Pacte Vert pour le climat

À l’approche des élections européennes, il est déterminant d’examiner le sujet le plus vaste, mais aussi le plus controversé de l’action européenne : le Pacte vert (Green Deal).

Rappelons tout d’abord que 90 % de la législation environnementale française est issue de longue date du droit européen (efficacité énergétique de l’électroménager puis des bâtiments, substances chimiques, espaces naturels…). Parmi les compétences de l’Union européenne se trouve aussi la négociation commune au sein de la Conférence des nations unies sur les changements climatiques (UNFCCC). Dès la signature du protocole de Kyoto (1997) c’est un objectif global que s’est fixé la “bulle européenne” (-8 % de Gaz à effet de serre (GES) entre 1990 et 2012).

Depuis 2019 toutefois, cette action déjà forte, mais discrète, a été renforcée et a gagné en cohérence et en visibilité. Ceci grâce à un nom, le Pacte vert, et à un objectif : se conformer aux objectifs de l’Accord de Paris via une trajectoire se fixant comme but la neutralité carbone en 2050 avec un objectif intermédiaire de réduction des émissions de 55 % en 2030.

Pour atteindre cet objectif, l’Union européenne a tenté une approche ambitieuse et transversale, ce qui a sans doute nui à sa lisibilité. On pourra également se demander si l’approche choisie, s’appuyant largement sur le marché et les techniques, ne gagnerait pas à intégrer une approche plus inspirée par l’écologie intégrale.

Petite généalogie du Pacte vert
Pour comprendre les débats actuels, il est utile de se remémorer les conditions de démarrage du Green Deal. En août 2022, la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen évoquait devant les jeunes de Taizé combien les marches pour le climat et la mobilisation des jeunes avaient été déterminantes pour faire du Pacte vert le grand projet de l’Europe. L’histoire est belle mais la réalité est plus complexe. En 2019, Mme Von der Leyen était une allemande conservatrice ayant constitué une majorité large (centre droit au centre gauche) autour de ce projet. 2019, c’est peu après l’accord de Paris, juste après les marches climat qui ont sillonné l’Europe et aussi après un résultat record des écologistes. Il est intéressant de noter que ces derniers ne faisaient pas partie de la coalition mais que ce thème “consensuel” permettait de leur “couper l’herbe sous le pied”.

L’objectif du Pacte vert est donc de respecter l’accord de Paris… en faisant de l’Europe un continent leader en matière de transition énergétique tout en préservant sa croissance économique. “Si le Green Deal peut mobiliser et réunir, c’est qu’il promet de concilier la préservation de la planète et le développement des économies”[1].

Une approche systémique louable
La Commission va passer en revue toutes les législations européennes en leur appliquant le principe « Do No Significant Harm », en bon français “l’absence de préjudice important” sur le climat.

Cela se concrétise par une kyrielle de mesures législatives mouvantes que nous allons tenter de décrire dans les grandes lignes et qui concernent les ⅔ des émissions.

Dès juin 2021 est votée la loi climat qui vise la neutralité carbone d’ici à 2050 et au-delà. Le paquet FitFor55 fixe un objectif intermédiaire de réduction des GES de 55 % par rapport aux émissions de 1990, d’ici à 2030. La démarche est sérieuse puisque ces textes sont contraignants, contrairement aux accords internationaux. De plus, chaque État membre a l’obligation de présenter un “plan énergie-climat” (PNEC) à la Commission européenne tous les 10 ans.

Parmi les mesures prises, on remarquera la sortie progressive du charbon. Comme le rappelait la présidente de la Commission à la COP 28 de DubaïAu sein de l’UE, 10 de nos États membres n’utilisent déjà plus du tout le charbon. 10 autres États membres élimineront progressivement le charbon d’ici à 2030. La plupart des sept États membres restants suivront de près”.

Concernant l’énergie, la guerre en Ukraine a nécessité des ajustements avec la tentation de donner la priorité à de nouveaux approvisionnements de gaz (la Russie fournissait 44 % du gaz européen et aujourd’hui 15 %). Une sortie “par le haut” de cette crise a été la feuille de route REPowerEU (2022) qui vise à augmenter la part des renouvelables (hydraulique, solaire ou éolienne) à 42,5 % de la consommation finale européenne d’ici à 2030 (contre 23 % en 2022).

Le second secteur concerne les performances énergétiques des bâtiments. Le bâtiment représente 36 % des émissions de l’UE et c’est un domaine où les innovations techniques, depuis 20 ans, ont montré une grande efficacité et un fort potentiel de création d’emploi. Le parc devra être neutre en carbone d’ici à 2050, les nouveaux bâtiments à partir de 2030, et les bâtiments neufs occupés ou détenus par les autorités publiques, dès 2028. Les bâtiments résidentiels devront être rénovés afin de réduire leur consommation énergétique d’au moins 16 % d’ici à 2030 et d’au moins 20 à 22 % d’ici à 2035.

Sur la “mobilité durable”, un axe qui fait couler beaucoup d’encre, l’orientation est claire : interdire la vente des véhicules thermiques en 2035 mais aussi obliger les constructeurs à réduire les émissions de CO2 de 55 % pour les voitures et de 50 % pour les camionnettes neuves sur la période 2030-2034. Cela a déjà stimulé une amélioration des performances énergétiques des véhicules, bien que l’engouement pour les SUV, à grand renfort de publicité, en ternisse les résultats. On pourra regretter ici le “tout” motorisation sans toucher à la culture de la voiture ou à la propriété (en s’orientant vers une économie de fonctionnalité : voitures partagées…).

Côté industrie, en mars 2023, la Commission présente deux propositions de règlements : Net-Zero Industry Act et Critical Raw Materials Act pour stimuler ses technologies « propres » et réduire sa dépendance aux matières premières critiques (notamment celles des batteries ou des renouvelables). Ce sera complété par une taxe carbone aux frontières qui semble faire l’unanimité.

L’Europe ne se limite pas à réduire ses émissions, elle agit aussi sur la captation du carbone par les sols, les plantes et le bois et la prévention de la déforestation. Ainsi, la stratégie forestière interdit la mise sur le marché européen ou de l’export depuis l’UE de produits issus de la déforestation : le bois, le caoutchouc, le bœuf, le café, le cacao, l’huile de palme et le soja. Les dérivés de ces matières premières sont aussi concernés, comme le cuir, le chocolat, le charbon de bois ou encore certains produits cosmétiques.

Si l’approche systémique est louable, le grand nombre de textes concernés (75 !) nuisent à sa lisibilité : stratégies, directives, règlements, communications (le non juriste est perdu !). De plus, pour produire des effets dans les États membres, ces textes devront aussi suivre un long processus de mise en œuvre et d’évolution. Cette faible lisibilité prête le flanc à de nombreuses critiques notamment sur son volet biodiversité.

Un ensemble peu lisible et facile à critiquer
La crise des agriculteurs qui s’est manifestée dans une dizaine de pays européens a fait du Green deal un bouc émissaire d’autant plus commode qu’il est difficile à appréhender.

Les mesures reprochées au Pacte vert par les grands syndicats agricoles étaient plutôt liées à la guerre en Ukraine (comme l’importation massive de betteraves) ou à des mesures de précédentes Politique agricole commune. La loi pour la restauration de la nature, censée contribuer à appliquer la Convention internationale sur la biodiversité qui implique de protéger 30 % des terres émergées, n’a pu être votée que largement vidée de son contenu et la réduction des pesticides de 50 % a été abandonnée. Lorsqu’on regarde le débat organisé récemment par le Shift project[2] avec les têtes de liste françaises aux élections européennes, on constate qu’ils parlent largement de choses différentes, ce qui rend difficile une réelle comparaison entre les programmes.

Le Pacte vert est aussi difficile à appréhender car il s’appuie largement sur le marché du CO2, dispositif méconnu et opaque.
Un tiers de la réduction d’émissions du Pacte vert s’appuie sur le marché appelé Système d’échange de quotas d’émission (SEQE), pour les entreprises qui consomment beaucoup d’énergie (cimenterie, sidérurgie, production d’électricité, etc.). Il concerne aujourd’hui plus de 10 000 établissements (40 % des émissions de l’UE) et constitue le plus grand marché de quotas d’émission au monde. Ce marché semble efficace puisque les émissions de ces secteurs ont diminué de 38 % entre 2005 et 2022. En effet, malgré les ratés des années 2005/2009, où le prix initial était tombé à 11€ la tonne, il est aujourd’hui autour de 80€, prix significatif et suffisant pour induire une transition vers les énergies renouvelables.

Un autre outil, financier, vise très justement à orienter les capitaux, publics et privés, vers des investissements verts. Il a déjà été appliqué de manière volontaire par de nombreuses institutions, dont un tiers des congrégations et diocèses catholiques, le signal du désinvestissement des combustibles fossiles a montré son efficacité.

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Désinvestissement des énergies fossiles

Afin de clarifier ce qu’est un “investissement vert”, l’Union européenne a élaboré une “taxonomie”. Hélas, cet outil précieux a été mis à mal par les pressions d’un petit groupe de pays dont la France qui se sont alliés pour y inclure le nucléaire et le gaz.

Un instrument budgétaire lié à la relance post-COVID, NextGenerationEU met en place des subventions européennes à hauteur de 800 milliards d’euros dont une bonne partie s’oriente vers les énergies renouvelables.

Le quatrième dispositif est un fond de 65 milliards d’euros pour la période 2026-2032, qui a pour but de compenser les effets sur les plus pauvres de l’extension du SEQE (qui devrait bientôt s’appliquer aussi aux transports et au bâtiment). On notera que ce fond “transition juste”, apparemment impressionnant, revient en fait à 20€ par Européen et par an. Ce dispositif semble le parent pauvre de l’ensemble d’une démarche qui s’appuie essentiellement sur le marché des droits à polluer et sur le passage aux technologies “propres”.

On pourra se demander si l’option largement technocratique, la confiance dans le marché et l’insuffisante construction d’un imaginaire alternatif ne seraient pas à l’origine des difficultés que connaît aujourd’hui le Pacte vert.

L’encyclique Laudato si’ (2015), reprise dans l’exhortation Laudate Deum (2023), émet des réserves quant à “une confiance aveugle dans les solutions techniques” [§14], ce qui nous encourage à une approche un peu différente de celle choisie par la Commission actuelle.

Une alternative pourrait être la trajectoire énergétique CLEVER (Collaborative Low Energy Vision for the European Region), publiée récemment par une alliance d’universitaires et d’organisations de la société civile qui repose sur une coordination des approches nationales et, plus amplement, sur l’efficacité et la sobriété énergétique. Ce scénario choisit des options moins “techno solutionnistes”. Il a été complété récemment par un Manifeste pour la sobriété en Europe. C’est sans doute un domaine où les chrétiens et plus globalement les croyants pourraient porter une voix bien plus forte afin de promouvoir un modèle alternatif “la sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire” (LS §223).

[1] Revue de l’Économie politique n°101. Quelle Europe face au désordre mondial ? Un premier bilan du Pacte vert, Xavier Timbeau, OFCE https://www-cairn-info.faraway.parisnanterre.fr/revue-l-economie-politique.htm
[2] Quel avenir pour le Pacte Vert européen ? Le débat.