Du Groenland à l’Ukraine, pourquoi les terres rares sont-elles devenues une arme géopolitique ?
Les « Terres rares » sont au cœur des guerres économiques et commerciales. Ce sont elles qui expliquent l’attitude de Donald Trump vis à vis de l’Ukraine, ou ses prétentions à l’égard du Groenland, ou encore son affrontement avec Xi Jinping.
Pas une journée ne passe sans que les terres rares ne fassent la Une de l’actualité. Quel secret recèlent-elles pour susciter un tel engouement ?
Les terres rares sont une famille de 17 métaux voisins dans la classification périodique des éléments chimiques et qui possèdent des propriétés chimiques uniques ; elles peuvent aussi bien servir de catalyseur qu’à fabriquer des matériaux avec des propriété magnétiques, mécaniques ou optiques spécifiques. Malgré leur nom, toutes ne sont pas rares, loin de là : le cérium par exemple, 25e élément le plus abondant sur Terre, est aussi fréquent que le cuivre. En revanche, les plus lourdes d’entre elles sont 100 fois plus rares. Du fait de leurs propriétés chimiques proches, on les trouve souvent associées au sein du même minéral dans les roches, et elles sont très difficiles à séparer. Historiquement, la chimie des terres rares est depuis les années 1930 un domaine où la France a toujours excellé avec des équipes de recherche au premier plan mondial, notamment dans les écoles de chimie parisiennes, ce qui a permis de développer une industrie performante avec la création dès 1948 d’une usine de séparation des terres rares à La Rochelle. Jusqu’au milieu des années 1980, cette usine produisait plus de la moitié des terres rares mondiales avant que la production ne soit délocalisée en Chine pour des raisons économiques et environnementales. Depuis lors, la Chine a développé un savoir-faire inégalé ce qui lui permet de raffiner aujourd’hui la quasi-totalité des terres rares mondiales (environ 85 % des terres rares légères et 100 % des terres rares lourdes).
Avec le développement des nouvelles technologies, les terres rares sont devenues des ressources indispensables à nos transitions énergétiques et numériques. Bien que présentes en très faibles quantités dans les matériaux, elles n’en sont pas moins irremplaçables pour fabriquer les aimants permanents présents dans les alternateurs des éoliennes, les moteurs électriques des voitures ou les téléphones portables, les diodes de nos ampoules basse consommation, ou les écrans de nos objets connectés. S’assurer de leur approvisionnement est ainsi devenu dorénavant une priorité stratégique pour de nombreux pays, notamment face à l’hégémonie chinoise. D’autant que depuis la crise sino-japonaise des îlots Senkaku en 2010, la Chine n’hésite plus à restreindre ses exportations pour faire pression sur le reste du monde. Après l’interdiction en 2024 d’exporter les technologies de séparation des terres rares, elle vient de décider dans le cadre des tensions commerciales d’interdire leur exportation aux États-Unis. C’est dans ce contexte hautement sensible que les États-Unis ont réouvert en 2017 leur mine de Mountain Pass et lancé la fabrication d’une usine de séparation de terres rares. C’est aussi dans ce contexte que s’inscrivent les déclarations du président américain Trump face aux ressources du Groenland ou d’Ukraine.
La France n’est pas en reste, non seulement car elle conserve une expertise scientifique au meilleur niveau sur ces technologies de séparation qui sont aussi utiles au nucléaire, mais aussi parce qu’elle soutient des initiatives de relocalisation industrielle sur notre territoire : c’est ainsi qu’a été posé, le 17 mars 2025, la première pierre de l’usine Caremag à Lacq près de Pau qui permettra à partir de 2027 de recycler des aimants permanents (2000 t) et de traiter des concentrés miniers (5000 t) alors que Solvay a inauguré le 8 avril 2025 une première ligne pilote de recyclage de terres rares sur l’usine historique de La Rochelle. Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre du Critical Raw Materials Act de 2024 qui prévoit que l’Europe s’engage à extraire 10 % de ses besoins de son sous-sol, en récupérer 25 % par le recyclage, et raffiner 40 % en Europe.
Les terres rares sont loin d’être les seuls métaux indispensables à nos technologies décarbonées et numériques mais elles servent souvent de porte-drapeaux à l’ensemble des métaux stratégiques dont nous avons besoin (lithium, cobalt, graphite, tungstène, germanium … la liste est longue). Reconquérir une autonomie stratégique et politique dans un nouveau monde conflictuel et incertain nécessitera d’accepter de relocaliser en Europe des industries extractives, de raffinage et de transformation répondant aux meilleurs standards environnementaux et sociétaux.
C’est l’avenir de notre modèle politique, social et démocratique qui se joue derrière ces métaux aux noms inconnus !
*Au Service Géologique National, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) est l’établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol dans une perspective de développement durable.