Visite en Irak des évêques de France

Du dimanche 5 au jeudi 9 mars, nous sommes partis en Irak, l’archevêque de Paris, l’archevêque de Rouen, le secrétaire général de la Conférence des évêques et moi, accompagnés par Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’œuvre d’Orient, une des collaboratrices de l’œuvre et M. et Mme Boureau qui représentent l’Œuvre d’Orient sur place et qui avaient tout préparé. Le but de cette visite était triple : assurer les chrétiens locaux de la fraternité fidèle des catholiques de France ; constater l’aide apportée par les catholiques de France ; mieux comprendre la situation présente et les enjeux de ce pays et de ses voisins pour la paix du monde.

Un jour à Bagdad, un après-midi à Erbil, avec un passage sur la route par Kirkouk, une visite à Mossoul et à Qaraqosh.

Les leçons, un peu en vrac :

il vaut toujours la peine d’aller voir un frère qui souffre.

le pays se reconstruit mais reste d’une extrême fragilité ; il y a beaucoup d’argent car l’Irak est riche en pétrole et en gaz, mais d’immenses inégalités et de terribles accaparements ; les armes sont nombreuses d’où le danger d’une explosion sociale un jour ; les gouvernements successifs, bénéficiant de la manne pétrolière, ont profité de l’augmentation de son prix pour embaucher des fonctionnaires plus que pour créer une économie réelle ; le problème de l’eau est un enjeu majeur pour le pays, les pays limitrophes se servant largement en amont, au risque d’une Mésopotamie sans fleuve.

tout le monde raconte une bureaucratie pléthorique et absurde, compensée par les relations interpersonnelles et l’échange de services, donc la corruption ; de nombreuses milices sont actives.

les chrétiens restés ou revenus (ces derniers peu nombreux) s’accrochent.

les chrétiens n’ont pas été massacrés comme les yézidis. Ils ont dû fuir, ou renier, et ils ont fui plutôt, en laissant tout.

l’exil intérieur, par exemple à Erbil, où le quartier Ankawa est devenu la grande ville chrétienne du pays, s’est transformé pour certains en exode rural. Ils ont goûté à la vie en ville et ne sont pas prêts à retourner dans leurs villages.

ceci est vrai aussi des yézidis, notamment des femmes qui, même dans des camps de réfugiés, ont découvert d’autres relations hommes-femmes et d’autres possibilités de vie auxquelles elles ne renonceront pas.

l’Iran pèse sur le pays, à travers la majorité chiite mais aussi par des tirs contre les Kurdes. Il domine sans doute l’économie et la vie politique. La Turquie, sous couvert de poursuivre le PKK (parti communiste du Kurdistan), fait des incursions jusqu’à 250 kms à l’intérieur du pays et bombarde par missile ou par drone.

la « coalition internationale » est bien présente en Kurdistan, elle contient Daech qui n’est pas mort mais s’est dispersé en cellules dormantes dans la plaine de Ninive. La France y participe.

la France est très présente et dans de nombreux secteurs, elle en est souvent remerciée.

 

l’Œuvre d’Orient et Fraternité en Irak nous ont été citées comme des modèles d’aide fraternelle, compétente, respectueuse, efficace. Les catholiques français soutiennent des écoles, des hôpitaux, des restaurations d’églises, des constructions de salles paroissiales… et des projets innovants, aidant à trouver ou garder un emploi.

JRS emploie à Erbil 150 personnes, avec des programmes d’aide aux réfugiés en dehors des camps et aux malades psychiatriques, un travail que nul autre ne fait ni ne ferait.

les Dominicains ont créé à Bagdad une « Académie » qui initie qui veut aux sciences sociales avec pour but de développer une culture de l’esprit critique et de la réflexion personnelle.

le voyage du Pape a marqué : les Irakiens ont réalisé qu’il y avait des chrétiens parmi eux et ils ont découvert l’ancienneté de ces Églises. Ils ont pu voir le pape autrement que comme le chef des croisés. Le regard sur les chrétiens a changé, ils apparaissent comme des acteurs possibles de la fraternité nationale. La rencontre avec l’ayatollah Al-Sistani a beaucoup touché : cet ayatollah est la plus haute autorité religieuse chiite. Ses liens avec l’Iran ne sont toutefois pas totalement clairs.

à Mossoul, nos interlocuteurs nous ont assurés qu’ils sentaient un changement d’attitude des Musulmans, plus attentifs aux chrétiens, honteux de ce que Daech a pu faire, pour certains guéris de rêves politiques.

Nous sommes rentrés avec l’impression d’un pays qui se reconstruit dans une extrême fragilité, dont les richesses sont aussi une cause de désordre et de vulnérabilité, des chrétiens qui continuent courageusement à vivre et essaient de préparer l’avenir, d’évêques qui ont besoin d’être confortés et soutenus, qui sont attendus comme chefs de clan, ce qui crée des attitudes, des besoins d’argent, des choix qui nous étonnent parfois, avec des témoignages de fidélité et de foi dans le Christ Jésus, mort et ressuscité, tout à fait impressionnants. Ne les oublions pas !