Poser un regard évangélique, et non politisé, sur les migrants
Amedeo Lomonaco – Cité du Vatican
Depuis 1990, 43 390 personnes sont mortes en mer alors qu’elles tentaient de gagner l’Europe. Leurs noms ont été égrenés et une bougie a été allumée pour chacun d’entre eux au cours de cette veillée baptisée “Mourir d’espérance”, qu’a organisé la communauté de Saint’Egidio, aidée de plusieurs autres associations, en vue de la Journée mondiale des réfugiés du 20 juin prochain. Ce temps de prière s’est tenu dans la basilique de Santa Maria in Trastevere, et a pu être suivi par des migrants de différents pays ainsi que par les proches des personnes disparues.
Le naufrage de la civilisation
Dans son homélie, le secrétaire d’État du Saint-Siège, le cardinal Pietro Parolin, se référant au passage de l’Évangile de la tempête apaisée, a exhorté les fidèles à tourner leur regard vers «les si nombreuses vies brisées alors que, sur terre ou sur mer, elles étaient en quête d’espérance». Rien que l’année dernière, au moins 4 071 personnes ont perdu la vie en Méditerranée et le long des routes terrestres pour tenter de rejoindre le continent européen. «C’est une tragédie qui, depuis des années, frappe aux portes de notre maison et surtout à la porte de notre conscience. Et qui pourrait encore plus tristement dégénérer en un véritable naufrage de la civilisation», a affirmé le cardinal italien.
De “mare nostrum” à “mare mortuum”
La mer Méditerranée a longtemps été «davantage un lieu de confrontation qu’un symbole de rencontre». Autour des eaux qui ont vu naître certaines des plus splendides civilisations de l’histoire, «nous assistons à une régression de la vie commune, avec des naufrages, des morts, des scènes de rage et de misère, des débats et des discussions sans fin, des exploitations de toutes sortes et surtout trop d’indifférence», a souligné le cardinal Pietro Parolin. Ainsi, l’ancien nom donné par les Romains à la Méditerranée, «mare nostrum», (notre mer) «risque de se transformer en une désolante mare mortuum» (mer de la mort).
Guidés non par des convictions politiques mais par l’Évangile
Sur la question des migrations, le risque indiqué par le secrétaire d’État du Vatican «est celui de rester somnolent, et de se réveiller soudainement lorsque les nouvelles mettent sous nos yeux des images choquantes, comme celles, récentes, d’enfants gisant sur la plage de Zuwara, en Libye». Ce risque est aggravé par un autre problème, celui des partis pris, «qui risquent de dégénérer en visions antithétiques et politisées : accueil contre défense des frontières, solidarité contre sécurité, internationalisme contre patriotisme». Autant d’antinomies qui nous font oublier la singularité de chaque personne humaine, et le caractère concret de son histoire, s’inquiète le cardinal Parolin.
«Nous devons admettre que, même parmi les croyants, nous sommes souvent guidés par certaines convictions politiques, plutôt que par la Parole radicale de l’Évangile, qui nous exhorte à ne pas être contre qui que ce soit et à aimer notre prochain, chaque prochain, surtout les plus faibles, ceux par qui Jésus nous répète : “Je suis là”. C’est le programme chrétien, qui ne se laisse pas subordonner par les opportunités du moment, parce que, comme l’écrit Benoît XVI, il est “un cœur qui voit” (Deus caritas est, n. 31)».
Invitation à la fraternité et à la solidarité
«Dans la tempête que nous affrontons, a observé le secrétaire d’État, le Seigneur nous offre une boussole. Battus par des vents qui poussent dans des directions opposées, nous devons regarder vers le haut pour nous orienter».
La solidarité est le moyen de sortir de l’obscurité de la tempête, a-t-il poursuivi, en invitant les fidèles à prier également pour les dirigeants et les responsables de la société civile.
«Prions pour les institutions européennes, afin que la question migratoire trouve enfin une réponse solidaire. L’Europe, en effet, ne pourra envisager un avenir cohérent que si elle sait dépasser la poursuite d’intérêts particuliers et mener des politiques d’envergure visant une intégration de plus en plus indispensable. Si l’unité ne se trouve pas dans la solidarité, il sera difficile de la trouver dans quoi que ce soit d’autre. Les intérêts, en fait, ne s’unissent pas vraiment, mais se referment sur eux-mêmes».
L’exhortation est donc de «porter notre attention sur les noms avant les chiffres, sur les visages avant les statistiques, sur les histoires de vie avant les faits bruts de l’actualité», a conclu le cardinal Parolin.