La Bosnie-Herzégovine, 30 ans après la guerre, un conflit toujours paralysant

Trente ans après le début de la guerre en Bosnie-Herzégovine, la situation reste déprimante dans ce pays enclavé des Balkans. L’exode de la population se poursuit lentement. Les jeunes partent chercher un travail au nord de l’Europe, particulièrement en Allemagne. Mais l’émigration s’explique aussi par le sentiment d’un avenir bouché, sans perspective.

La guerre déclenchée par la Russie en Ukraine en février dernier a en outre ravivé de douloureux traumatismes. Ceux du conflit qui fit plus de 100 000 morts de 1992 à 1995. Le canon ne tonne plus en Bosnie mais le souvenir des combats et des atrocités commises peut se réveiller à tout moment chez les personnes qui ont vécu cette période noire. Environ 12 000 personnes sont toujours portées disparues, une réalité lourde rappelée par le récent film La Voix d’Aïda de la réalisatrice Jasmila Zbanic consacré au massacre de Srebrenica.

La réconciliation entre Musulmans, Serbes et Croates qui peuplent le territoire restera compliquée tant que les dirigeants politiques de ces communautés entretiendront leurs discours ethno-nationalistes. De nombreux habitants, notamment à Sarajevo, la capitale, voudraient se définir comme « Bosniens », façon de promouvoir une citoyenneté nationale. Mais les trois partis nationalistes qui se partagent le pouvoir agissent de façon inverse.

Le SNSD serbe, le SDA bosniaque et le HDZ croate continuent d’aiguiser les clivages pour conserver leur mainmise non seulement sur la vie politique, mais aussi sur la justice, les médias et une grande partie des emplois publics ou privés. La distribution des postes et des emplois selon des critères d’allégeance partisane répand la corruption dans la plupart des secteurs ayant une incidence directe dans la vie quotidienne des habitants : la santé, l’éducation, les services publics.

La Bosnie-Herzégovine souffre de l’organisation institutionnelle mise en place par les accords de Dayton, négociés aux États-Unis en novembre 1995. Selon une formule fréquemment utilisée, les textes signés quelques semaines plus tard à Paris mirent fin à la guerre mais pas au conflit. La Constitution, qui en fait partie intégrante, est toujours en vigueur. Or elle a figé le pays dans une structure complexe et paralysante. L’État de Bosnie-Herzégovine est composé de deux entités, la Fédération de Bosnie-Herzégovine – elle-même constituée de dix cantons – et la Republika Srpska, ainsi que le district autogéré de Brcko. Au total, quatorze pouvoirs exécutifs interviennent à des niveaux divers avec des conflits fréquents sur la répartition des compétences.

Le contexte politique s’est en outre tendu fin 2021 depuis que l’homme fort de la Republika Srpska – l’entité à majorité serbe de la Bosnie-Herzégovine -, Milorad Dodik a déclenché un processus de sécession, avec la création d’institutions parallèles à celles qui existent déjà au niveau national à Sarajevo. Ce proche de Viktor Orban, le premier ministre hongrois, bénéficie aussi du soutien de la Russie. Ses manœuvres dangereuses s’inscrivent dans la perspective des élections générales prévues en octobre prochain dans tout le pays pour renouveler les parlements et assemblées des différentes entités.

Cette instabilité est l’une des raisons du sommet Union européenne-Balkans occidentaux qui sera organisé au mois de juin, dans le cadre de la présidence française du conseil de l’Union européenne. La Bosnie-Herzégovine est en effet l’un des six pays de la région qui frappent encore à la porte de l’UE – avec la Serbie, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine du Nord et le Kosovo. Le sommet cherchera à créer une dynamique globale pour qu’ils restent dans une perspective d’adhésion, fut-elle lointaine.

La France est particulièrement attendue. Durant son premier mandat, Emmanuel Macron a en effet douché les espoirs de l’Albanie et de la Macédoine du Nord d’être reconnus comme candidats à l’adhésion – un statut déjà octroyé à la Serbie et au Monténégro – tandis que la Bosnie et le Kosovo n’ont pas accompli suffisamment de réformes pour pouvoir y songer. Dans la perspective d’une Union comptant un jour 33 États membres ou plus, le président français veut d’abord pousser à une réforme des institutions, pour éviter qu’elle ne soit ingouvernable.

Un horizon doit pourtant être donné aux Balkans occidentaux, où la Russie, la Chine et la Turquie déploient leurs influences concurrentes. La guerre en Ukraine contraint les Européens à se réintéresser d’urgence à ces pays encalminés dans leurs différends, pour éviter de nouvelles déstabilisations. Pour les « Bosniens », ce sera une chance à saisir.