Élections européennes 2024, le risque d’une majorité étriquée

Le scrutin du 9 juin prochain va reconfigurer les rapports de force politiques dans l’Union européenne (UE). Les partis les plus europhiles devront se compter.

De Taïwan aux États-Unis, en passant par l’Inde et le Royaume-Uni, le calendrier 2024 est jalonné d’élections majeures à travers le monde. Les élections européennes prévues du 6 au 9 juin prochains s’inscrivent dans cet agenda de scrutins décisifs pour orienter le cours des années à venir. C’est une première particularité de la campagne et du vote attendus dans toute l’Union européenne : les Européens vont choisir leurs députés avec, dans le viseur, non seulement le contexte politique particulier de leurs pays respectifs, qui tend inévitablement à nationaliser chacun des 27 scrutins simultanés, mais aussi un contexte international des plus agités, graves et incertains. L’ombre de la présidentielle américaine et d’un éventuel retour revanchard de Donald Trump devraient sans doute planer sur les législatives européennes.

Ces contextes international et national (mi-mandat du président Macron en France) tendus ne doivent pas étouffer les enjeux propres aux élections européennes. Celles-ci visent d’abord à légitimer et orienter le projet européen, à assoir la base démocratique des décisions prises par ses institutions, à les rapprocher de leur source citoyenne. C’est pourquoi la participation électorale sera le premier chiffre scruté. L’enjeu pour les défenseurs d’une place éminente du Parlement européen au sein de l’UE est de transformer l’essai de 2019, qui surprit par une hausse générale de 8 points de la participation, dépassant les 50 % après un déclin ininterrompu depuis 1979. Une enquête Eurobaromètre publiée à six mois des élections indique que la participation devrait poursuivre cette tendance à la hausse en 2024. Ce serait un bon signe de santé de la démocratie représentative, en crise dans nombre de nos pays.

Cette légitimation renforcée ne concerne pas que les 720 députés à élire pour les cinq prochaines années, dont 81 de France. De ces élections découlent la composition partisane de l’hémicycle de Strasbourg mais aussi la couleur politique dominante de la Commission européenne. Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept doivent « (tenir) compte du résultat des élections » dans leur choix pour sa présidence. N’en déplaisent aux tenants de têtes de liste qui seraient de potentiels chefs de l’exécutif communautaire (Spitzenkandidaten), les Européens n’éliront pas le 9 juin le président de la Commission, même indirectement. Mais ils en guideront indiscutablement le choix consécutif. Si Ursula von der Leyen se présente pour un deuxième mandat, comme tout le laisse croire, il est fort possible que ces élections porteront cette fois davantage sur le nom et bilan de celle qui incarne aujourd’hui l’Europe. Il en va, pour elle, de sa légitimation, qui, à la suite des précédentes élections, n’allait pas du tout de soi aux yeux des eurodéputés.

Ceux-ci jaugeront en premier lieu les rapports de force respectifs de leurs groupes à l’issue du scrutin. Et ils devront prendre la mesure d’une plus grande fragmentation attendue de l’hémicycle européen, comme le projettent les derniers sondages électoraux. Ce potentiel éclatement pousse des ténors de la majorité présidentielle en France à dramatiser une Union ingouvernable, où l’extrême-droite occuperait suffisamment de sièges pour former une minorité de blocage. En l’état actuel des projections, la crainte la plus fondée est celle d’une majorité pro-européenne plus à l’étroit. Les précédentes élections européennes avaient déjà vu les deux principaux groupes politiques, les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates, insuffisants à former une majorité comme auparavant. Ils avaient dû s’entendre avec les libéraux et les écologistes pour constituer, à quatre groupes, la majorité où ont été élaborés les compromis durant la présente législature. La Commission sortante repose toujours sur cette majorité, qui, à l’approche des élections, a eu plus de peine à s’accorder sur des textes aussi décisifs que ceux du Pacte sur l’asile et la migration. Pour la prochaine mandature, où les Verts devraient perdre des sièges, ces forces pro-européennes devront se compter et s’entendre sur le programme confié à la future Commission.

Les forces populistes à l’essor attendu entraveront elles le processus législatif ? Dans le Parlement sortant (1), les droites radicale et extrême bien qu’en nombre n’ont exercé aucun poids notable sur la législation. D’autant que l’invasion russe de l’Ukraine a divisé ces voix entre celles atlantistes, défendant l’Ukraine, dominées par le parti de Giorgia Meloni et le PiS polonais, et celles jamais critiques de Moscou (RN français, AfD allemande, FPÖ autrichien, Lega italienne…) auxquelles s’ajoute le parti de Viktor Orbán. La reconfiguration de cette partie de l’hémicycle est l’un des enjeux du 9 juin prochain. Avec un éventuel rapprochement de la droite conservatrice de Meloni avec des chrétiens-démocrates. Au coût d’un relâchement de la politique environnementale. Mais tout reste encore ouvert.

(1)

Mandat 2019-2024

PPE,                       176 élus  Parti populaire européen  (Démocrates-Chrétiens)
S&D,                      143 élus  Alliance des Socialistes et Démocrates
RE,                         101 élus  Renew Europe
Les Verts/ALE,    72 élus  Les Verts/ALE
CRE/ECR,             66 élus  Conservateurs et Réformistes européens
ID,                           61 élus  Identité et Démocratie
GUE/NGL,            37 élus  La gauche au Parlement européen
NI,                          49 élus  Liste des non-inscrits