Les Droits de l’Homme 75 ans après : plus que jamais, au service de l’Espérance !

Les événements présents à travers le monde, la guerre et le déchaînement de haine qu’elle entraîne, les injustices et les violences, exigent un code minimal de conduite, pour, comme le disait Camus en 1957, « éviter que le monde ne se défasse ».

Nous admirons le courage des millions de femmes et d’hommes qui appuient leur résistance sur cet « outil », et nous nous souvenons qu’il y a 75 ans, le 10 décembre 1948, l’Organisation des Nations Unies proposait à tous les peuples et toutes les nations la Déclaration universelle comme un « idéal commun à atteindre ».

Le cylindre de Cyrus parfois considéré comme la première déclaration des droits de l’homme de l’histoire

Le pape François (Sept. 2023, Conseil de l’Europe) constatait que « les temps de crises sociale, économique, sécuritaire, et identitaire, mettent au défi les démocraties occidentales de répondre efficacement mais en restant fidèles à leurs principes ».

Cette commémoration, loin de nous éloigner des terrains de violences, invite à revisiter ces textes, les convictions qui les inspirent et les mécanismes qui en découlent. À les confronter aux défis actuels. À définir les limites des droits de l’homme (ne pas en attendre trop). À nous y engager modestement mais fermement.

Je ne m’appesantirai pas sur les changements de dénomination : droits de l’homme, droits humains, droits fondamentaux… Plus que des effets de mode, ils signifient parfois de vrais changements dans la manière d’approcher la dignité de la personne.

Le procès
Après une relative euphorie dans les années 1970/90, et avant l’indifférence actuelle, la dynamique des droits humains fut critiquée. Nombre d’intellectuels « engagés » dénonçaient le « droitdelhommisme » naïf ou trompeur. Après le drame des attentats du 11 septembre 2001, s’est ouvert un véritable procès : rejet du concept d’un droit naturel supérieur d’où découleraient droits et devoirs. (Le procès des droits de l’homme. Justine Lacroix et Jean-Yves Prandrière. Seuil 2016). Dénonciation de l’impérialisme occidental. Refus d’abandonner la souveraineté de l’État. Mise en cause de l’universalité des droits : les droits de l’homme, oui, mais conformes aux « caractéristiques » chinoises ! Rejet de la dérive individualiste. Inflation des droits exigibles. Oubli des devoirs. Ignorance du dérèglement climatique. Inefficacité face aux attentats « terroristes ». Impuissance devant les pandémies universelles. Sentiment de dérision devant la guerre Hamas/Israël, etc. Autant de critiques qu’il faut prendre au sérieux, sans naïveté quant aux motifs qui les animent.

Les droits humains comme un cri
Les droits de l’homme ne constituent ni une idée ni un remède miracle. Ils peuvent être déclinés en quatre étapes. Ils expriment un cri lancé dans un contexte particulier. En 1948, il convenait de réagir contre la folie meurtrière dont le monde venait d’être victime. La Déclaration affirme « que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie ». Est-ce obsolète face à ce qui se déroule en Palestine-Israël ? Le texte s’inscrivait dans un élan utopique visant « l’avènement d’un monde où l’être humain serait libre de parler et de croire, libéré de la terreur et de la misère ». Un beau programme pour aujourd’hui.

Logo du 75e anniversaire de le Déclaration universelle des droits de l’homme
https://www.ohchr.org/fr

Acte de foi en la dignité
Après le cri, la dynamique des droits de l’homme pose un acte de « foi… dans la dignité et la valeur de la personne humaine ». Heureusement (à mes yeux) la dignité n’est pas définie par les textes juridiques : l’on parle d’une déclaration « orpheline ».

La dignité évoque la valeur intrinsèque et inaliénable de toute personne ; elle envisage un appel à son « dépassement », un au-delà de toutes les limites apparentes. La dignité est-elle un concept dépassé, ou pour le moins « fatigué » ? (Cynthia Fleury. La clinique de la dignité. Seuil. 2023).

Pour les croyants en Dieu, elle a son origine dans la création de l’être humain à l’image et à la ressemblance de Dieu. Pour les non croyants en Dieu et selon l’esprit des Lumières, la personne est digne et cela suffit. Pour tous, ce concept a l’avantage « d’inviter à un respect absolu de tout autrui et de soi-même » (Marie-Jo Thiel. La Vie 7/09/023). Bel outil pour notre humanité mondialisée riche d’une grande diversité culturelle. « Seul un dialogue ambitieux et modeste entre tous les humanismes de la planète pourra nous en (la dignité) approcher et préserver l’humanité de la barbarie ». (Abdenour Bidar. Histoire de l’humanisme en Occident. Armand Colin. 2014). Toutes les familles de pensée devraient s’inviter dans ce dialogue. « Le respect de ces droits est une condition préalable au développement même du pays… Quand la dignité de l’homme est respectée et que ses droits sont reconnus et garantis, fleurissent la créativité et l’esprit d’initiative » (Pape François, Fratelli Tutti).

Catalogue de droits inaliénables
Affirmer la dignité de la personne, c’est bien. S’engager à en respecter les droits fondamentaux qui en découlent, c’est plus difficile. Il s’agit d’un engagement « politico-juridique », souscrit par un état qui décide non seulement de ne pas bafouer les droits énoncés ; mais aussi de créer les conditions de leur respect. La mention des devoirs n’est pas absente ; insuffisamment développée aux yeux de certains. Ces droits, énumérés et complétés par de nombreux textes mondiaux, continentaux, nationaux, rassemblent des droits civils, civiques, économiques, sociaux et culturels ; peu à peu un droit des générations futures à un environnement sain. Un double défi est posé : comment éviter l’inflation et la transformation en droits de désirs individuels non fondamentaux ? L’interprétation du concept de dignité divise. Comment vivre la fin de notre vie ? Qu’en disent les notions de dignité et de liberté ? Ou à propos des modalités du maintien de l’ordre, entre la sureté et la liberté. Comment respecter le principe ancestral de l’hospitalité ?

Contrôle, interpellation, jugement
L’outil droits de l’homme, parce qu’il est juridique, prévoit des modalités de contrôle, d’interpellation, de jugement. Par la Justice nationale bien sûr ; mais aussi par des organismes nationaux indépendants (Défenseur des droits, Contrôleur des lieux de privation de liberté, Commission informatique et liberté, Comité national d’éthique…), continentaux (Cour européenne…), mondiaux (Conseil des droits de l’homme, Cour Pénale Internationale…).

Quid du respect de la souveraineté de chaque État ? D’une part, c’est bien l’État qui a souscrit à de telles obligations et aux mécanismes qu’elles instaurent. La parole donnée est en jeu. D’autre part les moyens de coercition sont inexistants, ou très limités. La pression et la négociation sont la règle. Toute société nationale ou mondiale a besoin d’organe de régulation. Le multilatéralisme, souhaité il y a 75 ans, n’est plus de mise. Il y a là un enjeu politique important, peu pris en compte en ces temps de replis nationaux et identitaires.

Quelle utilité face à la guerre ?
« Plus jamais cela ! ». Les règles internationales n’ont jamais empêché les conflits. Avec la naissance du « droit humanitaire » et de la Croix Rouge (1863), des organismes ont voulu relever le défi « d’humaniser la guerre ». Protéger les « civils », soigner les blessés, interdire les pratiques telles que destruction massive et systématique, élimination d’un peuple entier, torture, viol, traitements inhumains, affamer une population, etc. À partir de ce socle juridique international, des gouvernements et des organes mondiaux ou nationaux peuvent non seulement dénoncer de telles inhumanités, ˗ il est sain de ne pas demeurer muet ˗, mais aussi lancer des appels pour que les auteurs soient poursuivis. Autant de moyens de pression contre des gestes de barbarie. Existe aussi l’ambition de prévenir de tels crimes (de guerre, contre l’humanité, génocide, etc.) en menaçant leurs auteurs de sanctions et en mettant sur pied un embryon de juridiction mondiale, la Cour Pénale Internationale. Mais à quoi bon tant de textes ou de conventions si leur application ne peut être assurée ? Cette question ne délégitime en rien l’élaboration des principes humanitaires mais interpelle vivement les autorités politiques : quelles initiatives nouvelles et contraignantes peuvent-elles imaginer, « ensemble » ?

© Gerd Altmann de Pixabay

Et pour demain ?
Quelques-uns désirent qu’en 2028 s’ouvre un débat mondial pour « une nouvelle déclaration » ; nombreux sont ceux qui pensent un tel exercice voué à l’échec et dangereux pour les droits humains.

L’éducation et la formation permanente restent déterminantes pour permettre à l’individu d’apprendre à grandir dans le respect et l’épanouissement de la dignité de tous. Pour aider à redécouvrir la nécessité du droit dans toute société, ainsi que ses limites. À créer les conditions politiques et économiques permettant « d’agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » (Déclaration universelle).

La dynamique des droits de l’homme ne supprime en rien les pesanteurs humaines ni les violences. Elle conduit toute société à s’interroger sur son système dominant : le profit maximal et la concurrence identitaire. Si les droits de l’homme ne remplacent pas l’action politique ni son expression démocratique, ils les interpellent vigoureusement et devrait les influencer dans le cadre national et surtout européen. L’Europe est attendue. Elle a déjà beaucoup fait pour les droits de l’homme. Il lui reste beaucoup à oser.

Les habitants de Gaza et d’Israël, les peuples ukrainien, ouïgour et afghan, les femmes iraniennes, les paysans sans terre, les exclus de nos contrées, les enfants-esclaves, les artisans de paix, et bien d’autres nous donnent de multiples rendez-vous : ceux de la fraternité vécue !