun peut prendre part à une dynamique positive, en contribuant de diverses manières à ce que la fraternité affichée sur nos monuments publics ne reste pas une référence hypocrite : ce terme qui appartient à notre héritage commun nous engage vraiment.
3 – Un enjeu d’humanité
Mme Dominique VERSINI, vient de publier : J’ai rêvé d’un monde plus juste. Elle a elle-même connu la pauvreté, mais elle témoigne surtout de ses engagements comme élue, après avoir été membre de gouvernements. En ces lieux de responsabilité, elle lutte inlassablement contre les exclusions de toutes sortes, avec une attention particulière à l’histoire de chaque personne, en tenant compte de ses souffrances mais aussi et surtout de ses capacités potentielles. Connaissant bien les allées du pouvoir, elle fait de la prise en compte des situations humaines les plus difficiles un marqueur décisif de l’engagement politique. Si on néglige cet engagement moral prioritaire on trouvera toujours de bonnes raisons d’abandonner les plus fragiles à leur triste sort. Nous pouvons nous souvenir de ce critère au moment de nos choix électoraux.
4 – Notre rapport aux océans
L’actualité est marquée par la conférence mondiale concernant les mers et les océans qui a lieu en France, en vue de réfléchir à notre rapport au monde maritime et à son avenir. La Bible elle-même évoque une vision contrastée de ces étendues. Il y une impression de puissance : la mer est vue comme le siège de forces maléfiques en raison des tempêtes. Mais elle fournit aussi de la nourriture. Et la navigation, qui n’est pas sans danger, permet de passer d’une région à une autre. Aujourd’hui encore, la mer peut être le lieu de perdition pour des migrants naviguant sur des embarcations de fortune. Mais il y a aussi les pollutions liées à nos activités, notamment le plastique, et certains rêvent d’aller exploiter les fonds marins, au risque de graves conséquences sur la vie de ces mondes. Apprenons donc à réfléchir avant d’agir !
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