Un acte responsable : voter

Les élections, notamment présidentielles, représentent un temps fort de la vie démocratique ?

Certes, la campagne actuelle prend un tour imprévisible. Aujourd’hui, les électeurs se reconnaissent difficilement dans les idéologies qui ont inspiré les forces politiques depuis les années 70. Des repères qui semblaient fermes s’estompent, au point que certains sont tentés par l’abstention ou le vote protestataire. Le conseil permanent de la conférence des évêques de France a précisé que « chacun doit s’interroger et prendre ses responsabilités. Nous ne pouvons pas laisser notre pays voir ce qui le fonde risquer de s’abîmer gravement, avec toutes les conséquences qu’une société divisée peut connaître. C’est à un travail de refondation, auquel il nous faut, ensemble, nous atteler. »[1]

 

Une démocratie précieuse et fragile

Le régime démocratique est celui qui honore le mieux la liberté et la dignité humaine. Comme le souligne le pape François, au n° 231 de Laudato si’, la vie démocratique suppose la participation de chacun des citoyens, sous le mode d’un esprit civique qui guide les choix quotidiens, et bien sûr en prenant part aux élections. La liberté s’inscrit en des responsabilités concrètes, de manière à promouvoir le bien commun et non la simple recherche d’intérêts particuliers. Les choix opérés auront alors pour objectif le développement du peuple, au sein de l’humanité entière, et le développement de chacun dans le peuple. Il importe donc de porter une attention particulière aux concitoyens les plus fragiles, au lieu de cautionner les discours politiques de tous bords qui stigmatisent les « pauvres » en les désignant comme des assistés.

Le temps électoral ravive les tensions qui traversent la société, il met en lumière les oppositions d’intérêts et de projets. Chacun constate alors que son propre point de vue, même s’il jouit d’une certaine légitimité, n’est pas partagé par tous. La vie commune implique forcément des compromis ; sinon, la dislocation violente prend le dessus. Ce temps fort de la vie démocratique, s’il réduit le débat à des « affaires », risque de conduire au désamour envers la chose publique, avec des jeux de distanciation hautaine et cynique, ou de provoquer des pulsions de colère qui réduisent le vote à une réaction agressive.

 

Un choix responsable

Le sens de la responsabilité appelle donc à ne pas déserter le champ politique, afin d’opérer un discernement en raison, sur une base éthique. Une évocation de Paul Ricœur peut éclairer notre jugement. Il présente l’éthique comme la quête d’une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes. À ce propos, la tradition catholique rappelle que « la politique est le domaine le plus vaste de la charité » (Pie XI). Quant à la morale, selon Ricœur, elle renvoie à des principes, à des critères de jugement. Retenons l’énoncé des « droits de l’homme », avec au cœur la dignité de chaque personne humaine. Enfin, il évoque la sagesse pratique comme étant le choix entre plusieurs nuances de gris, plutôt qu’une option brutale entre le noir et le blanc.[2]

Une telle figure est précieuse en un temps d’indécision. Plutôt que l’abstention hautaine ou le bulletin de la colère, il vaut mieux opter pour le candidat qui correspond le mieux à notre jugement éclairé ; parfois on se contentera de celui qui est le moins éloigné de nos convictions. Pour cela, il est sain de se défaire tant d’une vision « sacralisée » de la fonction de chef d’État que d’une réduction du vote à un choix binaire entre le bon et le mauvais ! Aucun projet humain ne doit être considéré comme un absolu.

 

Des enjeux majeurs

Pour ce discernement entre le gris et le gris, au cœur du réel et non dans un monde imaginaire, des points d’attention méritent d’être rappelés. En premier, la dignité de toute personne humaine, quel que soit son statut ; ce qui comprend la possibilité pour cette personne de disposer de moyens concrets pour mener une vie digne. Ensuite, la primauté du bien commun sur les intérêts particuliers. Et, bien sûr, la prise en compte de l’avenir de la vie sur terre : le choix résolu de projets écologiques.

Deux défis majeurs nous sont posés ; nous risquons de les oublier dans le bouillonnement d’une actualité hystérique. D’une part, la tentation du repli sur soi (individuel et collectif) alors que nous sommes de fait de plus en plus reliés aux autres ; c’est donc le bon moment pour découvrir la beauté d’une solidarité qui abat les murs au lieu d’en construire de nouveaux. D’autre part, le défi d’une vie possible et bonne pour les générations à venir : il nous faut choisir la vie et non la mort.

En cette période de Pâques, les chrétiens se souviennent que la violence et la haine n’ont pas fatalement le dernier mot. Ils sont appelés à témoigner d’une espérance qui déborde tous leurs projets, mais qui prend corps en des solidarités concrètes au quotidien, par l’engagement de chacun, par l’organisation d’une vie commune sous le signe de la justice et de la paix. Il est urgent de rappeler que la fraternité, inscrite au fronton des édifices publics, demeure notre programme commun !

 

[1] Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique, Bayard, Cerf, Mame, octobre 2016, p. 16.

[2] Paul RICOEUR, Réflexion faite, autobiographie intellectuelle, Ed. Esprit, 1995, p. 80-81.